L’épidémie de Covid a disparu des médias en France, mais pas de la population. Quelle est la situation à l’hôpital ? Et qu’en est-il pour les personnes vulnérables qui continuent à être touchées ? Le Pr Karine Lacombe, infectiologue et Cheffe de Service des maladies infectieuses et tropicales (Hôpital Saint-Antoine, Paris), évalue la situation au vu des données disponibles.

The Conversation-France : Le Covid, dont tous les variants sont aujourd’hui considérés comme des sous-variants d’Omicron, semble « passé de mode » dans l’actualité. N’y a-t-il vraiment plus rien à dire ?

Karine Lacombe : On ne peut pas dire ça. Même si l’épidémie de Covid n’a plus son impact passé, nous sommes actuellement en reprise épidémique, comme le montrent les derniers chiffres de Santé publique France. Avec pour l’instant pas de réel impact sur le système de santé, parce que depuis plusieurs mois nous avons tout de même eu une diminution du nombre de personnes qui présentent des formes graves et qui doivent être hospitalisées.

Mais l’on continue de voir des personnes qui ont des Covid dits « accessoires », c’est-à-dire qui sont hospitalisées pour autre chose et que l’on découvre être infectées lors des mesures de dépistage automatique que nous effectuons.

Et il y a toujours des formes graves qui nous arrivent, en particulier des personnes immunodéprimées ou qui n’ont reçu aucune vaccination et n’ont jamais été infectées. Bien que ce soit une pandémie avec une diffusion très importante du virus dans la population, il y a encore des gens dans ce cas.

Une jeune femme enlève son masque FFP2

L’épidémie de Covid est toujours présente en France, mais plus aussi importante. Önder Örtel/UnsplashCC BY-SA

Il est maintenant vraiment avéré que la vaccination a eu un impact très important sur la dynamique épidémique, avec une immunisation globale qui a été renforcée par l’exposition au virus lui-même. Les personnes vaccinées et qui ont été en contact avec le virus ont développé de bonnes réponses immunitaires, qui constitue une espèce de barrière non pas à la diffusion du virus (car ce dernier a acquis de nombreuses mutations qui lui permettent d’échapper en partie aux défenses immunitaires) mais contre les formes graves.

 

 

T.C.-Fr. : Vous nous disiez l’an dernier que nous étions en train de sortir de « l’exceptionnalité Covid ». Cette sortie est-elle confirmée, et quelles conséquences ?

K.L. : Après trois ans d’évolution, on est dans maintenant dans une situation endémique et non plus dans une situation épidémique. Avec un virus qui, peut-être, va devenir saisonnier, c’est encore un peu tôt pour le dire car on continue d’avoir des vagues successives au cours de l’année.Cependant, les vagues en tant que telles, ces déferlantes que l’on a connues au début, n’existent plus : ce sont davantage des vaguelettes, qui arrivent un peu en continu. Car on a un virus qui continue à se diffuser activement dans la population générale.

En d’autres termes nous passons une transition épidémiologique : soit le passage d’un stade épidémique à un stade endémique, avec un virus respiratoire dont nous sommes le réservoir, qui se transmet de personne à personne et qui évolue… comme tous les autres virus de ce type. Le Covid est devenu une simple pathologie en plus à prendre en charge.

C’est un virus avec lequel on a appris à vivre.

T.C.-Fr. : S’il circule moins, le virus, quel que soit le dérivé d’Omicron considéré, circule toujours. Quelles conséquences pour les personnes touchées ?

K.L. : Les formes qui circulent actuellement nous pose d’importants problèmes sur le plan thérapeutique, car les anticorps monoclonaux comme Evusheld ne sont plus efficaces contre elles. Donc les personnes immunodéprimées, que l’on pouvait précédemment protéger en prophylaxie (pour empêcher l’apparition, le développement ou l’aggravation d’une maladie) avec une injection de ces molécules, se trouvent désormais à nouveau vulnérables.

On a donc un arsenal thérapeutique assez réduit, avec des antiviraux directs comme le Remdésivir ou le Paxlovid.

Par contre, nous reprenons un anticorps monoclonal que nous utilisions l’an dernier mais avions ensuite écarté pour cause d’efficacité moindre par rapport à Evusheld sur le plan de la neutralisation du virus : le Sotrovimab. Nous y recourons à nouveau, mais à des posologies plus élevées, et chez les patients qui n’ont pas besoin d’oxygène – donc à un stade très précoce.

Un soignant tient une fiole de Sotrovimab entre ses mains gantées
Longtemps utilisés contre les variants Omicron du SARS-CoV-2, les anticorps monoclonaux sont désormais inefficaces. Le Sotrovimab est le dernier encore actif. ice_blue/Shutterstock

Mais maintenant que l’on a effectué cette transition épidémiologique, l’autre grande question, au niveau sociétal, ce sont les mesures de prévention. Nous sommes dans un modèle où on vit avec le virus, où la grosse majorité de la population est protégée des formes de grave… Si bien que les mesures de prévention ont été petit à petit abandonnées. Mais il ne faut pas oublier ces personnes en situation de fragilité.

Et le dépistage ne doit pas être oublié.

Qu’il soit en chute dans la population générale fait que l’on minimise l’importance de l’épidémie et de la circulation du virus, car nous n’avons plus autant de données. C’est un choix que l’on a fait pour avoir un retour à une vie normale, où on ne passe pas son temps à se faire dépister… Mais ça a un impact négatif sur notre connaissance de la situation.

