Il y a 20 ans, le show biz africain était frappé par la disparition de Féla artiste Nigérian engagé. Cet artiste a fait de sa musique une redoutable arme de combat pour défier l’establishment politico-militaire, qui gouvernait son pays. Curieusement, deux décennies après son décès, le souvenir de Féla semble s’estomper avec le temps. Heureusement, que son fils Fémi Kuti assure avec bonheur la relève de son défunt père.
Le 2 août 1997, Féla Anikulapo Kuti, chanteur, saxophoniste, chef d’orchestre et homme politique nigérian nous quittait à jamais. Musicien engagé, Féla a consacré toute sa vie à dénoncer les travers de son pays. En effet, dans les années soixante dix, le Nigeria était miné par la corruption entretenue par le pouvoir des militaires.
De son vrai nom Féla Hildegart Ransome, Féla est issu d’une famille bourgeoise Yoruba et grandi dans un univers familial engagé entre son père, le pasteur Ransome-Kuti, qui l’initie très tôt au piano, et sa mère Funmilayo Ransome-Kuti, nationaliste activiste, qui influence son militantisme.
En 1958, parti à Londres pour y suivre des études de médecine, Féla choisit la musique au Trinity College of Music. C’est là qu’il subira l’influence du jazz. Rentré au pays en 1963 son diplôme en poche, Féla a du mal à trouver sa voie entre un boulot de producteur et sa carrière de musicien qui ne décolle pas. C’est finalement en 1969, lors d’une tournée aux Etats-Unis que le déclic se produit : il rencontre Sandra Smith, une militante noire des Black Panthers qui lui expose les idées de Malcolm X. De retour au pays, l’homme n’est plus le même. Un idéal est né. La musique va désormais lui servir d’instrument pour affirmer ses convictions politiques. A rappeler que lors de son séjour londonien, il va rencontrer une jeune métisse nigeriano-américaine, Remilekun Taylor avec qui il se marie et qui lui donnera un enfant : Femi Kuti.
Au titre de son identité musicale, Féla allie le jazz et la soul aux rythmes locaux, le ju-ju et le high-life qui donne naissance à l’afrobeat. Sa propriété s’étend bientôt au-delà même des frontières du pays. Mais très vite, il va s’attirer les foudres du pouvoir militaire qui supporte mal ses satires. En effet, la musique de Féla est accompagnée de paroles en pidgin- l’anglais du petit peuple- contre la dictature militaire, la corruption qui gangrène les élites et décrivent aussi la misère de la rue. Au- delà de ces tableaux sombres, Féla suggère aussi à l’Africain de conquérir sa liberté par un retour aux sources qui lui rendra son identité et sa vérité.
Après la sortie de son album anti militariste Zombie (1976), sa propriété baptisée Kalakuta Republic est entièrement rasée dans un raid militaire au cours de laquelle sa mère âgée de 78 ans est défenestrée. Elle succombera quelques mois plus tard des suites de ses blessures. Féla Kuti est quant à lui plusieurs fois jeté en prison et torturé.
A la faveur du retour des civils au pouvoir, en 1979, Féla fonde un parti politique, le Movement Of the People (M.O.P) et se déclare candidat aux élections de 1983. Des ambitions compromises à la suite de son arrestation à l’aéroport de Lagos en partance pour New York où il devait enregistrer un album. Les autorités lui reprochaient une exportation illégale de devises. Un délit qui lui vaudra cinq ans de prison. Féla sera libéré en 1986 grâce à la mobilisation des artistes en Europe, et à la pression économique des bailleurs de fonds.
Pour la postérité, on retiendra que Féla est resté un artiste très populaire au Nigeria. Sa carrière musicale est riche de 21 albums studio et de trois albums enregistrés en publics. Son tube Shakara de 1972, titre éponyme de l’album fera le tour de l’Afrique.
Comme pour réparer les erreurs de l’Histoire, le gouvernement de l’Etat de Lagos a offert 200.000 euros à la famille de Féla pour la création d’un musée en son honneur, qui devrait être construit près de sa sépulture.
Thierno Saïdou Diakité