Les femmes seraient-elle épargnées de par leur constitution biologique ? Seraient-elles naturellement protégées par leurs gènes et leurs hormones ? La réalité est probablement bien plus complexe.

L’hypothèse hormonale mise à mal par les chiffres

L’hypothèse d’une protection hormonale est régulièrement reprise dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ainsi le New York Times titrait le 27 avril : « Est ce que les oestrogènes et autres hormones sexuelles peuvent aider les hommes à survivre à la Covid ? ».

L’article se faisait l’écho de deux essais cliniques en cours aux États-Unis, visant à évaluer les effets de l’administration d’oestrogènes ou de progestérone (des hormones gonadiques présentes en plus forte concentration chez les femmes que chez les hommes), chez des patients présentant des symptômes modérés de la maladie. À ces essais cliniques s’en ajoute un troisième, qui étudie l’influence de la réduction médicamenteuse du taux de testostérone (hormone sécrétée par les glandes surrénales, présente en plus grande quantité chez les hommes que chez les femmes) sur l’évolution de la maladie.

Dans l’attente de la publication des résultats, certains scientifiques ont exprimé leur scepticisme sur la pertinence de ces essais cliniques. L’hypothèse hormonale est en effet en contradiction avec le fait que, dans la population des personnes âgées les plus vulnérables, les femmes ménopausées sont plus résistantes que les hommes, malgré des taux d’hormones gonadiques très bas.

D’autres recherches suivent la piste de facteurs génétiques liés au sexe impliqués dans les défenses immunitaires et dans les mécanismes d’entrée des coronavirus SARS-CoV-1 (responsable de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère de 2002-2003) et SARS-CoV-2 dans les cellules. Si ces résultats ouvrent des pistes qui pourraient participer à expliquer les différences observées entre les sexes en matière de développement de la maladie, ils sont à ce jour bien trop préliminaires pour envisager des stratégies thérapeutiques différentes selon le sexe.

La plus forte mortalité des hommes n’est pas une règle absolue

Un éclairage nouveau sur les différences entre les sexes dans l’infection et la mortalité de la Covid-19 est apporté par les données épidémiologiques et démographiques rassemblées depuis le début de la crise et publiées récemment. Le groupe de recherche « GenderSci Lab », dirigé par Sarah Richardson, professeure à l’Université de Harvard, a entrepris de recenser tous les cas les cas de Covid-19 depuis mi-avril dans les 50 états des États-Unis.

Ces chiffres, mis à jour chaque semaine, révèlent que la plus forte vulnérabilité des hommes n’est pas une règle absolue. Les différences entre les sexes dans la prévalence (nombre de cas de la maladie à un instant donné) et la mortalité sont en effet très variables d’un état à l’autre. Les états du Dakota, du Kentucky, du Massachusetts et de Rhode Island présentent ainsi les plus forts taux de mortalité chez les femmes (53 à 56 %). Inversement, dans les états de New York, de l’Oregon, de la Californie et du Nevada, la mortalité des hommes est la plus élevée (56 à 58 %).

Il est important de noter les chiffres bruts peuvent être trompeurs. Un état où les femmes meurent davantage peut être un état où la population féminine est la plus nombreuse. Il convient donc de rapporter le pourcentage de morts de la Covid-19 au nombre de femmes et d’hommes dans la population de chaque état. Un autre facteur à inclure dans les statistiques est la pyramide des âges de la population, sachant que les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes.

Quand le facteur âge est pris en compte, la surmortalité des hommes est certes plus fréquente, mais elle présente de fortes variations. Dans les états de New York, du Texas, et du New Jersey, deux fois plus d’hommes que de femmes ont succombé à l’infection, comparativement aux taux habituels de mortalité. En revanche, dans les états du Kentucky, du Maine, du New Hampshire, de l’Utah, et du Vermont, autant d’hommes que de femmes sont décédés de la Covid-19.

La variabilité des données chiffrées se retrouve à l’échelle de la planète. Les hommes représentent plus de 70 % des morts de la Covid-19 en Thaïlande, au Bangladesh, à Haïti et au Costa Rica. Leur taux de mortalité est toutefois inférieur à 50 % au Canada, en Finlande, en Irlande, en Estonie et en Slovénie. En France, les hommes représentaient 60,3 % des décès recensés jusqu’en mai 2020.

