Lourenço a hérité d’une situation économique désastreuse, caractérisée par de graves pénuries de devises, en particulier du dollar américain, et par la dévaluation continue du kwanza

João Lourenço est président de l’Angola depuis le 26 septembre 2017. Environ un an plus tard, il a renforcé son emprise sur le pouvoir en assumant la présidence du parti au pouvoir, le Movimento Popular de Libertação de Angola (MPLA). Bien qu’il ait remanié le gouvernement, en remplaçant par exemple le ministre des Transports et le vice-président, Manuel Vicente, la plupart des autres postes ministériels n’ont pas changé par rapport à l’administration précédente.

Malgré les promesses de diversifier l’économie et de lutter contre la corruption qu’il a qualifiées de fléau pour la société, ses actions jusqu’à présent paraissent aller à l’encontre de ses intentions publiquement exprimées et de ses déclarations passées et présentes.

Lourenço a hérité d’une situation économique désastreuse, caractérisée par de graves pénuries de devises, en particulier du dollar américain, et par la dévaluation continue du kwanza. La devise s’est dépréciée de 40% par rapport au billet vert en 2018. En outre, l’inflation a oscillé autour de 30% et devrait encore augmenter.

Les problèmes économiques de l’Angola ont commencé en 2014 lorsque les prix mondiaux du pétrole brut ont fléchi et ont fortement troublé la capacité du gouvernement à générer des revenus. Angola dépend du pétrole en ce qui concerne 75% de ses recettes publiques et 90% de ses exportations. Cette dépendance excessive vis-à-vis du secteur des hydrocarbures a rendu le pays vulnérable aux chocs économiques, en le mettant potentiellement dans une position irrécupérable.

La solution c’est la diversification, mais la mise en place d’une stratégie et d’un plan ne s’est jamais matérialisée dans l’administration précédente. L’objectif principal de la campagne électorale de Lourenço était de réduire la dépendance vis-à-vis du secteur des hydrocarbures en Angola et de créer de nouvelles sources de revenus à partir des ressources existantes ou d’en développer de nouvelles. La diversification était également une condition essentielle pour que le Fond Monétaire International (FMI) accepte une prolongation de trois ans du mécanisme d’élargi du crédit pour l’Angola, d’un montant de 3,7 milliards USD, annoncée le 7 décembre 2018 ; 990 millions USD seraient immédiatement déboursés. L’autre condition c’était de mettre fin à la corruption, notamment aux pots-de-vin et au blanchiment d’argent,

La diversification : une priorité urgente

L’Angola a « désespérément » besoin d’argent et, par conséquent, Lourenço poursuit un ambitieux programme d’investissements visant à développer l’agricultures et les atouts touristiques et miniers du pays. Par exemple, le gouvernement prévoit d’investir dans le pays 230 millions USD au cours des six prochaines années pour soutenir son Programme de Développement de l’Agriculture Commerciale, une initiative de développement lancée en décembre dernier dans le but de commercialiser le secteur agricole. A la fin de l’année 2018, plus de 77 millions USD avaient déjà été investis dans de tels projets dans tout le pays.

Des sociétés pétrolières majeures, telles que le groupe britannique BP, Total de France, et le géant américain du pétrole ExxonMobil, ont également signé un protocole d’entente avec la compagnie publique Sonangol pour le développement de nouvelles activités pétrolières en eaux très profonds offshore. Cependant, le montant des investissements n’a pas encore été rendu public.

Une grande partie de l’argent destiné aux nouveaux investissements semble garantie par le gouvernement. Dans le contexte de perspectives économiques médiocres, associées à des prix du pétrole brut inférieurs aux ceux qu’attendait le gouvernement – même si les prix du brut Brent aient rebondi au début de cette année à la suite d’une réduction de production décidée par les États membres de l’OPEP – Angola devra recourir à plus d’emprunt. Le réaménagement de sa dette par l’émission d’obligations en euros et en dollars d’une valeur de 5 milliards de dollars US, explique sans doute la réduction du déficit budgétaire, les échéances ayant été prolongées à moyen terme. Toutefois, le rapport dette / PIB demeurait à un 90% risqué à la fin de 2018, ce qui signifie que davantage de prêts commerciaux seront nécessaires pour financer le programme ambitieux d’investissements et continueront de nuire aux perspectives de croissance économique, notamment parce que la Chine est le plus grand acheteur du pétrole angolais.

