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CULTURE : Masque D’mba (Nimba), Branding-pays de la République de Guinée ou pas ?

Depuis quelques jours la cité est animée par un débat autour de l’opportunité ou non de faire de l’image du masque D’mba, le Branding-pays de la République de Guinée. Nous avons ici, pour repondre aux uns et aux autres une analyse pertinente de Dr Aly Gilbert IFFONO, historien, Maître de conférences et ancien ministre de la Culture.

Les parties prenantes au débat sont, d’un côté les adeptes d’un certain puritanisme musulman qui estiment qu’un masque qu’ils considèrent comme un fétiche, ne saurait être utilisé comme symbole national dans un pays à majorité musulmane. De l’autre, des citoyens qui ne partagent pas cette vision, estiment que le D’mba est un objet plastique guinéen de grande valeur culturelle mondiale.

De tous les objets d’art plastique guinéens, le masque D’mba est l’élément le plus reproduit. C’est donc non sans raison que depuis longtemps l’État s’en sert comme symbole d’identité culturelle nationale dans certains de ses actes.

Nous pensons qu’en tant qu’historien, il est de notre devoir d’apporter notre modeste contribution afin d’enrichir le débat et surtout, de permettre à chacun de se faire sa propre religion autour de la question du D’mba comme Banding de notre pays.

Ceci étant, retenez que de tous nos produits d’art plastiques, le masque D’mba est l’élément le plus reproduit en République de Guinée. L’énumération des diverses représentations qui va suivre aidera, même les plus nuls, à comprendre pourquoi la Guinée l’a finalement retenu comme logotype, ce qui, en toute logique, ne fut que la consécration de son long et populaire usage.

Ne croyez surtout pas que c’est une invention du CNRD qui, de toute bonne foi n’a fait que constater et formaliser un état de fait. Ne lui imputer donc aucune intention de porter atteinte à qui que ce soit et à quoi que ce soit. Cependant son grand mérite aura été d’exploiter une opportunité de promotion de notre pays à l’international qu’aucune gouvernance n’avait vu auparavant.

Depuis très longtemps, bien avant même cette affaire du branding, le masque D’mba est entré dans nos usages publics et privés et a fini par acquérir droit de cité.

D’où viendrait ce magnétisme qui a attiré tant de Guinéens vers le seul masque parmi tant d’autres, au point de faire l’unanimité autour de son usage comme emblème ? Certainement c’est un secret que D’mba voudrait jalousement garder pour continuer à hypnotiser le monde. Mais cette séduction ne date pas d’aujourd’hui. Elle a une histoire dont voici le raccourci.

C’est en 1615 que le masque D’mba a été décrit pour la première fois par l’explorateur portugais Manuel Alvarez. Le tout premier dessin du D’mba est apparu en 1886 sous le crayon du marin Coffinières de Nordeck, un habitué des côtes du Kakandé.

Par sa beauté et la finesse de ses lignes se mariant parfaitement avec les conceptions de l’art contemporain, le masque D’mba envouta des artistes occidentaux du début du XXe siècle, en l’occurrence, Pablo Picasso, Matisse, Giacometti, Henry Moore, etc. Mais de tous, Picasso fut le collectionneur le plus célèbre à posséder le premier, un exemplaire original du D’mba en 1925. C’est ce masque D’mba qui est à l’origine de la série des portraits monumentaux qu’il a dédiés à son épouse Marie-Thérèse Walter, portraits directement inspirés du masque baga.

Par de-là l’intérêt suscité par le masque D’mba auprès des grands artistes-peintres, photographes et autres sculpteurs et décorateurs occidentaux, il faut noter qu’en Guinée-même, un fait apparemment banal va constituer les fondements de la promotion fulgurante de cette pièce muséale.

En effet, rapporte Mamadou Baïlo Traoré, un sculpteur du Bagataye, un D’mba qui aurait été offert au début de l’indépendance au Président Ahmed Sékou Touré par les autorités de la région de Boké, aurait été dérobé et revendu hors des frontières guinéennes. En visite au Japon, le Président Ahmed Sékou Touré qui connaissait bien son patrimoine, l’aurait retrouvé exposé dans une foire internationale à Tokyo. Revenu en Guinée, il aurait réclamé son D’mba au Commissariat de l’exposition par voie diplomatique. Plus d’une quinzaine de spécimens lui furent présentés, mais en vain, parce que tous étaient des contrefaçons. Ahmed Sékou Touré, le très exigent propriétaire, a tenu à son masque authentique qui lui fut finalement restitué.

Cette réaction du Chef de l’État qui n’est ni plus ni moins qu’un protectionnisme culturel avéré, a constitué à n’en pas douter, une valeur ajoutée certaine, faisant ainsi du masque D’mba, la meilleure pièce sculpturale des objets d’art de la République de Guinée. Depuis lors, ce masque est entré dans nos mœurs. Comme pour dire que tout geste du premier magistrat de la Nation est contagieux. Si aujourd’hui le port du textile guinéen est devenu populaire c’est bien parce que président Alpha Condé en avait donné le ton.

