Mais à l’échelle individuelle, un certain nombre de gestes barrières numériques peuvent tout de même se mettre en place, à la maison, et aider à reprendre la main sur les écrans. Dans une relation renouvelée entre parents et enfants, adultes et jeunes, il s’agit de se donner un projet et d’acquérir de bons réflexes.
Le Conseil de l’Europe, par le biais de son programme-cadre « Éducation à la Citoyenneté Numérique », composé de chercheurs et praticiens de l’éducation aux médias et au numérique, propose trois dimensions de la citoyenneté en ligne : être en ligne, bien-être en ligne et savoir devenir en ligne, en toute connaissance de ses droits et responsabilités.
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Ces dimensions peuvent, métaphoriquement, être l’équivalent numérique des trois gestes barrières pandémiques : se laver les mains, porter un masque et apprécier la bonne distanciation. En les appliquant à la situation de confinement, les parents et les enseignants peuvent eux-mêmes les tester avec les jeunes et les enfants, face aux divers écrans, en équilibrant toujours les opportunités et les risques, pour garder la curiosité de l’apprendre.
Être en ligne (se laver les mains)
L’accès à l’information en ligne peut être déconcertant, même si on est né à l’ère des écrans connectés. Les gestes du « lire, écrire et compter » acquis à l’école ne suffisent plus et ne se pratiquent plus comme avant – de même que se laver les mains en pleine pandémie réclame plus de temps et de savon.
Ainsi, lire un article pour en vérifier la source ne passe pas nécessairement par une lecture linéaire de bout en bout, avec une recherche sur le nom de l’auteur. Des stratégies plus dynamiques sont possibles, comme d’ouvrir plusieurs onglets, de vérifier les URL (l’adresse de la ressource) et de croiser les informations en allant sur plusieurs moteurs de recherche.
C’est intéressant de voir qu’ils ne produisent pas les mêmes résultats pour une même requête. S’interroger sur le pourquoi peut mener à de belles discussions familiales – parce qu’ils reflètent l’historique de navigation de chacun ! Cela permet aussi de passer par des chemins de traverse et ne pas rester sur les seules autoroutes des l’information que sont Google, Yahoo ! Yandex ou Baidu ! Aller faire une balade sur Lilo ou Ecosia peut révéler d’autres univers insoupçonnés et faire du bien à l’environnement.
Mais écrire a changé aussi et permet des usages très créatifs, par exemple grâce à la variété des polices de caractères. Pour s’assurer qu’on cite bien ses sources et qu’on ne plagie pas ou ne désinforme pas, insérer des hyperliens, et donc renvoyer à d’autres textes, est un geste simple et efficace.
Connecter source et destination, permettre la navigation entre son écrit et celui d’autres auteurs avant de publier, ce sont des stratégies dynamiques, qui montrent aussi que l’on sait naviguer entre plusieurs couches d’idées et contribuer en ligne.
Le simple fait de rechercher sur l’encyclopédie contributive Wikipédia les articles qui font référence à son univers proche (sa ville, son quartier, son équipe de sport, sa recette de cuisine…) est source d’inspiration et change le regard sur la connaissance : il est possible de devenir « éditeur » et de modifier une page, même modestement, ou d’y insérer une image. Pas de panique, il y a un bac à sable pour s’entraîner. Et cela contribue aux biens communs de l’information…
Bien-être en ligne (porter un masque)
Pour une bonne hygiène en ligne, face aux désordres de l’information que sont le discours de haine, le cyberharcèlement ou l’infox, il faut être capable d’éthique et d’empathie. Pour être respecté en ligne, il faut soi-même être respectable. De même que pour protéger les autres il faut se protéger soi-même, comme le port du masque nous le rappelle : celui-ci en fait ne vise pas à cacher mais à filtrer. En ligne aussi, il faut savoir filtrer.
Une certaine nétiquette peut être développée par rapport aux désordres de l’information, notamment bien réfléchir avant de liker, poster ou retweeter. Certaines désinformations fort toxiques sont créées dans le simple but d’être viralisées en ligne, sur les médias sociaux. Elles sont là pour manipuler les émotions mais ce n’est pas sans conséquences sur la vie réelle, dont certaines sont politiques et sociales, comme la polarisation, la montée du racisme ou la radicalisation.
Les infox jouent sur notre capacité à l’empathie, qui est une réaction affective liée aux émotions des autres, d’autant plus sollicitée que cette empathie est partagée sur les réseaux sociaux, et est hautement contagieuse.
Si l’empathie est liée à la compassion et peut conduire à de l’engagement positif pour des causes, en ligne comme dans la vie réelle, elle peut aussi être manipulée. Les recherches montrent que les émotions les plus fortes en lien avec la désinformation sont la colère et la peur. Elles suscitent des réactions de base comme le repli sur soi (pour la peur) ou la violence (pour la colère).
Les études sur la viralité montrent à quel point les fausses informations connaissent une forte amplification sur une période de temps très réduite. En outre, les sujets abordés sur les comptes non fiables sont liés à des questions clivantes, ce qui valide le rôle des émotions comme contagion empathique « à chaud ».