Quand on voit une reprise épidémique comme celle actuellement en cours, il faut donc se dire qu’elle est en fait beaucoup plus importante que ce qui est rapporté par les chiffres – puisqu’on ne se fait plus dépister.

Pour les personnes immunodéprimées, mais aussi la population très âgée, qui a des pathologies prédisposant à des formes graves (et les personnes qui vivent à leur contact), il est important de continuer à se faire dépister – et à porter un masque quand on est positif si on côtoie ce public vulnérable : c’est ce qui permet de pouvoir être traité tôt en cas de besoin.

De même, on ne parle plus beaucoup de la vaccination. Pourtant, de nouvelles campagnes de rappel devront sans doute être lancées. Les personnes qui seront les plus concernées sont sans surprise celles dont les défenses immunitaires baissent le plus vite : les personnes âgées, prédisposées à faire des formes graves (surpoids, hypertension, insuffisance rénale, cardiaque, pulmonaire, etc.), immunodéprimées…

Une pharmacienne fait le prélèvement nasal à une cliente
Se faire dépister reste important. Notamment pour les personnes vulnérables : elles peuvent ainsi être prises en charge tôt en cas d’infection. Victor Joly/Shutterstock

T.C.-Fr. : La France a-t-elle tiré des enseignements des années passées ? Qu’est-ce qui, concrètement, devrait être développé ?

K.L. : L’investissement dans la recherche fondamentale, clinique, épidémiologique… est incontournable. Que ce soit pour trouver de nouveaux traitements, pour doter le pays de moyens de surveillance afin d’identifier rapidement l’apparition de tout nouveau variant – pour ça, il faut notamment des moyens de séquençage haut débit.

Il faut aussi pouvoir mieux s’organiser, et réfléchir maintenant qu’on est en post-crise (au moins en inter-crise) à une meilleure organisation de notre système de soin pour qu’on soit meilleur, plus réactif, pertinent si on devait faire face à une nouvelle vague – soit d’un nouveau variant, soit d’un nouveau virus.

S’il y a pas mal de choses en cours au niveau hospitalier, sur le plan ambulatoire (hors hôpital), c’est encore compliqué. Et l’interface médecine hospitalière – médecine ambulatoire n’a pas encore trouvé son mode de fonctionnement optimal. Il y a des choses à trouver en termes d’organisation des soins.

Peut-être peut-on regarder certaines initiatives prises ailleurs ? Aux États-Unis notamment, à partir du moment où un test Covid est positif, le pharmacien vérifie les indications pour le patient, les interactions médicamenteuses avec son/ses éventuel(s) traitements de fond et il peut délivrance un traitement. Sans avoir à passer par un médecin.

T.C.-Fr. : Vous dites que l’hôpital a déjà pris certaines mesures. De quoi s’agit-il par exemple ?

K.L. : Cet hiver a été beaucoup plus calme en ce qui concerne le Covid… nous avons été davantage bousculé par la grippe et la bronchiolite. Mais, au niveau hospitalier, nous avons été assez réactifs et avons réactivé nos cellules de crise : des structures mises en place au moment des grosses vagues Covid. Cela nous permet de mieux organiser les soins, à l’intérieur de l’hôpital du moins. Mais sur le plan thérapeutique, il y a toujours de gros progrès à faire tant contre le virus de la grippe que contre le VRS (virus respiratoire syncytial), responsable de la bronchiolite.

De plus, nous avons développé des techniques d’analyse en multiplex : ce qui nous permet de mieux diagnostiquer, et plus vite – des séries de 15 à 20 virus différents par exemple. C’est ainsi que nous avons vu qu’il y avait beaucoup de coinfections VRS-grippe, VRS-Covid, grippe-Covid, rhinovirus-grippe… au milieu de toute cette soupe de virus respiratoires hivernaux.

Ces coinfections ne changent pas vraiment les prises en charge, qui sont surtout symptomatiques pour ce genre de virus. Mais comme ce sont souvent des personnes âgées, ou avec des comorbidités, cela demande des hospitalisations assez longues. Avec le VRS, parfois il faut parfois deux-trois semaines pour que les patients puissent se passer d’un apport en oxygène.

Si les épidémies ont été si fortes cette année, on peut donner des raisons simples. Le VRS est saisonnier (du début de l’hiver) et il se transmet par les mains et l’air : or on se lave moins les mains que lors des deux premières années de la pandémie… Et on n’a plus mis de masque. Il n’y a pas de surprise.

De plus, c’est un virus qui induit des défenses immunitaires peu intenses et qui durent assez peu dans le temps. Le fait qu’on n’ait pas eu de VRS ces deux dernières années peut être corrélé au fait qu’on a de moins bonnes défenses immunitaires – qu’on hérite des contaminations des années antérieures.

Même chose pour la grippe. Avec en plus une vaccination qui a été particulièrement faible, même chez les médecins. Il est difficile d’expliquer pourquoi, car il n’y a pas spécialement de réticence à s’y soumettre. Faut-il y voir une certaine fatigue ?

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T.C.-Fr. : Y a-t-il une perspective de « sortir » du Covid ?

K.L. : L’OMS donne une date de début à une pandémie, pas forcément de date de fin… En fait, cela dépend des types d’épidémies. Pour Ebola, par exemple, il y a une date de fin. Mais pour le Covid, désormais passé en stade endémique, donc présent partout et à bas bruit, c’est plus compliqué.

Toutefois, l’OMS pourrait lever bientôt l’état d’urgence sanitaire au niveau mondial, même s’il y a toujours de nombreux cas. Son comité d’urgence chargé du Covid-19 tiendra sa prochaine réunion en avril, il faudra voir les annonces.