Les études de ce type prennent du temps, demandent de l’organisation et de la coopération. Elles doivent de surcroît être guidées par des principes scientifiques, et non par des motivations politiques ou de la posture. Or, pour diverses raisons, l’enquête en cours sur les origines du SARS-CoV-2 a déjà pris trop de temps : les premiers cas ont été déclarés à Wuhan, en Chine, en décembre 2019, soit voici plus de 20 mois.
Comme l’ont rapporté différents médias, le 24 août dernier les agences de renseignement états-uniennes ont transmis au président Joe Biden le résultat de leur recherche sur l’émergence de l’épidémie. (Un résumé de ces travaux était déclassifié et rendu public quelques jours plus tard, ndlr).
Selon un compte-rendu préliminaire publié dans le New York Times, l’enquête ne permet pas encore de déterminer si la propagation du virus a fait suite à un accident de laboratoire a procédé d’une émergence naturelle impliquant un passage de l’animal à l’être humain.
Si l’éventualité d’une fuite en laboratoire demeure une piste à explorer (à condition de parvenir à l’étayer scientifiquement), elle ne doit pas détourner l’attention de l’autre hypothèse qui, si l’on se base sur les données actuellement disponibles, devrait mobiliser l’essentiel de notre énergie… En effet, plus le temps passe, moins les experts seront en capacité de déterminer les origines biologiques du virus.
Six recommandations pour la suite de l’enquêteJe fais partie des experts qui sont partis à Wuhan en début d’année dans le cadre de l’enquête de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) destinée à faire la lumière sur la question de l’origine du SARS-CoV-2. Nous avons constaté que les preuves disponibles indiquent bien que la pandémie a débuté à la suite d’une transmission « zoonotique » du virus, c’est-à-dire d’un transfert d’un animal à l’être humain.
Notre enquête a donné lieu à un rapport, publié en mars 2021, dans lequel nous formulons plusieurs recommandations concernant les travaux à envisager ensuite. Il est désormais urgent de s’atteler à concevoir les études scientifiques qui permettront de les mener à bien.
Le 25 août dernier, avec d’autres rédacteurs de ce rapport, nous avons publié un article dans la revue Nature pour plaider en ce sens. Nous sommes en train de perdre un temps précieux, qui pourrait être consacré à approfondir six axes de recherche en vue d’en apprendre davantage sur l’origine du coronavirus. Ces axes, prioritaires selon nous, sont les suivants :
- Les études de traçabilité supplémentaires, basées sur les rapports initiaux ayant fait état de la maladie ;
- Les enquêtes visant à analyser les anticorps spécifiques du SARS-CoV-2 développés par les malades vivant dans les régions où se sont déclarés les premiers cas de Covid-19. Ce point est important, car dans de nombreux pays (dont l’Italie, la France, l’Espagne et le Royaume-Uni), les preuves qui auraient permis d’étayer les cas des détections précoces du coronavirus se sont avérées non concluantes ;
- Les enquêtes de traçabilité menées dans les communautés qui entretenaient des relations avec les fermes d’élevage d’animaux sauvages qui fournissaient les marchés de Wuhanhave often reported inconclusive evidence of early COVID-19 detection
- Les études destinées à évaluer les risques représentés par les potentiels animaux hôtes. Il peut s’agir de l’hôte primaire (tels les chauves-souris), d’hôtes secondaires ou d’animaux qui auraient joué le rôle d’amplificateurs ;
- Les analyses détaillées des facteurs de risque des flambées précoces, où qu’elles se soient produites…
- Le suivi de toute nouvelle piste crédible.
Une course contre la montre est engagéeLe temps est un facteur essentiel s’agissant de la faisabilité de certaines de ces études. On sait par exemple que les anticorps anti-SARS-CoV-2 apparaissent ainsi environ une semaine après qu’une personne ait été infectée par le virus et se soit rétablie, ou après avoir été vaccinée.
