L’artiste Kémo Kouyaté est décédé ce mercredi 19 juillet 2017, à l’hôpital sino-guinéen de Conakry. Flashback…
« En art, il y a toujours de l’homme : sujet; l’instrument: objet et moyen ». C’est l’art qui jette entre les deux le point de l’union, souvent de l’unité. Quand l’homme qui joue un instrument réalise sa parfaite fusion dans l’objet et atteint la symbiose, il devient véritablement artiste. Celui qui par son œuvre, s’exprime, s’explique, dévoile aux autres son état d’âme et son état d’être.
L’artiste doit être chercheur, être ici et là-bas. Ici dans la réalité de sa société et là-bas dans la vérité de son imagination créatrice. Il doit être ambitieux, mais d’une ambition tendue vers la recherche du bonheur social, de l’éclosion de ses idées aux dimensions mêmes des aspirations culturelles de son milieu.
Aussi, n’y-a-il pas de point en art. L’art est toujours une virgule dit Léon Fargue, comme pour nous assurer que toutes les vogues, toutes les formes ne sont que les étapes d’un long processus. Elles ne sont que le souffle. La respiration ! La vie. Et tant que vit la vie, cet art ne saurait mourir.
Pour saisir l’art dans son mouvement, dans sa fluidité, il faut avoir plusieurs paramètres. Mais quand l’artiste a décidé de maitriser sa chose en vue d’en tirer la quintessence, il n’épargne plus rien, il devient un inquiétant et truculent touche-à-tout.
Un touche à tout ? Voilà ce qu’est Kémo Kouyaté guitare-médium du quintette Miriam Makéba. Formé à la dure école de la tradition, décontracté mais jamais débraillé, à 28 ans il est déjà un homme d’orchestre au cran irrésistible. Il glisse à toute aise sur tous les instruments cordophones (guitare, cithare, violon…), taquine le piano, fait siffler la flûte, maitrise le balafon.
Kémo Kouyaté est en ce sens innovateur dans la musique guinéenne moderne.
C’est avec lui par exemple que la majestueuse Kora a reçu la place qui lui revient dans notre musique moderne d’aujourd’hui. En vérité c’est un passionné, mais d’une passion raisonnée, un ambitieux sérieux, même noble. Grandir c’est sa devise.
A ses intimes, il dit:
« Je peux jouer presque tous les instruments modernes en quelques semaines et, tous en un laps de temps, seront africanisés ».C’est clair, pour lui, l’art pour l’art, n’est pas l’art.
« Je dois servir l’Afrique si longtemps dépersonnalisée ». Ancien musicien de Balla et ses Baladins, il a le secret des voluptueuses improvisations, des solos savoureux. Musicien du Miriam’s Quintet, il a l’expérience internationale, fertile en citations musicales et fécond en imagination.
Sur sa lancée d’artiste du Peuple, les Sud-africains Leta M’Bulu, Hugh Masekela, Caiphus Semenya, les latinos américains Pacheco et Barreto, les grands Nigérians, Congolais et Européens, sont rencontrés. Il porte encore en lui des marques, dit-il, historiques: «Ils m’ont fait comprendre que toute note de musique est lourde de sens et souvent de conséquences ».
Son jeu de bon aloi est ainsi ponctué par des pulsations sentimentales qui font vibrer tout son être, et font jaillir de son instrument ces notes lénifiantes des rancœurs solitaires ou alors, ces envolées disertes de notes pincées avec force ou titillées avec douceur sublime, qui exorcisent les démons intérieurs des retrouvailles fraternelles.
Pour Kémo, la musique est une manifestation de l’homme. Ce qui explique ses jam-sessions avec Camayenne Sofa, la cantatrice Batrouba, le traditionnaliste Kémoko Condé de l’ensemble instrumental de la « Voix de la Révolution ».
Kémo joue des doigts et du cœur mais aussi des yeux. Avec sa caméra, à chacune de leurs tournées, il réalise un film sur leur séjour artistique. J’en ai visionné en privé et j’ai été séduit par le souffle de talent qui traverse ces oeuvres. C’est un curieux virtuose. Un vrai touche-à-tout, qui veut tout savoir, tout faire.
Au moment où nous écrivons ces lignes, lui est obsédé par son nouvel instrument : le Kemokora, nom conventionnel qu’il donne à cet instrument bizarre. Mariage de la kora et du balafon, conçu par lui-même. Beau mariage, un autre visage de la musique guinéenne.
Justin MOREL Junior
Source: Journal » Horoya » No 2212-RG du 6 mars 1976.