Le jeudi 22 novembre 2018 marque le quarantième huitième anniversaire du débarquement de mercenaires à Conakry. Une opération militaire dont les objectifs ont été diversement interprétés.
Pour certains, cette mission visait à récupérer des prisonniers portugais capturés par le PAIGC de Amilcar Cabral en lutte pour la libération de la Guinée Bissau sous domination portugaise. Pour d’autres, cette opération militaire devait permettre à des opposants guinéens de renverser le régime en place et prendre le pouvoir… Retour sur un épisode controversé de notre histoire récente.
Dans la nuit du 22 Novembre 1970, notre pays faisait l’objet d’une agression armée de la part de mercenaires étrangers et nationaux. L’attaque fut marquée par le débarquement à Conakry d’un contingent de 400 mercenaires dont 200 commandos et fusiliers marins de l’armée coloniale portugaise.
En outre, un groupe d’environ 200 guinéens de Conakry faisait partie de l’expédition. Les guinéens venus avec les assaillants de l’armée portugaise étaient tous membres du Front National de Libération Guinéen (FNLG) – un mouvement hostile au régime du Parti Démocratique de Guinée (PDG) et son leader Ahmed Sékou Touré, alors au pouvoir en Guinée. Cette invasion s’inscrivait dans le cadre de l’opération militaire qui portait le nom de code « Mar Verde ».
Qu’est-ce qui justifiait cette agression et quels étaient ses objectifs ? Quelles sont les leçons que les guinéens peuvent tirer de cet évènement de leur histoire? La présente réflexion tente de répondre à ces questions parmi d’autres. Pour des raisons de précisions historiques, les données que nous utilisons pour étayer les faits sont de sources portugaises.
Pour nombre de personnes, l’agression portugaise de 1970, qui a laissé de profonds stigmates dans la mémoire des guinéens, visait uniquement le renversement du régime du PDG. Ce qui n’était vrai que partiellement.
Cette version est la plus connue parce que le gouvernement Portugais d’alors, pour éviter d’exacerber la colère de l’opinion internationale, avait voulu cacher son implication dans l’invasion de la République de Guinée. Cette démarche du gouvernement de Marcelo Caetano, celui qui avait pris la direction du Portugal après la mort du dictateur Salazar, devait sa raison à deux motifs. D’une part, le Portugal avait déjà assez de problèmes avec l’ex-URSS et ses alliés au sujet des guerres qu’il menait pour se maintenir en Angola et au Mozambique.
D’autre part, les Etats-Unis d’Amérique – membre influent de l’OTAN – voyaient d’un mauvais œil la pérennisation de la colonisation portugaise en Afrique, après les séries d’indépendances des années 1960. Selon des archives, le Portugal ne bénéficiait donc que du support de la France, de l’Allemagne Fédérale et, dans une moindre mesure, de celui de l’Espagne.
Il était donc dans l’intérêt de Lisbonne de ne pas être mêlé, de près ou de loin, à l’attaque contre la République de Guinée.
C’est donc dans le dessein de garder l’anonymat que le Portugal avait habillé les membres de l’expédition Mar Verde avec des treillis différents de ceux de ses troupes régulières. N’eut été la désertion du Lieutenant Janeiro et de ses hommes, la Commission d’Enquête des Nations Unies – établie dans les jours qui avaient suivi l’invasion – aurait difficilement établi la responsabilité du Portugal quant à l’attaque contre la République de Guinée.
Comme on le voit donc, l’agression du 22 Novembre 1970 était une mission exécutée par deux alliés qui avaient des objectifs complémentaires – mais différents. D’un côté, le Général Antonio de Spinola, alors gouverneur de colonie à Bissau, avec l’aval de Lisbonne, avait des visées stratégiques. Du point de vue de son Etat Major, la mission avait pour objectifs:
Premièrement, la destruction des vedettes rapides du Parti Africain de l’Indépendance de la Guinée-Bissau et des Iles du Cap-Vert (PAIGC). Ce groupe de Maquisards avait établi sa base arrière et son Quartier Général dans la ville de Conakry. C’est de cette ville, entre autres, qu’il se ravitaillait en armes et minutions pour attaquer les positions portugaises.