En même temps, Angola doit déjà beaucoup d’argent à Pékin. Les chiffres officiels indiquent 23 milliards de dollars l’an dernier, mais dans le contexte d’absence de données fiables, ce chiffre pourrait être beaucoup plus élevé. En outre, une grande partie de la dette avec la Chine ayant été garantie par des accords d’échange de pétrole, l’instabilité accrue des prix du pétrole brut devrait à nouveau créer encore plus de problèmes financiers pour le gouvernement. Les investisseurs étrangers seront probablement également concernés, car le fardeau croissant de la dette entravera la capacité du gouvernement à rembourser sa dette et à dégager des ressources financières, par exemple pour financer des projets ou rémunérer ses fonctionnaires.

Anti-corruption

Lourenço s’est également engagé à éradiquer la corruption, qu’il a qualifiée de « fléau de la société ». Les observateurs internationaux ont été positivement surpris lorsqu’il a limogé les enfants de l’ex-président dos Santos de postes clés au sein de la compagnie pétrolière publique Sonangol et du fonds souverain angolais FSDEA. José Filomeno, fils de l’ancien président et ancien directeur de la FSDEA, et son allié, le double ressortissant suisse-angolais Jean-Claude Bastos de Morais, ont été arrêtés en Angola en septembre 2018 sous l’inculpation de fraude à l’Etat en plusieurs endroits, notamment en Suisse et au Royaume-Uni. Les deux ont nié les actes déplorables. Les autorités de l’Ile Maurice, de la Suisse et du Royaume-Uni ont gelé leurs biens alors que des enquêtes étaient en cours. Toutefois, le Tribunal de Commerce de Londres, qui fait partie de la Cour Suprême a levé la décision de gel en raison de ce qu’il avait qualifié de graves irrégularités de procédure dans la plainte initiale.

Néanmoins, et s’appuyant sur la reconnaissance de l’impunité dans la corruption sous le gouvernement précédent, le gouvernement Lourenço a adopté en mai dernier un projet de loi d’amnistie prévoyant le rapatriement librement consenti des fonds publics volés qui avaient été transférés à l’étranger. L’ampleur réelle du problème de la corruption en Angola n’est pas claire, mais les autorités angolaises et américaines ont indiqué que près de 30 milliards USD d’argent obtenu de manière illicite auprès de l’État sont détenus sur des comptes à l’étranger. Mais le projet de loi sur l’amnistie, qui a expiré en décembre, semble avoir suscité peu d’intérêt, selon les juristes sur le terrain, et très peu d’argent a été rapatrié. Le gouvernement a promis de poursuivre de manière coercitive ceux qui ont volé des fonds publics et les ont cachés à l’étranger.

La capacité de l’Angola à faire cela reste incertaine. Le rapatriement des biens financiers dépendra également de la volonté des banques à l’étranger de restituer l’argent. Le resserrement de la législation anti-blanchiment dans le monde va rendre les banques commerciales – en particulier celles des pays de l’OCDE – plus opposées aux pays à risque, comme l’Angola, ce qui diminue l’efficacité de la loi. Depuis la faillite de la banque portugaise Banco Espirito Santo – en partie à cause du crédit toxique de sa filiale angolaise – les banques occidentales n’ont pratiquement pas repris leurs relations bancaires correspondantes pour effectuer des transactions en dollars américains et cela explique les problèmes actuels de l’Angola. Mais comme le secteur financier angolais, fortement dépendant du pétrole, est très dollarisé, une telle correspondance est également essentielle pour rapatrier les fonds volés, ce qui soulève des doutes sur le succès probable des politiques de Lourenço. Ses conseillers devraient en être conscients.