Ainsi, on pourrait citer en exemple, les actes publics et privés ci-après inspirés du geste hautement symbolique du Président Ahmed Sékou Touré :

  • Au début de l’indépendance, la Représentation permanente de la République de Guinée aux Nations-Unies, a fait don à l’Institution planétaire d’un imposant masque original du D’mba qui, jusque dans les années 1980, ornait l’un des halls du Palais de verre de Manhattan ;
  • Pour illustrer le billet de 5000 f de notre monnaie nationale, la 2e République avait choisi une image du D’mba (Nimba). Soit dit en passant, ce billet en était la plus grosse coupure.
  • A Sékhoutouréyah, au temps du Président Alpha Condé, le D’mba trônait toujours à côté de lui dans le salon privé, là où il recevait ses hôtes de marque. C’était l’unique pièce d’art plastique remarquable dans le décor lors des audiences ;
  • De nos jours, avec le colonel Mamadi Doumbouya, le D’mba est tenu bien visible à côté du pupitre, lors de ses adresses à la Nation ;
  • La BCRG utilise le D’mba comme logotype. Elle le fait reproduire sur ses gadgets destinés à ses clients ainsi qu’à ses hôtes de marque ;
  • La RTG également utilise le D’mba comme générique de son journal télévisé ;
  • Le ministère de l’Économie et des Finances a illustré des timbres fiscaux à l’image du D’mba ;
  • Le ministère de postes et télécommunications aussi, a souvent édité des timbres-poste et des cartes postales à l’effigie du D’mba ;
  • Le masque D’mba est utilisé comme logo au ministère de la Culture, du tourisme et de l’Artisanat, notamment au portail du Musée national et dans la cour du département ;
  • La carte d’identité biométrique nationale ainsi que la page de garde du passeport biométrique national portent l’image du D’mba au ministère de la Sécurité et de la Protection civile ;
  • Au jardin du 2 octobre se dresse un imposant masque D’mba en génie protecteur de nos enfants qui y vont apprendre les premières notions du savoir ;
  • Au rond-point du Palais du peuple, est érigé un D’mba géant en sentinelle mystique des entrées et sorties de la Commune de Kaloum, centre administratif et des affaires du pays ;
  • Dans les bijouteries du pays, le D’mba est l’élément le plus reproduit,
  • Dans les ateliers de nos sculpteurs, c’est encore le D’mba qui domine les représentations ;
  • Dans les boutiques d’hôtels et à l’Aéroport international Ahmed Sékou Touré, foisonnent des spécimens du masque D’mba à l’intention des touristes et autres voyageurs ;
  • Le D’mba est rarement absent des cadeaux-souvenirs offerts aux hôtes de marque de la République.
  • Le projet multifonctionnel de Tour Nimba, de la grande famille de sculpteurs guinéens, les SIDIME;

Ce sont là autant de références qui, de facto ont fait du masque D’mba, le symbole de la Culture nationale, sans l’avis ni des chrétiens, ni des musulmans encore moins des Baga qui en sont les créateurs.

A propos du débat portant sur le choix du masque D’mba (Nimba) comme Branding-pays de la République de Guinée, je dis à ceux qui s’y s’opposent qu’ils se sont réveillés tardivement. Car, il y a très longtemps que ce choix a été fait et tous les Guinéens, y compris ceux-là qui s’agitent aujourd’hui, y ont adhéré. Dommage pour eux, si jusque-là, ils ne s’en étaient pas rendus compte. Le présent papier pourrait leur permettre de rebobiner l’histoire en vue de se mettre à jour.

Il est à se demander où étaient les fameux défenseurs du puritanisme musulman, quand le Président Sékou Touré, musulman de son état, réclamait le masque et par la suite quand nos institutions républicaines ou nos concitoyens continuèrent à utiliser librement le D’mba comme emblème sans la moindre réaction de leur part ?

Pourquoi avoir attendu plus de 60 ans pour sortir du bois et dénoncer l’usage du D’mba comme logotype de la République de Guinée ?

Pourquoi, bons croyants qu’ils sont, ils ont utilisé les billets de 5000 fg d’alors pour se nourrir, se soigner, se loger, payer leurs dettes, épouser femmes, faire leur hadj, sachant bien que ces billets portaient l’image d’un « fétiche » ?

En gardant par devers eux ces billets, dans leurs poches, sous leurs matelas, dans leurs malles, leurs comptes bancaires, ne savaient-ils pas qu’ils y faisaient la promotion du D’mba ?

Croient-ils que ceux qui ont choisi l’image du D’mba pour leurs besoins, ignoraient que ce masque est un pur produit du génie créateur du peuple Baga et qu’il était associé à sa conception du monde bien avant l’Islam ?

Pensent-ils qu’ils sont plus croyants que tout ce beau monde ?

En dénonçant aujourd’hui le choix souverain du D’mba par la République comme branding-pays, les auteurs n’affichent-ils pas leur inconséquence, leur incohérence et leur hypocrisie ?

