Dans une interview accordée à Sputnik, le Dr Abdelkader Soufi, expert algérien en études stratégiques et politiques de défense, estime que «sans la sagesse de l’ensemble des acteurs engagés et sans résolution pacifique, la Libye sera l’arène de tous contre tous, celle de la 3e Guerre Mondiale assurée et sans vainqueur».
Lors de sa visite de travail les 21 et 22 juillet à Moscou, le ministre algérien des Affaires étrangères Sabri Boukadoum a alerté dans un entretien accordé à RT Arabic sur «certains comportements qui risqueraient de mener, volontairement ou pas, à la division de la Libye».
Pointant le danger d’une guerre qui pèse sur l’Algérie, l’Égypte et la Tunisie, voisins directs de la Libye, ou sur le Tchad, le Niger, le Soudan et le Mali, M.Boukadoum a mis l’accent sur la nécessité d’une solution politique dans ce pays conformément aux «principes de la conférence de Berlin, à laquelle avaient pris part l’Algérie ainsi que toutes les parties libyennes».
Dans un entretien accordé à Sputnik, le Dr Abdelkader Soufi, enseignant à l’université de Blida en Algérie et expert en études stratégiques et politiques de défense, met en garde contre le risque que le conflit libyen serve de détonateur pour une troisième Guerre Mondiale. Il y dénonce l’intervention turque qui a compliqué davantage la situation, semant d’embuches le chemin vers une solution.
Une troisième «Guerre Mondiale assurée et sans vainqueur»
«Le bourbier Libyen est un piège dangereux, un véritable gouffre, une hécatombe pour les armés», juge le Dr Soufi qui souligne que depuis 2011, «la Libye est devenue un champ de manœuvre et d’affrontement de toutes sortes d’intérêts internes avec des imbrications externes».
«Sans sagesse de l’ensemble des acteurs engagés et sans résolution pacifique, elle sera l’arène de tous contre tous, celle de la 3e Guerre Mondiale assurée et sans vainqueur», prévient-il.
Commentant le propos du chef de la diplomatie algérienne, l’expert ponctue que «malgré le sommet de Berlin en janvier 2020 où les chefs d’État présents ont souscrits aux principes de respect de l’embargo des Nations unies sur les armes à destination de la Libye et de non-ingérence dans le conflit qui y sévit, les événements contredisent ces accords».
Et pour cause, le spécialiste relève que dans ce conflit, «la Turquie tente de faire cavalier seul et parait ne se soucier ni de l’Europe ni de l’Otan, et encore moins du Président Emmanuel Macron qui l’a accusée de responsabilité criminelle et historique en Libye».
Dans ce contexte, le Dr Abdelkader Soufi rappelle l’incident en Méditerranée entre la frégate française Courbet, en mission officielle de l’Otan pour faire respecter l’embargo sur les armes, et les forces navales turques. Ces dernières s’étaient opposées au contrôle d’un bâtiment tanzanien soupçonné d’en transporter vers la Libye.
En effet, selon le Dr Soufi, lors de l’audition de l’ambassadeur de Turquie à Paris par le Sénat, alors que ce dernier avait déclaré que le bateau était chargé d’aides humanitaires, «le président du Sénat a affirmé qu’il s’agissait d’armes à destination de la Libye». Tous les intervenants «ont reconnu l’acheminement des armes par voie maritime, aérienne, terrestre et le recours à des mélisses de mercenaires venus du Tchad, du Soudan, de Syrie et d’Irak», ajoute-t-il.
«Aucun compte à rendre est la devise de la Turquie»
Avec le déploiement d’experts militaires turcs et «de plus de 11.600 mercenaires» déplacés de Syrie vers la Libye, «la Turquie laisserait apparaître des intentions expansionnistes ou serait le nouveau sous-traitant américain de l’Otan», explique l’expert.
«Avec des projets de construction de bases militaires terrestres et navales et de centres de réhabilitation et de formation des forces du GNA [Gouvernement d’union nationale dirigé par Fayez el-Sarraj, ndlr], la Turquie laisse apparaître un pacte secret passé avec le GNA, mais surtout une mainmise sur la prise de décision à Tripoli», soutient-il. «Pas de partenaire, pas de partage, aucun compte à rendre est la devise de la Turquie en Libye», résume le Dr Soufi.
Enfin, il considère que l’intervention turque en Libye a provoqué l’ire de partenaires au sein de l’Otan, «d’autant plus que ça s’est traduit par un conflit direct avec des acteurs régionaux, notamment avec l’Égypte».
«Une crise conflictuelle qui a engendré un climat électrifié entre le Caire et Ankara qui laisse présager d’une guerre entre ces deux protagonistes», conclut-il.
Par Kamal Louadj