Fév112016

 

Par-delà l’afro-optimisme et l’afro-pessimisme

« Après une longue période où le pessimisme à l’égard du continent était le discours dominant, l’afro-optimisme s’est plus récemment imposé, en dépit d’évidentes limites. » C’est ce qu’observe Alain Antil dans le Ramses 2016, rapport annuel sur le système économique et les stratégies publié par l’Ifri (Institut français des relations internationales). Plus précisément, « les désordres africains conduisent-ils le continent au seuil du gouffre, ou du rebond ? »

Les cinquante dernières années ont vu des transformations importantes des structures économiques africaines, notamment avec l’augmentation des investissements étrangers et l’émergence d’une classe moyenne.

Mais les enjeux internes de la forte pression démographique et des inégalités sociales encore fortement présentes laisse augurer des défis à venir.

La question est complexe, puisqu’elle suppose d’appréhender plus de 40 pays d’Afrique subsaharienne dont la nature, la trajectoire et la puissance potentielle sont extrêmement diverses.

Au-delà des aspects sécuritaires, évidemment prégnants, c’est l’analyse économique que l’on peut ici privilégier.

« Le terme d’afro-pessimisme est attribué à Michel Aurillac, l’un des ministres français de la Coopération de Jacques Chirac à la fin des années 1980 », rappelle Alain Antil.

Il dépeint un sentiment général, partagé y compris par des élites africaines, voyant dans l’Afrique subsaharienne un « angle mort » de la globalisation (moins de 2 % du PIB mondial), un espace maudit où s’abattent de nouvelles « plaies d’Égypte »: « démographie galopante, mégalopoles avec des bidonvilles qui s’étendent à l’infini, agricultures stagnantes, famines, maladies, guerres, gouvernances défaillantes, sociétés pas prêtes pour la démocratie car ‘pas encore entrées dans l’histoire’ »

Émergence des discours « afro-optimistes »

L’approche « afro-pressimiste » s’est constituée en trois strates successives d’analyses critiques.

Celle de chercheurs africanistes, dans les années 1970 et 1980, qui remettent en cause l’explication du retard africain par les conséquences de la colonisation, voire l’existence d’un « néo-colonialisme », en pointant la responsabilité des classes dirigeantes locales, et leurs « modèles de gouvernance brutaux et/ou kleptocratiques ».

Puis celle de nombreux acteurs du secteur du développement et de la coopération, qui décrient, dans les années 1980, l’efficacité des aides internationales à l’Afrique, voire leur utilité.

Celle enfin d’un certain nombre d’essayistes, comme Stephen Smith (Négrologie. Pourquoi l’Afrique meurt, 2003), de décideurs politiques et surtout de médias qui, plus ou moins volontairement, diffusent l’image assez dominante d’une sorte de « malédiction africaine », de fatalité s’abattant sur le continent noir.

Les discours « afro-optimistes » ont pour leur part toujours existé, mais ont pris une vigueur nouvelle.

Grâce au ralliement, dans la deuxième moitié des années 2000, des milieux économiques et entrepreneuriaux, encouragés par les principales institutions financières, les grands cabinets conseils et autres agences de notation.

Cette approche plus positive des perspectives de développement de l’Afrique subsaharienne s’appuie en effet sur des statistiques flatteuses.

Voici les données que rappelle Alain Antil : « une croissance soutenue (plus de 5 %) depuis le début du XXIesiècle ; un flux d’investissements étrangers (IDE) à la hausse, et qui ne touche plus prioritairement, comme précédemment, les seules industries extractives, mais qui s’étend à de nombreux autres secteurs (BTP, commerce, agriculture, information et communication, services financiers, tourisme…) ; d’importantes réserves de minerais et d’énergies fossiles ; des moteurs internes à la croissance qui s’allument les uns après les autres (émergence d’une classe moyenne avide de consommer, urbanisation, meilleure formation des jeunes, densité des infrastructures qui s’améliore, assainissement financier des économies nationales…) ; et le succès de quelques transitions politiques (Ghana, Sénégal…) qui témoigne des avancées de la démocratie sur le continent ».

Serions-nous en train d’assister au décollage réel de l’Afrique, à la sortie de la malédiction d’une « croissance sans développement » ?

La célèbre analyse de l’agronome René Dumont, selon laquelle L’Afrique noire est mal partie (1962, réédition 2012), ne serait-elle plus d’actualité ?

L’Afrique à la recherche de sa voie dans l’économie mondiale

L’essor des classes moyennes fait partie des facteurs d’optimisme. La Banque africaine de développement estime dans un rapport de 2011 que la classe moyenne a triplé en trente ans, représentant dès lors pas moins de 300 millions de personnes.

« Mais elle fondait son étude sur une définition audacieuse de la classe moyenne, où elle incluait tous ceux qui sont en mesure de dépenser plus de 2 dollars par jour, rappelle Jonathan Rosenthal dans The Economist. Environ la moitié de cette classe dite moyenne vit avec moins de 4 dollars par jour. »

La banque sud-africaine Standard Bank comptabilise pour sa part 15 millions de personnes dans 11 des principales économies de l’Afrique subsaharienne – « Près d’un tiers d’entre elles vivent au Nigeria ; presque aucune en Ethiopie »

Si le cabinet McKinsey qualifie le continent de « plus grand gisement d’opportunités commerciales », c’est que le marché intérieur africain est toujours considéré comme relais de croissance mondiale.