Deuxièmement, la libération des soldats portugais détenus à Conakry.
Troisièmement, la décimation des effectifs du PAIGC, avec possibilité d’assassiner son leader, Amilcar Cabral.
Quatrièmement enfin, prêter mains fortes aux membres du FLNG pour renverser le gouvernement guinéen. Ce dernier objectif était le mobile connu pour la participation du FNLG à l’agression. Mais pourquoi, selon les archives du PID-SDEG (services secrets portugais), Lisbonne, qui avait refusé successivement de collaborer avec le FLNG en 1964 et 1966, offrait en ce moment son alliance ?La raison était simple. D’une pierre, Spinola allait faire deux coups. Affaiblir le PAIGC dans sa base arrière de la République de Guinée et, si possible mettre en place un gouvernement qui lui serait favorable. En fait, dans la perspective des objectifs atteints, l’opération a payé plus pour le Portugal que pour le FNLG. Par recoupement, des informations obtenues des officiers portugais qui dirigeaient l’opération, le commando Portugais avait atteint les objectifs suivants:
a)- la destruction des vedettes rapides du PAIGC ainsi que de celle de la marine militaire guinéenne ;
b)- la libération de 23 prisonniers de guerre ;
c)- la destruction partielle du camp du PAIGC. En fait, leur réussite aurait été totale n’eut été la défaillance des renseignements, particulièrement sur la localisation du président guinéen d’alors, Ahmed Sékou Touré, qui était supposé être à la Villa Syli pendant le coup.
Du côté du FLNG, l’échec était total : une centaine de morts et plusieurs prisonniers. La direction du Front avait compté que l’arrivée de ses troupes à Conakry aurait suscité un soulèvement populaire contre le régime du PDG. Il n’en avait pas été ainsi, bien au contraire.
Aujourd’hui, le recul du temps permet d’avoir une vue plus détaillée sur l’événement du 22 novembre 1970. Cette lucidité qui lève le voile sur cet incident porte à croire que le Portugal avait utilisé le FNLG comme écran de fumée, pour dissimuler sa mission en République de Guinée.
Comme conséquences de cette triste page de notre histoire, la République de Guinée avait perdu environ 500 de ses fils et filles, y compris des civils, militaires et miliciens. En plus de ces pertes de vies humaines, l’incursion lui avait également causé d’importants dégâts matériels. Mais en outre, l’agression avait mis à nu les limites de l’armée et des services guinéens de renseignements et, de manière générale, celles du jeune Etat guinéen.
Sous l’effet de la psychose Portugaise, le Gouvernement guinéen – dans la légalité et la légitimité que lui conférait son statut – avait pris des mesures musclées contre les personnes qu’il soupçonnait d’être de connivence avec l’ennemi. Les répressions du gouvernement avaient été interprétées comme « justes » par les supporteurs du PDG tandis qu’elles avaient été décriées comme « odieuses » par ceux du FLNG. Cette dissension entre les opinions avait élargi le fossé qui séparait déjà les guinéens au détriment de la cohésion nationale.
Quarante huit ans après ce drame, il faut reconnaître que cette ligne de fracture entre nos compatriotes subsiste encore. Et malheureusement pour le pays et la concorde nationale, rien de constructif n’a été entrepris pour une véritable réconciliation nationale. C’est-à-dire, rétablir les faits, dédommager les victimes toutes catégories confondues et rendre si possible justice.
Aujourd’hui, il ne sert à rien d’occulter un pan important de notre histoire récente. Cet exercice revient désormais au gouvernement, qui devra l’inscrire impérativement dans son agenda politique. Surtout que bon nombre des acteurs de cette tragédie sont encore en vie. Dans un souci de rétablir la vérité historique dans la perspective d’une véritable réconciliation nationale, la lumière devrait être faite sur les douloureux événements du 22 novembre 1970, ainsi que sur la brutale et sévère répression qui s’en suivit.
Dans cette optique, la partie carcérale de l’ex camp Boiro aurait due être conservée pour un devoir de mémoire à l’intention des générations présentes et futures. Ne dit-on pas ‘’ qu’un peuple sans histoire est un arbre sans racines’’
Thierno Saîdou DIAKITE pour JMI
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