L’annonce du test positif de M. Trump a suscité une immense vague de schadenfreude collective, sans doute la plus importante de l’histoire de l’humanité.
Prendre plaisir à ce qu’une autre personne soit malade est généralement le signe que l’on a perdu ses repères moraux. Dans ce cas précis, toutefois, ce manque de sympathie doit beaucoup au comportement passé de Trump. Non content de mettre en œuvre des politiques perçues par la majorité comme cruelles et de multiplier les mensonges sur les sujets les plus variés, le président a également, depuis le début de l’épidémie, cherché à semer la dissension au sein de son propre pays et dans le monde entier sur le danger que représente la Covid-19.
Aux États-Unis, ses adversaires et détracteurs n’ont pas manqué de lui souhaiter publiquement un prompt rétablissement. Mais au niveau international, la situation est plus ambiguë. Trump n’est pas le président de toute la planète, bien sûr, et beaucoup voient en lui une menace pour l’humanité et l’environnement.
Des études récentes réalisées par le Pew Research Center montrent à quel point le président américain est impopulaire dans le monde entier. Et même des observateurs habituellement optimistes ont annoncé qu’une réélection de Trump pourrait signifier ni plus ni moins que la mort de la démocratie aux États-Unis.
Il est permis de considérer que la meilleure issue à la présidence de Trump serait qu’il se remette rapidement et soit nettement battu le 3 novembre.
Mais que se passera-t-il s’il ne se rétablit pas rapidement ? L’incertitude règne sur un certain nombre de fronts.
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Beaucoup dépendra de l’évolution de sa maladie
À 74 ans, et même s’il reçoit bien évidemment les meilleurs soins médicaux, Trump appartient à une catégorie à haut risque. Pour de nombreux malades, les symptômes ressemblent à ceux de la grippe : souvent assez légers au départ, mais susceptibles de dégénérer rapidement, surtout si les personnes ayant contracté la maladie développent des complications respiratoires.
Il existe des rapports contradictoires en provenance de Washington sur l’état physique actuel de Trump, et beaucoup dépendra de ce qui se passera dans les prochains jours.
Tout d’abord, si le président en exercice meurt, il existe une longue file de succession, qui commence par le vice-président, en l’occurrence Mike Pence. Ce ne serait pas sans précédent : huit présidents américains sont décédés dans l’exercice de leur fonction. Le premier d’entre eux, William Harrison, est mort d’une pneumonie après seulement un peu plus d’un mois de mandat, en 1841.
Après le vice-président, la loi prévoit un ordre de succession clair, composé de nombreux responsables, au premier rang desquels la personnalité qui préside la Chambre des Représentants – aujourd’hui la démocrate californienne Nancy Pelosi, dont les relations avec Trump sont glaciales.
Les choses sont rendues encore plus compliquées par le fait que de plus en plus de personnes appartenant au cercle rapproché de Trump sont testées positives chaque jour.
Même si Trump ne meurt pas, que se passera-t-il s’il est atteint d’une longue maladie ? Que se passera-t-il si Pence, qui a été testé négatif, contracte également le virus dans les prochains jours ? Et si ni l’un ni l’autre n’est en état de se présenter à l’élection qui se profile à l’horizon dans moins d’un mois, comment le processus se déroulera-t-il ?
Si Trump et Pence se retrouvaient tous deux incapables de faire campagne parce qu’ils ont contracté le virus, ce serait vraiment sans précédent. Les Américains ont connu des élections controversées par le passé : il est arrivé qu’aucun des candidats ne reçoive le nombre requis de votes du collège électoral, ce qui a abouti à la désignation du président par un vote de la Chambre des représentants ; il est arrivé, aussi, que le vainqueur du vote populaire ne remporte pas la présidence.
Ce qui est sûr, c’est que si Trump et Pence étaient tous deux dans l’incapacité de concourir, le Comité national républicain aurait des choix difficiles à faire, et il devrait les faire rapidement.
