Mamadou Aliou Barry naît en 1946, au lendemain du second conflit mondial, dans une Guinée épuisée par l’énorme effort de guerre, exigé à tous les pays sous domination par leurs métropoles respectives. Les familles laminées par tant de sacrifices, forcément consentis, aspirent désormais à des jours heureux.
Chacun rêve, et ce rêve dans la famille Barry prend la forme d’un beau bébé, que l’on nommera “Mamadou”, l’altération locale du nom du prophète Mahomet (PSL). On lui accolera Aliou, le nom du grand-père. Son père Mamadou Oury Barry est aussi musicien accordéoniste et batteur de l’orchestre Pavillon Bleu de Kindia ; sa mère Mounina Sakho, rigoureuse et cajoleuse guidera ses premiers pas.
Mamadou Aliou fréquente l’École primaire de la presqu’île de Tombo de la 1ère année à la 3e en 1954, et de la 4e au Certificat d’Études primaires en 1958, à la Mission catholique de Conakry. Attiré par la pédagogie, il s’orientera vers l’École de formation des enseignants du Lycée de Donka. Sélectionné parmi les meilleurs élèves des établissements les plus performants, « Il sera engagé pour sauver la révolution culturelle socialiste guinéenne en 1968 ! », confie-t-il. Son titre de ‘’Maître’’, qui lui colle désormais au saxo, vient de là.
Chef d’orchestre du Kaloum Star en 1968, à la fondation duquel il participera vaillamment, Barry est avant tout, un ancien maitre-tambour des Ballets de Conakry1. Une expérience vécue de tambourinaire qui lui donne le sens “flash” du swing et, conduit son style musical à la lisière de la tradition et de la variété moderne. Digne héritier de l’inoubliable saxophoniste Momo Wandel, Maître Barry s’investit intellectuellement dans la recherche de sons et de mélanges audacieux de genres, qui font toute sa différence.
Des rythmes guinéens “doundoumba”, “soli”, “mamaya” à la “biguine” des Antilles, au “R and B” des USA, en passant par le “son montuno” de Cuba, le “soukouss”, le reggae de Jamaïque, le ‘’zouglou’’ de Côte d’Ivoire ou le “Dombolo” de RDC, rien, vraiment rien n’est étranger au souffle instrumental de ce musicien, qu’aucun rythme ne peut surprendre.
En plus, son immense capacité d’improvisation lui ouvre les portes de toutes les musiques. Je n’oublierai personnellement jamais, comment en 1983, au siège de l’UNESCO à Paris, Maitre Barry jaillit de la salle, pour fondre sur le podium et, intervenir de façon lumineuse, avec flûte et saxo, dans un air de samba, que jouait un orchestre brésilien, qu’il n’avait jamais rencontré auparavant !
Sa carrière musicale s’enrichit en 1984, avec la formation en théorie musicale organisée par les Nord Coréens. Directeur musical des Amazones de Guinée, il tournera de mars à juin 1983, avec ces grandes dames de la musique africaine. La même année, par un arrêté ministériel du 21-05-98, il est élevé au rang de Chef d’orchestre national. Il devient un incontournable musicien pour les différents jams qui explosent à Conakry. Complice de Momo Wandel, il participe à l’expérience de Baobab Circus, fonde avec des amis des groupes de « requins » qui squattent les grands bars et dancings de la Capitale. À la Fourchette Magique, à l’Espace culturel « Chez JMJ-Maguy », et « Aux Mille Pattes », il enchante les nombreux mélomanes qui le suivent, avec différentes formations musicales comme le Gombo Jazz, African Groove.
L’album « Niyo » essaie de rendre justice à ce compositeur de la musique de la pièce de théâtre ‘‘La Résistante’’, concoctée avec des artistes belges et camerounais ; à celui qui a tourné 50 fois en Belgique, à ce chef d’orchestre du Gombo Jazz, un groupe de variétés, qu’il a fondé en 2002. Une réalisation du Service de coopération et d’action culturelle, le ‘‘SCAC’’ de l’ambassade de France en Guinée, avec le soutien personnel de M. Christian Mousset, D.G du Festival des Musiques Métisses d’Angoulême, gérant du label et du studio Marabi Productions en France.
Maître Barry sera en résidence de musique en 2003, à Marciac dans le Gers, en France. Durant deux semaines au collège de Jazz de la ville, pour un atelier d’explication de la musique africaine de Momo Wandel Soumah, et sur la fabrication des instruments traditionnels africains. C’est en ces lieux mémorables, qu’il partagera la scène avec le doyen Manu Dibango, à l’occasion du trentenaire du grand Festival de Jazz de la ville.
Désormais enseignant à la retraite, Maitre Barry s’amuse dans cet opus comme un grand enfant, que la chance visite en plein jour. Instants magiques qui lui font oublier les temps de galère et de misère noire qu’il a traversés la tête haute. Sollicité plus que jamais par les institutions nationales et internationales pour les grandes cérémonies officielles et les ateliers de formation, en compagnie des musiciens de passage en Guinée, comme ce fut le cas avec le jazzman de New Orléans, Devin Phillips, en concert live à Conakry. Maître Barry se découvre la vocation généreuse de ‘’musicien-papillon’’. Maître Barry fonctionne plutôt en chef de l’orchestre African Groove qui regroupe des vedettes comme : Rizo Bangoura au chant, Kaloga Belmondo, à la batterie, Malick Condé, à la guitare ou Mouctar Diallo au vocal et guitare medium.
Enfin, retenons que son plus grand souvenir professionnel restera à jamais son séjour à Dinant en Belgique, patrie de l’inventeur du saxophone, dont il jouera de l’un des quatre plus grands spécimens au monde en 2006.
Outre l’album « Niyo », sorti aux éditions World Village, en 2009, Maître Mamadou Aliou Barry et l’Afro Groove Gang sortiront en 2016 l’opus Tankadi. Il participe régulièrement comme saxophoniste à de nombreux spectacles du Bembeya Jazz National, en Europe et aux États-Unis. En Guinée, le podium du palais du Peuple toujours se réjouit toujours de sa présence dans le concert « Regard sur le passé ».
Et quand Maître Barry rencontrait à l’improviste le « griot électrique » Mory Kanté, dans les jardins de Kipé, chez les Morel, c’est un jeu fusionnel qu’ils offraient au public totalement satisfait. Complicité de notes et de mots, ils racontaient tous deux avec sincérité, les moments inoubliables qu’ils ont partagés. La disparition de Mory Kanté le vendredi 22 mai 2020, à 70 ans à Conakry, l’avait véritablement bouleversé.
Marié et père de sept enfants vivants, Maitre Barry est entré innocemment dans la cour des grands ! Et personne ne veut l’en chasser… Le grand enfant est en pleine ‘’re-création’’, laissons-le faire !
Hélas, ce 26 juillet 2022, tandis qu’il était en vacance chez son fils Alias, Maitre Barry est terrasse par une crise qui l’emporte au grand regret de sa famille, de ses amis et du peuple de Guinée.
PS. Notre photo prise le 18 juin 2022.
Justin MOREL Junior
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