Importance des facteurs de risque liés au sexe et au genre

À l’évidence, les statistiques brutes sur les différences de mortalité entre les sexes sont vides de sens en l’absence de données complémentaires liées au contexte de la prévalence de la pandémie.

Un élément majeur à prendre en compte est celui de la comorbidité, à savoir les autres maladies qui, pour une tranche d’âge donnée, peuvent affecter différemment les femmes et les hommes. Les maladies cardiaques et pulmonaires, le diabète, l’asthme, les pathologies qui touchent les reins et le foie sont des facteurs de risque avérés. Or, la prévalence de ces maladies est variable selon l’environnement social, culturel, économique, etc.

Aux États-Unis, le diabète est plus fréquent chez les hommes, tandis qu’en Afrique du Sud, les femmes sont les plus touchées. L’asthme affecte davantage les femmes aux États-Unis, mais frappe plutôt les hommes en Italie. Dans la population afro-américaine, les pathologies cardiaques sont plus fréquentes chez hommes que chez les femmes, et ce en proportion plus importante que dans le reste de la population.

D’autres facteurs de risque liés au genre doivent également être considérés dans les différences de vulnérabilité à l’infection : consommation d’alcool, tabagisme, activités professionnelles, codes sociaux, lieu de vie, accès aux soins, suivi des consignes de prévention, etc. Qu’il s’agisse de la Covid-19 ou d’épidémie passées, le contexte social et culturel est un élément clé pour comprendre la disparité entre les sexes dans la susceptibilité à l’infection.

Des précédents historiques

Lors de la pandémie de grippe espagnole en 1918, la maladie a frappé majoritairement les hommes, en particulier les militaires et les travailleurs manuels. Ces populations étaient les plus exposées aux contacts de proximité. Elles étaient aussi plus souvent atteintes de tuberculose, donc plus fragiles. La mortalité des hommes de classes aisées était par ailleurs la même que celle les femmes.

Dans les infections par coronavirus tels que le SARS-CoV-1 et le MERS-CoV (coronavirus responsable du syndrome respiratoire du Moyen-Orient), les hommes ont aussi été plus atteints que les femmes. Or, dans ces deux cas, le contexte social a joué un rôle déterminant.

Pour le SARS-CoV-1, la mortalité enregistrée pour les hommes était initialement supérieure de 10 % à celle des femmes. Cependant, après avoir pris en compte les facteurs liés à l’âge, la comorbidité, l’activité professionnelle et le mode de vie, les taux de décès se sont finalement avérés similaires pour les deux sexes. Quant au MERS-CoV, les hommes âgés en ont été les victimes majoritaires, et pour cause : ce sont eux qui s’occupent des chameaux, les animaux à l’origine de la transmission du virus à l’être humain.

Se méfier des données brutesAu final, avant de tirer des conclusions hâtives sur une vulnérabilité à la Covid-19 qui serait simplement liée au sexe biologique, comme peuvent le laisser croire les données brutes, il est indispensable de mener des analyses rigoureuses qui prennent en compte tous les facteurs de risques liés à la susceptibilité au coronavirus et à la sévérité de l’infection, depuis l’âge jusqu’aux comorbidités, en passant par les conditions de vie, les facteurs socioculturels, etc.

Pour sensibiliser les scientifiques, médecins, institutions de santé publique, enseignants et médias aux problématiques des biais statistiques et de la nécessaire intégration des facteurs liés au sexe, au genre et au contexte social dans les recherches et la communication sur le Covid-19, le « GenderSci Lab » a publié un guide de recommandations.

Si l’on veut comprendre les mécanismes de l’infection par le SARS-CoV-2 et de sa transmission, il est impératif de prendre en compte le processus d’interaction entre le sexe et le genre. L’appréhension de cette dimension incontournable de l’épidémie permettra d’améliorer l’efficacité des stratégies de prévention.


Pour aller plus loin :

Vidal C., Salle M. « Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? », Belin 2017.

 

  • Auteur

    1. Neurobiologiste, membre du Comité d’éthique de l’Inserm, Inserm