Mais leur concentration décroit au fil du temps – analyser des échantillons prélevés maintenant chez des personnes qui ont été infectées en décembre 2019, voire avant, pourrait s’avérer plus difficile, et ce problème n’ira pas en s’arrangeant à mesure que le temps va passer.
Se baser sur l’analyse des anticorps présents dans la population générale pour faire la différence entre vaccination, infection naturelle ou infection secondaire (surtout si l’infection initiale a eu lieu en 2019) est également problématique.
Par exemple, après une infection par le virus, une gamme d’anticorps spécifiques du SARS-CoV-2, dirigés contre la protéine Spike ou contre la nucléoprotéine, est détectable pendant des durées variables, à des concentrations variables et selon des capacités de neutralisation du coronavirus variables également.
Dans le cas de la vaccination, selon le vaccin utilisé, il se peut que seuls les anticorps à détecter soient ceux dirigés contre la protéine Spike soient détectés, lesquels diminuent également au fil du temps.
Un consensus international concernant les méthodes de détection utilisées en laboratoire est également nécessaire. Ces derniers mois, les différences entre les protocoles d’analyse employés ont en effet donné lieu à des discussions sur la qualité des données recueillies dans diverses endroits du globe.
Or, parvenir à un accord sur les techniques de laboratoire à mettre en œuvre dans les études sérologiques et génomiques, ainsi que sur l’accès aux échantillons et leur partage (tout en tenant compte les questions de consentement et de respect de la vie privée) prend… du temps.
Et il faut également du temps pour obtenir des financements… Pour toutes ces raisons, le temps est une ressource que nous ne pouvons pas nous permettre de gaspiller.
Les contraintes du terrainEn outre, à Wuhan, de nombreuses fermes d’élevage d’animaux sauvages ont fermé suite à l’épidémie initiale, généralement sans aucun contrôle. Avec la dispersion des animaux et des êtres humains qui en a résulté, il est de plus en plus difficile trouver des preuves biologiques chez les uns ou les autres de la propagation précoce du coronavirus.
Heureusement, certaines analyses peuvent quand même encore être menées. Parmi elles figure notamment l’examen des études de cas initiales, et des études portant sur les donneurs de sang à Wuhan et dans d’autres villes chinoises (ainsi que dans tous les endroits où les génomes viraux ont été détectés précocement).
Il est important d’analyser la progression ou les résultats de ces études menées par des experts locaux qu’internationaux, mais aucun mécanisme permettant ce type de vérification n’a encore été mis en place.
Depuis le mois de mars et la publication du rapport de l’OMS, de nouveaux éléments sont apparus. Ceux-ci, tout comme les données de notre rapport, ont été examinés par des scientifiques indépendants. Ces derniers sont arrivés à des conclusions similaires à celles du document de l’OMS, à savoir :
- le réservoir naturel du SARS-CoV-2 n’a pas encore été identifié ;
- les espèces clés (en Chine ou ailleurs) pourraient ne pas avoir été testées ;
- il existe des preuves scientifiques substantielles étayant l’origine zoonotique de la pandémie.
Un pas en avant, un pas sur le côté…Si la possibilité d’un accident de laboratoire ne peut être totalement écartée, elle est hautement improbable, compte tenu des contacts répétés entre l’être humain et l’animal qui surviennent régulièrement dans le cadre du commerce des animaux sauvages.
Pourtant, l’hypothèse du coronavirus échappé d’un laboratoire continue de susciter l’intérêt des médias, en dépit des preuves disponibles… Ces discussions, plus politiques que scientifiques, ralentissent encore la coopération et l’obtention des accords nécessaires pour faire progresser les études requises par la seconde phase du rapport de l’OMS.
L’Organisation mondiale de la santé a demandé la création d’un nouveau comité chargé de superviser les futures études sur les origines du coronavirus SARS-CoV-2. L’initiative est louable, mais elle risque de faire prendre davantage de retard sur le planning envisagé pour lesdites études…