Mamadou Baadiko Bah, président de l’Union des Forces Démocratiques (UFD), a accordé cette semaine une interview exclusive à notre rédaction. Au cours de laquelle, notre interlocuteur s’est exprimé sur des préoccupations d’actualité,  comme la crise sociale consécutive à la hausse du prix du carburant, la nouvelle loi sur la CENI, l’installation partielle des conseillers communaux dans les circonscriptions non litigieuses etc.

Justinmorel.info : Comment va votre parti ?

Mamadou Baadiko Bah : Notre parti est là, il existe depuis fort longtemps sur la scène politique guinéenne. Nous essayons de faire partager au peuple nos valeurs, à savoir le refus de l’ethnicisme et le culte du respect strict du bien public et de l’intérêt général. Comme vous savez, en Guinée, les politiciens ont réussi malheureusement à faire endosser par le peuple l’idéologie ethniciste. Mais l’UFD n’est pas censée représenter une ethnie quelconque mais au contraire toutes les régions de la Guinée. Et bien évidement, tout le monde nous approuve, mais très peu de gens votent pour nous, c’est une réalité dont nous espérons qu’elle va changer.

Justinmorel.info : Votre avis sur la nouvelle loi sur la CENI qui fait couler beaucoup d’encre et de salive au sein de la classe politique ?

Mamadou Baadiko Bah : Cette Loi sur la CENI, c’est un pas en avant vers la confiscation de la vie politique par les deux partis dominants notamment, le RPG et l’UFDG. Ils veulent organiser à leur profit ce condominium politico-ethnique. Ils cherchent à verrouiller totalement l’alternance politique, en barrant la route à toute force politique autre dans la vie politique guinéenne. Ainsi aucun changement véritable ne sera possible, puisqu’ils contrôlent ensemble la CENI chargée d’organiser toutes les élections. Mais disons-le, cette tentative antidémocratique est vouée à l’échec, car le peuple de Guinée ne l’acceptera pas.

Justinmorel.info : Votre lecture par rapport à la décision du ministre Boureima Condé, qui solliciterait installer les conseillers communaux issus des élections locales du 4 février dernier, dans les circonscriptions non litigieuses ?

Mamadou Baadiko Bah : Nous avons dit encore une fois, ça ne résout pas le problème, ça ne fait que le contourner et permettre au pouvoir de gagner du temps. C’est une tentative de grignotage permettant au pouvoir de réaliser ses objectifs petit à petit en évitant les vagues. En 2011, nous avons eu le phénomène des délégations spéciales. A présent, nous aurons le kidnapping pur et simple de certaines mairies.

Justinmorel.info : Aujourd’hui, la hausse du prix du carburant provoque une crise sociale très profonde entre le gouvernement et l’Inter-centrale syndicale CNTG USTG, épaulée par les Forces sociales. En tant qu’un leader politique aguerri et expert-comptable, dites-nous vos solutions pour une sortie de crise ?

Mamadou Baadiko Bah : En réalité, je suis convaincu les révoltes de la population contre l’augmentation de 25% du prix du carburant n’ont été que le révélateur d’une crise économique et sociale très grave, et le ras-le bol général. Cette mesure du gouvernement a donné donc l’occasion aux masses populaires d’exprimer leur colère face à la façon dont le pays est gouverné. Il est clair que toute l’action gouvernementale n’est pas orientée vers la satisfaction des besoins des populations, mais plutôt pour l’entretien de l’énorme appareil d’Etat, qui ne sert absolument à rien du point de vue du bien-être du peuple

Il faut dire franchement que le problème n’est pas le carburant. Le problème, c’est la gestion globale de l’économie où toutes les ressources sont détournées par les élites. La corruption a achevé de ruiner le pays et se traduit par la misère pour le plus grand nombre au profit d’une petite minorité qui ne sait même pas quoi faire de son argent. Vous avez vu tous ces innombrables immeubles qui ont poussé ces dernières années comme des champignons à Conakry. Vous pensez bien qu’il a un lien direct entre le pillage complet du pays, l’explosion de l’immobilier de luxe et l’extrême misère de la population qui n’en peut plus.

Donc, c’est un révélateur et nous avons dit que les solutions, elles sont claires, elles sont là. Il faut qu’on arrête la corruption au niveau de l’appareil d’Etat, que les dirigeants cessent de se servir, mais qu’ils servent plutôt la population. Il faut enfin que les ressources publiques soient orientées vers la satisfaction des besoins essentiels de la population. Le bien public ne doit pas être utilisé seulement pour permettre aux élus et aux gouvernants de se remplir les poches et de bien vivre pendant que la population meurt littéralement de faim.

Nous disons qu’il faut renverser l’ordre de la question. La vraie question n’est pas seulement l’augmentation du prix du carburant, mais c’est la corruption, la prédation du bien public, l’enrichissement illicite, le pillage systématique des ressources du pays. Nous sommes heureux que les syndicalistes et la société civile soient d’accord avec nous là-dessus.

Justinmorel.info : Votre dernier mot sur la situation socio-économie du pays ?