Va-t-on alors pour autant mettre à la poubelle tout ce qui, en Guinée, porte l’image du D’mba pour leur faire plaisir ?

Ils sont libres par, ces adeptes du puritanisme musulman, de brûler leurs cartes d’identité et passeports biométriques, s’ils en possèdent, de ne plus entrer à la BCRG ou de ne plus regarder la télévision nationale, parce qu’il y a l’image du D’mba. C’est leur droit le plus absolu. Mais qu’ils arrêtent d’indisposer les citoyens au nom d’une religion toute de paix, d’amour et de concorde.

A notre avis, leur réaction n’est ni plus ni moins qu’un péché, une offense à Dieu. Car ils savaient très bien que le « diable » est passé par là et ils ont fait avec. Ils rendront compte à qui de droit.

Nous croyons qu’il y a mieux à faire pour nous Guinéens, en vue de réussir la refondation en cours, au lieu de chercher des poux sur des crânes rasés. Évitons donc de nous distraire ou de créer des problèmes là où ils n’existent pas.

La Guinée a vraiment besoin de paix et de quiétude sociale. Les nouvelles autorités y œuvrent inlassablement. Assumons-nous en les aidant et en les accompagnant dans cette noble et ingrate mission.

Le débat d’aujourd’hui n’aurait l’intensité qu’il affiche, si le CNRD avait pris soin de donner les tenants et les aboutissants du choix de masque D’mba comme Branding-pays. Avait-il toutes les informations historiques, sociologiques et anthropologiques concernant cette pièce muséale ? Rien n’est moins sûr. Toutefois le choix fait vient confirmer la volonté du CNRD d’assurer la promotion à l’international de notre pays.

Ce que nous devons faire aujourd’hui pour notre D’mba national, c’est de nous battre aux côtés de ceux qui le font déjà, je pense à mon ami Jean-René Camara à l’œuvre depuis longtemps, pour l’inscrire sur le registre du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Si nous ne le faisons pas maintenant, d’autres peuples voisins pourraient nous ravir la vedette. Nous n’aurons alors que nos yeux pour pleurer. Car aucun texte administratif, en ma connaissance ne reconnaît encore le D’mba comme patrimoine national. Or tout commence par là. Même son usage comme branding-pays ne me semble pas avoir été acté. Il y a eu certes une grandiose cérémonie présidée par le Chef de l’État au Palais du peuple à cet effet. Mais en soi, cela ne suffit pas. Juridiquement et pour l’histoire, il faudrait bien qu’un acte officiel atteste à la postérité, l’origine et la propriété de cette prestigieuse pièce muséale. Si déjà c’est fait, je n’ai pas l’information. Bien vouloir alors m’en excuser.

Soit dit en passant : la République du Mali vient de reconnaître par un arrêté du ministre de la Culture, l’alphabet Nko comme patrimoine culturel malien. Je n’en dis pas plus. Pour la postérité, personne ne pourra lui en contester la propriété.

Au moment où les autres ont réussi à inscrire au Patrimoine mondial de l’UNESCO, le Thièbou dieune sénégalais, le Champagne ou la Baguette de pain français, la Rumba congolaise, la Guantanaméra de Cuba, etc., pourquoi nous ne nous battrions pas pour obtenir l’inscription de notre D’mba déjà plébiscité par tous les Guinéens de bonne foi, le phare de Boulbinet ce témoin des temps, le Töpögui séculaire de Macenta, des tubes inoxydables comme Toubaka, Kébendo, Kakilambé, la danse Mamaya, des sites comme Gbassikolo, Fotoba, Porédaka, Boussédou, le Conakry-Niger et j’en oublie ?

A ce jour notre pays n’a que deux éléments de notre très riche patrimoine historique, culturel et touristique inscrits à l’Unesco : les réserves éco-biologiques du mont Nimba et le Sosso Balla. Tenez-vous biens. L’essentiel de ce riche patrimoine n’est ni chrétien ni musulman. Mais quel est le Guinéen qui ne serait pas fier de les voir inscrits au patrimoine de l’UNESCO ?

De grâce, sortons de ce formalisme religieux et ne remettons pas à débats, des problèmes déjà résolus et qui ont fait l’unanimité comme le D’mba. Après de multiples et très anciens usages de ce masque qui n’ont dérangé aucun Guinéen, pourquoi voudrait-on aujourd’hui se servir de la religion pour faire valoir des convictions personnelles avec tout ce que cela comporte comme conséquences fâcheuses pour la cohésion nationale ?

N’oublions surtout pas que les problèmes de religion sont de nature extrêmement sensible. Parlons-en moins si nous ne sommes pas bien informés.

Pour ceux qui ont provoqué le présent débat, faites un tour sur la toile pour vous rendre compte des réactions parfois très rageuse suscitées par vos propos.

 

Conakry, le 4 mars 2023

 

Dr Aly Gilbert IFFONO

Historien

Maître de conférences

Ancien ministre

Pour GCO

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