Le rétablissement de la confiance dépend de la capacité du gouvernement à réformer le secteur financier, qui reste concentré autour de quelques personnes politiquement exposées parmi les actionnaires des banques angolaises. Sur les 27 banques commerciales enregistrées auprès de la Banco Nacional de Angola – la banque centrale et le régulateur sectoriel – cinq contrôlent plus de 80% du total des actifs bancaires, des dépôts et des prêts. En outre, le secteur bancaire est fortement centralisé et la grande majorité des Angolais et des petites et moyennes entreprises ne peuvent accéder au crédit formel. Au lieu de cela, l’essentiel du crédit accordé par les banques angolaises va à quelques centaines d’investisseurs choisis. Étant donné que la diversification est une priorité de la présidence Lourenço, sa capacité à restructurer aussi le secteur financier sera essentielle.

Du réformiste au retour aux vieilles habitudes

La nouvelle politique du gouvernement a certes attiré de nombreux titres des médias, mais le comportement de Lourenço au cours de sa première année au pouvoir contredit également son discours. Cela a commencé par de somptueuses dépenses lors d’une visite d’état en Europe, où la délégation angolaise a signé plusieurs projets de développement agricole avec des financiers français, entre autres. Selon des informations parues sur le site d’actualités Maka Angola, la délégation angolaise aurait dépensé de l’argent en louant au moins trois avions, dont un avion de ligne privé Boeing 787 VIP, un Boeing 737 et un avion d’affaires Gulfstream. Selon la société de leasing, le Boeing 787 coûterait 74 000 USD l’heure de location. Il va sans dire que ce type de dépenses ne va pas bien avec les promesses de Lourenço et son récit d’être une personne modeste.

D’autres ont évoqué les biens immobiliers de la famille Lourenço, situés à Bethesda, dans le Maryland, aux États-Unis. Selon un article du journal américain The Washington Post citant des archives publiques, la propriété avait été achetée en 2013 pour un montant de 1,7 million USD par la famille Lourenço. Bien qu’il ne soit pas illégal pour les Angolais de posséder des biens à l’étranger en tant que résidence principale, de telles révélations vont probablement nourrir les soupçons sur les véritables intentions du président.

La position de Lourenço face à l’ancien vice-président, Manuel Vicente, que les procureurs portugais ont inculpé en 2017 de la corruption du procureur général de Portugal en 2011. Lourenço a refusé de reconnaître la compétence des autorités portugaises pour juger Vicente et a critiqué les accusations en tant qu’ « ingérence» de l’ancienne puissance coloniale. Il a été convenu que Vicente serait jugé en Angola. Cela n’a jamais eu lieu. Bien que Vicente ait été écarté de la direction du MPLA, il reste un homme d’affaires influent en Angola et à l’étranger.

Le népotisme potentiel et les conflits d’intérêts, y compris au sein de l’armée, constituent une autre tendance préoccupante. En avril 2018, le président a promu son frère, le général Sequeira João Lourenço, au poste de chef adjoint du bureau du renseignement du président, qui supervise les forces armées, la police et les services de renseignement. Deux mois auparavant, il aurait vendu un avion appartenant à l’État à la compagnie d’aviation de son frère, SJL Aeronáutica, sans appel d’offres et à un prix non divulgué.

Cela ne s’arrête pas là. Ses plans pour augmenter le budget militaire devraient sonner l’alarme. Tout en disposant déjà d’un des budgets militaires les plus importants du continent, Lourenço entend poursuivre son expansion. L’une des raisons évoquées est la lutte contre la piraterie, alors que l’Angola cherche à étendre ses activités de production pétrolière en mer et que la modernisation de ses capacités navales garantirait la sécurité de ces opérations contre de telles menaces; C’est ce qui fait que l’Angola n’a pratiquement pas fait l’objet de telles attaques ces dernières années. Bien que les chiffres officiels indiquent que le budget militaire angolais a été divisé par deux entre 2014 et 2017, le think-tank réputé Sipri, basé en Suède, a noté que les estimations des dépenses militaires réelles sont difficiles à obtenir en Afrique subsaharienne. Malgré la baisse, en septembre 2016, le groupe Privinvest basé au Moyen-Orient a annoncé sur son site Web qu’il fournirait des navires à la marine angolaise et construirait une installation de construction navale avec un partenaire basé à Londres.

