Suite à l’apparition du virus sur leur territoire, les gouvernements africains ont décrété l’état d’urgence sanitaire beaucoup plus rapidement que les Français ou les Britanniques, se servant de leur exemple comme bonne pratique. En ce qui concerne la Guinée, bien qu’ayant selon les chiffres officiels de l’Agence nationale pour la Sécurité Sanitaire (ANSS) un taux de mortalité à ce jour inférieur à 1%, le Covid-19 a toutefois déjà marqué l’esprit collectif à travers les décès de deux hauts cadres de l’État, Maître Amadou Salif Kébé et Sékou Kourouma, respectivement défunts Président de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) et Secrétaire Général du Gouvernement.
Sans sous-estimer le fléau sanitaire que présente ce virus, il s’agit désormais de mesurer la menace du Covid-19 sur nos économies. Selon la Banque mondiale, la croissance économique en Afrique subsaharienne passera de 2,4% en 2019 à une fourchette entre -2,1 % et -5,1 % en 2020, ce qui constituera la première récession dans la région depuis 25 ans. Différents facteurs macro-économiques expliquent cette entrée en récession du continent africain : chute du PIB des principaux partenaires commerciaux de la région, particulièrement la Chine et la zone euro, baisse des cours des matières premières, réduction de l’activité touristique dans de nombreux pays ainsi que les mesures sanitaires nationales perturbant tous les secteurs d’activités.
Face à une telle situation, il était inconcevable pour les partenaires internationaux des pays africains de rester les bras croisés. Le FMI a donné le coup d’envoi en annonçant l’allégement de la dette de 19 pays africains le 14 avril, puis le président français Emmanuel Macron a annoncé dans les jours qui suivaient que le G20 prendrait des mesures dans ce sens. Derrière le terme annulation largement repris dans les médias, il y a des réalités techniques qui se traduisent mieux par moratoire, rééchelonnement en premier lieu. Néanmoins cette bouffée d’air financière est la bienvenue alors que l’Afrique dépense un tiers de ses recettes issues de l’exportation pour le service de la dette, soit 365 milliards de dollars par an.
À l’échelle nationale, il s’agit désormais pour chaque pays de trouver le bon mix de politique budgétaire et monétaire pour répondre à la crise sanitaire afin de maintenir tant que possible l’activité économique. En Guinée, la primature a dévoilé un plan de riposte économique basé sur trois principales composantes : sanitaire, sociale et appui au secteur privé.
Le démarrage de transferts d’argent prévu au mois de juin prochain par l’Agence nationale d’inclusion économique et sociale (ANIES) auprès de 240 000 ménages, soit près de 1,6 millions de personnes qui vont bénéficier d’un transfert de 25$ par mois, tombe à point nommé dans un contexte qui met plus que jamais à risque les couches vulnérables. Se basant sur les derniers travaux internationaux en matière de lutte contre l’extrême pauvreté, on constate souvent que les grands projets d’infrastructures ne sont pas si « ruisselants » que cela pour les populations pour reprendre l’analyse de l’économiste Joël Ruet. Afin qu’elle puisse engendrer la transformation sociale souhaitée, cette politique qui va dans le bon sens, doit effectivement être mise en œuvre, être élargie à plus de personnes et doit être maintenue sur le long terme à travers un suivi rigoureux des exigences auprès des ménages (que les enfants aillent à l’école, suivent le calendrier des vaccinations, etc…).
Ensuite, deux axes me paraissent important à privilégier et renforcer sur le long terme : une politique massive de soutien au développement du secteur agricole et un élargissement de l’assiette fiscale accompagnée d’une transparence accrue de la dépense publique.
Les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales nous rappelle un cruel constat : les pays africains dépendent de l’extérieur pour se nourrir, et cette dépendance peut nous faire basculer dans des situations de pénurie alimentaire voire de famine dans les prochains mois. Cette crise est l’occasion d’un plan d’investissement massif dans le secteur agricole nous permettant à la fois de renforcer notre souveraineté alimentaire, développer des zones rurales et créer de nombreux emplois durables.
L’autre sujet est une mobilisation accrue des recettes fiscales pour gagner en indépendance financière vis-à-vis des bailleurs internationaux et des marchés financiers. Le principal défi réside dans la capture de l’économie informelle dont le plan de riposte pourrait faciliter l’enregistrement auprès de l’administration, et ce, en vue d’élargir à terme les recettes fiscales. Il s’agit également de réfléchir à la pertinence de toutes les exonérations et taux réduits de TVA tout en cherchant à lutter contre l’évasion fiscale pour accroitre nos recettes. Là encore, sur le long terme, la primature, à travers la Mission d’Appui à la Mobilisation des Ressources Intérieures (MAMRI), entité chargée d’aider et d’impulser la collecte des ressources publiques et les régies financières, créée au début de l’année 2019 par le Premier Ministre Ibrahima Kassory Fofana, aura un rôle d’appui majeur face à ce défi.
Enfin, si l’on veut que les populations et entreprises adhèrent au programme gouvernemental, davantage de signes de transparence en ce qui concerne les finances publiques devront être donnés afin de montrer que les impôts servent à financer des services publics de qualité qui répondent à l’intérêt général.
Avec cette crise, nous prenons conscience des limites de notre modèle de développement actuel et la nécessité d’y apporter des changements importants. Avec un monde mis à l’arrêt, les élites de chaque pays n’ont plus la possibilité d’aller se faire soigner à l’étranger et font face aux propres limites de leur système de santé national. Espérons que cette crise soit l’occasion de réformes et d’investissements importants dans notre santé publique, mais plus globalement de nos services publics. De plus, nous réalisons à quel point dans le contexte d’une crise mondiale qui frappe tous les pays du monde sans exception, la solidarité se joue à l’échelle nationale voire régionale même si la réponse ne pourra être que globale. Afin de ne plus se retrouver dépendants de l’extérieur, nous devons mettre en place des mécanismes concrets de solidarité à l’échelle africaine et accélérer l’implémentation de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca). En tirant les leçons de cette crise, nous pouvons en faire un formidable levier de développement pour notre pays et notre continent.
Par Amadou Sako
Source : Financialfrik.com