L’élection aura probablement lieu le 3 novembre
À ce stade, un report de l’élection est extrêmement improbable. Cela nécessiterait l’autorisation du Congrès, sachant que le 20e amendement de la Constitution exige qu’un président commence son nouveau mandat le 20 janvier. Cette disposition avantage Biden : les démocrates de la Chambre, où ils sont majoritaires, n’accepteraient pas de changer la date du scrutin.
Cependant, même si Trump ne développe qu’une version légère de la maladie, cet épisode aura eu un impact majeur sur la campagne. Les informations sur l’état de santé du président, on l’a dit, sont contradictoires. Certains rapports suggèrent qu’il va mieux et qu’il est de bonne humeur ; d’autres suggèrent qu’il a déjà reçu une supplémentation en oxygène.
Il est peu probable que les débats présidentiels se poursuivent, et Trump ne reprendra pas sa campagne de sitôt. À court terme, sa présence dans la campagne sera virtuelle. Si un républicain doit passer du temps dans des États clés, ce sera Pence.
Si Trump se rétablit, il cherchera à profiter de cette séquence pour projeter une image de force, celle d’un président « guerrier » qui a combattu et vaincu la Covid-19. La création et l’entretien d’une image de force et de virilité a toujours été au cœur de la présidence de Trump, un homme qui n’aime pas les images de faiblesse.
Dans un article controversé, le journaliste Geoffrey Goldberg affirme que Trump ne comprend pas la notion d’héroïsme et conclut que le président, bien qu’« il adore organiser des défilés militaires », n’aime pas que des vétérans blessés soient visibles lors de ces défilés.
Mal à l’aise face aux mutilés, se moquant sans cesse de ceux qu’il considère faibles et inférieurs, le président, s’il se rétablit, pourrait réapparaître à la fin du cycle électoral avec une nouvelle assurance, se vantant de ses exploits personnels face à ce qu’il appelle la « peste chinoise ». Sa base se délecterait de telles images.
Quid de Joe Biden ?
Il n’en reste pas moins que cette situation est de nature à avantager le candidat démocrate.
Si Biden, qui a 77 ans, reste en bonne santé, il dispose d’une certaine latitude pour décider où et comment il fera campagne. Bien sûr, il continuera d’adresser ses vœux de prompt rétablissement au président et à la première dame ; mais comme il n’a cessé, depuis des mois, de dénoncer l’échec de Trump dans la lutte contre la pandémie, la maladie sera sans aucun doute le thème dominant de cette élection, ce qui est parfaitement normal.
Étant donné que plus de 200 000 Américains sont morts – et que la plupart d’entre eux, contrairement au président, n’ont jamais eu de médecin personnel, n’ont pas été envoyés d’urgence à l’hôpital Walter Reed et n’ont pas reçu de médicaments tels que le remdesivir antiviral pour raccourcir leur séjour à l’hôpital –, Biden semble voué à consolider son avance.
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Si les deux débats restants n’ont pas lieu, Biden évitera de répondre à la question délicate sur ce qu’il fera si les républicains insistent pour organiser au plus vite un vote visant à faire nommer à la Cour suprême la candidate de Trump, Amy Coney Barrett.
Les républicains, menés par Mitch McConnell, chef de la majorité au Sénat, feront tout leur possible pour que ce vote puisse avoir lieu, afin de consolider la majorité conservatrice à la Cour suprême. Cependant, trois sénateurs républicains ayant récemment contracté le virus, un vote avant la présidentielle n’est pas garanti. Encore une fois, plus l’incertitude dure et plus le nombre de sénateurs infectés est élevé, plus Biden aura de chances d’obtenir que ce vote crucial n’ait pas lieu avant le 3 novembre.
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Mais comme Trump l’a récemment dit au journaliste Bob Woodward dans Rage, le livre controversé dans lequel le président a admis savoir à quel point ce virus était sérieux alors même qu’il avait publiquement minimisé la menace pour le peuple américain, « quand vous dirigez un pays, il y a tout le temps des surprises. Il y a de la dynamite derrière chaque porte. »
On peut en dire autant de l’élection présidentielle de 2020.