Dans les années 90, 2000 et 2010, j’ai eu l’opportunité de visiter quelques capitales africaines. En noctambule, j’ai observé avec plaisir (mais le cœur serré), entre 22h et 5h du matin, des balayeurs de rue, des camions de ramassage des ordures et même des entreprises d’entretien des routes à pied d’œuvre.
Ces travailleurs de nuit sont commis à la tâche par les Mairies. Ils sont les artisans du bon cadre vie de ces capitales. L’essentiel du travail d’assainissement se fait sous la lune, lorsque les populations sont en sommeil ou presque.
Chez nous, s’il y a assainissement, c’est l’éternel « M’AS-TU VU » dans une ville bigarrée. Tous les travaux se font en pleine journée, au moment où les agents économiques sont en pleine activité.
Ça, c’est la première observation de notre manque d’initiatives.
Deuxième observation 
Ce n’est pas pour rien que Conakry était appelée naguère « PERLE DE L’AFRIQUE DE L’OUEST ».Jusqu’au début des années 70, Conakry était une ville propre.
Comment ? Chaque concession de Conakry disposait d’une poubelle ou d’un endroit qui en tenait lieu. Les camions poubelles passaient là, pour ramasser les ordures au soir. Gare au Chef de famille qui laissait ses enfants jeter les ordures ailleurs ou laisser couler les eaux usées sur la voie publique. La police de salubrité publique y veillait.
Sanctions : garde à vue jusqu’au paiement de l’amende.
Nous avons abandonné ces bonnes dispositions.
Troisième observation
Lorsque la Révolution a effectivement pris corps dans les cœurs, la Décentralisation (malgré les faibles ressources), était devenue effective dans les quartiers.
Les initiatives d’assainissement, de sécurité des personnes et des biens et d’humanisation des relations sociales sont restées l’apanage des collectivités, c’est-à-dire des PRL (actuels quartiers) et des Arrondissements (actuelles Communes).
On ne m’a pas conté.
Je suis né dedans. J’ai vu. J’ai vécu. Jamais le pouvoir central n’a directement géré les ordures dans les quartiers de Conakry. Les services spécialisés coordonnaient.
C’est vrai qu’à l’époque, Conakry qui ne s’étendait que sur Kaloum et sa proche banlieue, était parmi les 3 villes les plus propres de l’Afrique de l’ouest.
Les quartiers n’avaient pas les moyens. Mais, les responsables et les citoyens avaient des initiatives et le civisme que la prétendue liberté et son cortège de libertinage leur ont sevrés.
Nous sommes à un moment où les détournements de deniers publics et les actes de corruptions n’effleuraient pas les esprits des dirigeants et des fonctionnaires.
C’était un moment où l’émulation entre les quartiers étaient de mise à tous les niveaux (assainissements, activités culturelles et sportives, entretien des écoles primaires,…)
C’est cela la Décentralisation, avec ou sans les ressources financières.
Depuis la proclamation du libéralisme tant souhaité et une certaine démocratie, les Guinéens et leurs dirigeants ont perdu ces nobles repères qui auraient dû être capitalisés. Par la paresse intellectuelle de ses élites et les limites de ses dirigeants, l’Etat guinéen est devenu un Etat mendiant.
Je pleure dans mon cœur quand je vois nos dirigeants inaugurer (avec fastes) 2 latrines publiques ou 3 salles de classes offertes par des partenaires ou des faux investisseurs. Je pleure encore plus, lorsque je vois nos dirigeants et nos élus se rejouir d’avoir signé des accords avec des partenaires ou investisseurs étrangers pour nous aider à assainir notre capitale Conakry.
Lorsqu’un citoyen a accepté de vivre dans une agglomération, il doit accepter le prix : payer l’impôt et respecter la réglementation de la vie urbaine.
Après 65 ans d’indépendance, où va la Guinée ?
De quelle dignité pouvons-nous nous réjouir de notre indépendance ?
Sous le premier régime, les initiatives d’assainissement et de sécurité dans les quartiers étaient mises en œuvre par les Collectivités.
Ce n’était ni l’affaire de Sékou Touré ni l’affaire d’un Ministre de son Gouvernement.
C’était l’affaire des collectivités à la base, les élus locaux et les citoyens.
Inspirons-nous de cet héritage que d’autres ont copié et ont réussi à expérimenter chez eux.
Conakry et nos agglomérations ne seront jamais assainies et sécurisées, tant que nous ne donnons pas à la décentralisation son contenu réel.
On ne réussira jamais, tant que les Ministères de l’administration du territoire, des finances et du budget en feront leurs « nèm-nèm », comme disait mon frère Pathé Diallo.
De Lansana Conté à Alpha Condé, la Décentralisation n’a été qu’un folklore de manipulation, avec un contenu politique au service du pouvoir et des politiciens.
C’est pourquoi, même la cohabitation est déshumanisée dans nos quartiers, sur des bases communautaires.
Pauvre Guinée !
En matière d’assainissement, la Transition a tendance à répéter les errements des régimes précédents. Elle doit sortir de ce prisme improductif et populiste, porteur de pratiques démagogiques et de dilapidation des ressources de l’Etat.
La Transition doit réfléchir autrement, en transférant tous les pouvoirs d’hygiène publique, de sécurité de proximité et de cohésion sociale aux collectivités locales.
Elle doit mettre à la disposition des Communes et des Quartiers les moyens et les ressources fiscales et administratives légales et réglementaires pour leur permettre de jouer leurs partitions dans le développement horizontal de notre pays.
Trop de centralisation des pouvoirs par un gouvernement, le développement local.
C’est pourtant là, le vrai développement d’une nation moderne. Les journées mensuelles d’assainissement et les apports ponctuels des corps habillés ne sont pas la vraie solution. Voyons ce qui se faisait à Conakry dans les années 60-70.
Tentons de les adapter à notre temps et à notre espace. Exigeons des règies financières le reversement intégral des impôts locaux et autres sources nos recettes à nos Collectivités.
Avez-vous entendu une seule fois le nom de la Commune ou du quartier le plus propre de Conakry ? On a même perdu le sens de l’émulation.
Que le Gouvernement et les populations veillent à la bonne gestion des ressources mises à la disposition des collectivités. C’est tout !
Développons l’esprit de l’excellence par la création d’un climat d’émulation et de compétitions entre les collectivités.
A baraban !
Cessons de rabaisser l’Etat Guinéen devant nos partenaires et des investisseurs étrangers à la moralité parfois douteuse. Ayons toujours à l’esprit que nous sommes les premiers à réclamer et à obtenir notre indépendance dans l’espace francophone de l’Afrique noire.
Ayons toujours à l’esprit que nous sommes le 3ème pays indépendant de l’Afrique de l’ouest. Nous avons été une référence pour beaucoup de pays.
Nous sommes hélas à la traine. La Transition doit être un tremplin pour permettre à chaque intellectuel guinéen de sortir son individu, le plus profond de son être dans la dynamique de notre émergence.
À l’allure de certaines décisions et initiatives de ces derniers mois, je suis partagé entre l’espoir et le désespoir. Nous semblons répéter quelques erreurs notoires du passé. La Décentralisation, au sens noble du terme, est la seule solution pour la démocratie, pour l’unité de la nation et pour le développement à la base.
Tout le reste, c’est du BLABLA. A N’TÖRÖMA !
Ibrahima Jair KEITA pour JMI