Mamadou Baadiko Bah : Comme on l’a vu depuis très longtemps dans ce pays, on a cru qu’avec l’avènement du Président Alpha Condé, on aurait eu un changement véritable, comme lui-même il l’avait promis. Mais au lieu de ce changement, on a assisté à l’aggravation générale de la situation antérieure qui avait amené le peuple à la révolte en 2006-2007. L’impunité pour crimes économiques et les violations des droits humains est toujours de règle. Sur le plan éthique, nous sommes dans une situation absolument abominable dans laquelle, le gouvernement doit être considéré comme illégitime puis qu’il comprend en son sein des gens nommément cités dans des cas de corruption et d autres condamnés par les tribunaux pour corruption. L’Etat guinéen, au lieu de saisir la perche tendue par les tribunaux étrangers pour exiger des intéressés le remboursement des énormes sommes détournées, fait le mort ou cherche à étouffer l’affaire qui est pourtant d’une extrême gravité.

Et, nous disons que tout ça, l’équation est absolument claire, on ne peut pas résoudre le problème de la carence, l’incurie des pouvoirs publics en Guinée en laissant de côté le fait que la richesse publique est totalement pillée par l’élite dirigeante en complicité avec l’opposition qui est payée pour ça. Aujourd’hui, pour résoudre le problème, il faut aller au fond, c’est pour cela que nous avons dit aujourd’hui, il faudrait un Etat d’urgence contre la corruption en Guinée.

Justinmorel.info : Est-ce la seule façon de sortir de cette situation ? 

C’est la seule façon de mettre les choses au clair et la première mesure d’abord, c’est obliger tous les acteurs politiques, les élus à déclarer leurs biens, en respectant la constitution. Nous sommes absolument révoltés par les propos que nous entendons. Le gouvernement à travers le premier ministre se donne le droit de mater les masses populaires et d’interdire les grèves et les manifestations pendant qu’eux-mêmes refusent le minimum qui est de respecter la même Constitution. Ils se sont mis hors de la légalité républicaine en se complaisant obstinément et insolemment dans le refus d’appliquer les textes sur la base desquels ils sont censés gouverner et sur lesquels ils ont prêté serment. Ainsi, ils piétinent la constitution en refusant de déclarer leurs biens conformément à l’article 36 de la Constitution. Et bien entendu, l’opposition complice partage la même abomination et le même rejet pour l’article 36 et se tait. Nous vivons dans une anomalie constitutionnelle. La Cour Constitutionnelle est la gardienne du respect de la Constitution et le peuple attend qu’elle tire elle-même les conséquences de cette situation absolument insoutenable car le pratiquement, le gouvernement est pour l’instant hors la loi, sauf à régulariser sa situation.

Justinmorel.info : Finalement dans quel monde sommes-nous?

Nous ne sommes plus en démocratie, mais dans une pouvoir absolu, omnipotent et sans aucun contrepoids, tout le contraire d’un pouvoir démocratique ayant des comptes a rendre au peuple. Nous sommes donc heureux de profiter de cette occasion pour saluer le courage, la lucidité et l’honnêteté du ministre Gassama Diaby qui a dit à ses collègues que c’est totalement illégal ce qu’ils veulent faire, c’est-à-dire refuser d’appliquer les lois de la République et de chercher à effacer les lois qui permettent au peuple de revendiquer normalement ses droits.

Justinmorel.info : Gassama est donc à vos yeux, « un cas à part »…

Nous sommes face à un pouvoir qui se permet de faire tout ce qu’il veut, viole la constitution et reste sourd face à toutes les dénonciations quotidiennes qui sont faites à son encontre. Et ça, ça ne passera pas. Dans le monde entier, ce sont les révolutions qui ont réglé cette contradiction-là. Et la Guinée n’est pas un cas spécial, notre pays ne peut pas faire une exception à cette règle-là. Et, nous disons que le ministre Gassama Diaby, voilà quelqu’un qu’on ne peut pas accuser de vivre de la corruption, on ne peut pas l’accuser de vivre de la prédation du bien public, on ne peut pas l’accuser non plus d’être complice de ses collègues qui veulent violer la Loi et nous le saluons. J’espère que cette intervention ne va pas entraîner son renvoi du gouvernement puis que c’est l’un des rares dans le gouvernement à vouloir agir en patriote, en homme responsable et en homme honnête, conscient de ses responsabilités.

Justinmorel.info : La Socété Civile et les Syndicats peuvent-ils vraiment encore faire quelque chose… Sont-ils dans leurs droits? 

Aujourd’hui, le seul contre poids face à ce pouvoir, c’est la Société Civile et les syndicats qui représentent le fer de lance des luttes de la population contre la misère, contre la pauvreté, contre les maladies sans soin, contre l’exil forcé et le manque d’emplois, contre les inégalités sociales devenues scandaleuses dans ce pays. Et comme le pouvoir ne veut rien changer à ses pratiques néfastes, obstacles au progrès de la Guinée, il préfère chercher à diviser ce mouvement, à intimider ses dirigeants, à les réprimer pour les faire taire, sans compter les forts soupçons de corruption ou de pressions ethniques. Ils sont dans leurs droits!

Et nous sommes très heureux de constater que la base veille. Les temps ont bien changé. Chaque fois que les dirigeants syndicaux semblent faiblir pour céder aux manœuvres du pouvoir, c’est la base qui les rappelle fermement à l’ordre en les menaçant même de destitution et de représailles.

Interview réalisée par Léon KOLIE pour JMI

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