Vers la même époque, il a été révélé que Privinvest avait signé des contrats pour fournir des navires au Mozambique qui n’avaient jamais été livrés. L’accord ainsi que deux autres ont laissé le Mozambique avec une facture massive de 2.1 milliards USD – plus que la dette nationale totale de l’époque. Le 29 décembre, la police sud-africaine a arrêté pour suspicion de fraude Manuel Chang, le ministre des Finances du Mozambique, lorsque les accords avec Privinvest ont été signés. Cette affaire faisait suite à une mise en accusation par le tribunal de district américain de New York, qui avait conduit à l’arrestation de Jean Boustani, dirigeant de Privinvest. Trois anciens banquiers de la banque suisse Credit Suisse et une douzaine d’autres ont également été mis en accusation pour leur rôle dans le projet.

Bien que Privinvest n’ait pas été la seule société impliquée dans le gonflement de la dette du Mozambique à un niveau astronomique, elle a fait face à une résistance dans d’autres pays, tels que le Nigéria; En Afrique, le Africa Report, basé à Paris, révélait en juin 2018 que le ministre nigérian des Finances avait refusé d’accepter une proposition d’investissement de 2 milliards USD de Privinvest après qu’il apparaissait clairement que le Nigéria devrait fournir la plupart des garanties pour les emprunts destinés à financer la joint-venture ; Privinvest aurait proposé de prendre le contrôle d’un chantier naval abandonné de la marine nigériane et de le remettre à neuf. Le fait que l’Angola ait signé un accord avec Privinest sous la surveillance de Lourenço – pendant il était ministre de la Défense – pourrait donc également concerner les investisseurs, d’autant plus que le gouvernement n’a jamais confirmé l’investissement. En plus, en mai 2018, le Credit Suisse a annoncé un prêt de 700 millions USD à l’Angola.

Conclusion : Napoléon marche

Si Lourenço veut vraiment éradiquer la corruption, il doit faire attention avec qui il traite et à la façon dont cela peut paraître à l’extérieur. Jusqu’à présent, la défense, les dépenses généreuses, le soutien de Vicente et les nominations népotiques ne peuvent que miner sa crédibilité. Le fait que les plus hauts rangs du MPLA et l’élite gouvernante en Angola restent intactes, à part quelques modifications esthétiques du Bureau Politique – l’organe suprême du MPLA – est également préoccupant.

Le fait d’adopter des politiques qui sont probablement des conditions imposées par des financiers internationaux tels que le FMI, mais qui ne risquent en réalité pas de modifier les comportements, met en péril non seulement son propre bilan, mais également la réputation de l’ensemble du pays. En plus, l’absence de condamnation pénale d’anciens hauts responsables – non seulement de la famille de l’ex-président, mais également d’autres cadres de haut rang du MPLA – donne à penser que leur comportement ne changera pas. Soit les autorités retardent délibérément le processus à fin d’obtenir de la bonne volonté initiale des investisseurs étrangers, soit le système est tellement lent qu’aucune condamnation ne servira à dissuader un futur comportement corrompu. Le résultat final est que les investisseurs étrangers et les financiers qui s’engagent en Angola sont exposé à de la conformité considérable – et aux risques juridiques. Donner le bénéfice du doute au « nouveau président » aurait pu marcher pendant sa première année, mais le manque de progrès devrait encourager le président à adopter une approche plus prudente. Tout comme Napoléon dans « La Ferme des Animaux » de George Orwell qui a promis une toute nouvelle façon de gouverner, mais une fois au pouvoir, a rapidement adopté les mêmes habitudes que son ancien régisseur.

Source : APO Group pour AllAfrica / JMI. (par Miguel Sanz)