Quand on a des doutes sur une information, toutes sortes de filtres sont possibles. Le premier filtre est de ne pas la transmettre, pour revenir de nos émotions, comme le suggère l’initiative canadienne « prends 30 secondes avant d’y croire ». Cela laisse le temps à l’esprit critique de reprendre le dessus et de se poser les questions de base :
Ce compte pousse-t-il des contenus sensationnels ?
Dénigre-t-il régulièrement les médias de référence ?
Amplifie-t-il des propos haineux ?
Puis, si on a le temps, de la vérifier soi-même, avec des outils en ligne comme InVID qu’on peut télécharger sur son ordinateur. Et, si on n’a pas le temps, d’aller sur des sites professionnels de fact checking comme AFP factuel et vrai ou fake sur France info.
Mais cela permet aussi de réfléchir à ses propres émotions et à ses biais cognitifs. Partager les fois où l’on s’est fait piéger par une fake news permet de se soulager et de faire un petit point sur ses propres habitudes en ligne. Cela rappelle à point nommé que nos propres biais cognitifs nous induisent en erreur.
Si une information sur le coronavirus vous est envoyée par un ami qui dit la tenir d’un oncle qui connaît quelqu’un à l’hôpital de Wuhan, demandez-vous d’où vient cette démangeaison d’y croire : est-ce un biais de confirmation ? Un effet de halo ? Un biais d’influence continue ? Pour dédramatiser, vous pouvez même vous amuser à faire des tests en ligne.
Savoir devenir en ligne (apprécier la bonne distanciation)
Ces enjeux émotionnels ont un poids sur la construction de l’identité des jeunes et sur leur présence en ligne. Et ils sont souvent sous-estimés par des adultes qui se préoccupent des dangers qui les inquiètent eux d’abord (comme le cyberharcèlement). Les sujets qui préoccupent les jeunes ont avant tout lien à leur construction identitaire et à leur e-réputation ou leur popularité en ligne. C’est ici qu’il faut apprécier la bonne distance et la bonne échelle d’interaction.
Les recherches indiquent que les consignes sécuritaires de base sont en fait relativement intégrées par les jeunes, et qu’ils savent protéger leur vie privée. De nouvelles stratégies peuvent leur être rappelées, selon leur âge. Comme aller sur des moteurs de recherche qui ne tracent pas – Qwant junior ou DuckDuck go, par exemple – ou encore faire le réglage de paramètres de sécurité sur leurs médias sociaux ou désactiver leur localisation – le mode Ghost sur Snapchat). Facebook s’y met aussi avec Facebook Container, une extension de navigateur qui isole l’identité des internautes de Facebook et Instagram dans un onglet séparé, rendant le suivi des activités plus difficile à tracer.
Mais une attitude passive ou réactive n’est pas la seule solution. La citoyenneté suppose d’être, a minima, informé des droits et recours possibles. Cela peut impliquer un réel dialogue de confiance entre adultes et adolescents. Le signalement (à distinguer de la dénonciation nocive) peut désormais se faire sur une plateforme publique comme Pharos où le cas sera vérifié par des tiers de confiance.
Dans le cadre de la désinformation comme du discours de haine, les médias sociaux et les moteurs de recherche se trouvent face à des obligations de service public, avec des lois à connaître, comme celle relative à la lutte contre la manipulation de l’information.
Gérer son temps en ligne est crucial, et pas seulement parce qu’amplifier de la désinformation est toxique pour les sociétés démocratiques. Consommer de la désinformation génère du trafic et du profit, souvent aux dépens du consommateur non averti. C’est un modèle d’affaires fondé sur le recueil et l’extraction de données qui est ici à questionner. Il implique de faire rester les utilisateurs le plus longtemps possible sur leurs ordinateurs et leurs smartphones.
Le choix des informations qui nous sont montrées est aussi important que le choix des informations collectées. Ces données en ligne sont de l’or pour de nombreuses entreprises qui sont prêtes à payer pour la valeur marchande des profils d’usagers, que ce soit pour leur vendre des produits, des services ou des opinions politiques, notamment lors d’élections où le pistage et le ciblage préélectoral deviennent des enjeux clés.
La gestion du temps passe par une participation active et l’écriture créative et contributive, du type réfutation ou contre-argumentation, comme le suggère le site du Cortex qui propose des exemples ludiques pour apprendre à gérer les erreurs logiques tout comme les attaques.
Même si les recherches montrent que les correctifs ne touchent pas le même public que celui qui a consommé l’infox ou qu’ils sont majoritairement discutés lorsque le sujet s’essouffle, cela n’empêche pas de contribuer et d’assainir les biens communs de l’information. Corrigez, corrigez, il en restera toujours quelque chose, pour détourner la célèbre formule elle-même détournée de Voltaire.
Face à l’écran numérique, il reste aussi la bonne vieille technique analogique du post-it sur le frigo, sur lequel on peut coller une petite checklist confectionnée maison… avec des outils numériques. On peut ainsi se forger sa petite boîte à outils, pas trop lourde, mais qui peut se décliner en kit de survie collectif. À partager sans modération.