Dans le Ramses 2016, Maryne Rondot rappelle que « l’Afrique est devenue le deuxième marché mondial des télécoms, après l’Asie et devant l’Europe et les États-Unis ».

Par ailleurs, alors que seuls 20 % des Africains disposent de services bancaires, « le continent devient également une nouvelle frontière pour le marché bancaire qui atteint des taux de croissance de 35 % dans des pays comme le Kenya ».

Le problème restant cependant l’inégalité d’accès à ces nouveaux biens et services. Ce que rappelle Sylvie Brunel dans L’Afrique est-elle si bien partie ? (2013) : « Pour rendre durable la croissance africaine, des politiques volontaristes de redistribution sont nécessaires.

[Or] les détournements et la prévarication privent d’avenir ceux qui n’appartiennent pas au cercle restreint des privilégiés » (cf. note CLES n°165, 02/07/2015).

Une autre difficulté tient à la question des ressources naturelles, et plus particulièrement énergétiques.

La production d’énergie reste notoirement insuffisante pour soutenir un vrai développement économique : « Rappelons que l’ensemble de l’Afrique subsaharienne ne produit pas plus d’électricité que la seule Corée du Sud ; et encore faut-il préciser que la moitié de cette électricité est produite par l’Afrique du Sud »(Alain Antil).

Orientée vers l’exportation, l’extraction pétrolière notamment, mais plus généralement les matières premières, qui constituent la principale richesse produite, pâtissent du contre-choc enclenché en 2014.

L’effondrement des prix entame la rentabilité des investissements à réaliser, et maintient les pays producteurs dans un état de dépendance à l’égard des marchés extérieurs – l’essoufflement de la demande chinoise étant ici particulièrement problématique.Résultat de recherche d'images pour "culture afrique"

D’immenses défis à surmonter

Sans dynamisme économique et sans tissu productif viable, la très forte pression démographique que connaît – et connaîtra – l’Afrique constitue un danger.

Il nourrit par cascade d’immenses défis, parmi lesquels la gestion des flux de populations et en particulier celle de la dynamique urbaine. On l’oublie parfois, vu d’Europe, mais l’essentiel des flux migratoires et de réfugiés africains se limite au seul continent.

Selon le HCR cité par Alternatives économiques, sur les 4,45 millions de réfugiés africains à fin 2014, 83 % le sont en Afrique même, généralement dans les pays voisins des pays d’origine.

Et ils sont 11, 4 millions, dont plus de la moitié de mineurs, à être déplacés sans quitter leur pays. Fuir la violence ou la pauvreté contribue aussi à entretenir un puissant mouvement d’exode rural.

Or si l’urbanisation est présentée comme une perspective positive, près de 62 % des seuls citadins nigérians vivent en réalité dans des bidonvilles. (cf. note CLES n°164, 25/06/2015).

Un cas emblématique, mais loin d’être isolé.

Le volume et l’intensité de ces déplacements de populations contribuent à entretenir « les flux de l’illicite », qui caractérisent les économies africaines, pour partie informelles, tout en assurant leur insertion dans la mondialisation.

Ce qu’observe sans détours Alain Antil : « La partie illicite des économies africaines participe, à des degrés très variables selon les pays, au dynamisme général. L’Afrique est aujourd’hui soit l’espace d’origine (espèces menacées, trafics humains, matières premières…), soit l’espace de destination (faux médicaments, armes…), soit l’espace de transit (cocaïne,héroïne…) de flux illicites mondialisés. La faiblesse ou la corruption de ses appareils sécuritaires lui donne d’incontestables avantages comparatifs… »

Pour autant, « l’image de l’Afrique est désormais celle d’un continent qui avance à grande vitesse », assure le quotidien Le Monde (23/12/2015).

D’ici dix ans, les investissements français devraient y croître de 75 %, selon l’étude « Une Afrique des Afriques »du cabinet de conseil BearingPoint de décembre 2015.

« D’ici 2020, les sociétés qui n’auront pas fait leur transition africaine ‘seront en retard’, assure le cabinet. » Pour nos entreprises, c’est sans doute le moment de s’intéresser aux potentiels du continent. Comme la géopolitique y invite : sans idées reçues, ni vaines illusions.

Pour aller plus loin :

  • « Où va l’Afrique ? »sous la direction de Alain Antil, in Ramses 2016, rapport de l’Ifri, Dunod, septembre 2015 ;
  • « Tu appartiendras à la classe moyenne, mon fils », par Jonathan Rosenthal, Courrier international & The Economist, hors-série « Le monde en 2016 », décembre 2015-février 2016 ;
  • « L’Afrique, terre de réfugiés et de déplacés », texte et cartes in Alternatives économiques, hors-série « Quel monde en 2016 ? », janvier 2016.