La semaine dernière, une peur-panique s’était emparée de la ville de Coyah, pour s’étendre rapidement à tout le pays avec une extraordinaire fulgurance. Partie de la localité de Kassonya, cette affaire de huit « bateaux pirates » de pêche va provoquer un véritable séisme poussant les populations à parler d’agression, de rebelles, de terroristes, etc.

Bref, chacun y est allé de sa frayeur, de sa propre terreur pour qualifier ce débarquement insolite d’une petite flotte de bateaux chargés de poissons pourris, pour la plupart, mais jusque-là inconnus dans cette contrée.

Pour mieux comprendre ce qui est arrivé, l’équipe rédactionnelle de www.justinmorel.info a obtenu en exclusivité, une interview du ministre des pêches et de l’économie maritime, M. Fréderic Loua. A micro ouvert, il nous a tout expliqué. Un vrai regard synoptique sur toutes les questions soulevées par ce dernier événement.

 JustinMorel.Info : Quel est aujourd’hui la situation du secteur de la pêche?

Fréderic Loua : le secteur de la pêche se porte bien. C’est un secteur qui apporte énormément à l’économie nationale. Quand on prend la chaine de valeurs : les mareyeuses, les pêcheurs artisans, la pêche industrielle, etc. C’est un domaine qui embauche beaucoup et fait travailler beaucoup de personnes avec des retombées au niveau des familles et de la société guinéenne.

JMI : Des réformes sont menées dans le secteur de la pêche, pouvez-vous nous citer quelques éléments de résultats enregistrés dans le cadre de ces réformes-là ?

Fréderic Loua : Depuis 2013, il y a eu  les états généraux de la pêche en Guinée, il y a eu des avancées significatives depuis ma prise de fonction ; j’ai essayé d’apporter ma petite contribution dans le cadre de ces réformes. Nous avons fait le diagnostic de notre département, pour connaitre les faiblesses et ce qu’il fallait améliorer, donc nous avons suite à ce diagnostic, vu qu’une bonne partie du personnel placé au niveau des différents postes de responsabilité était des intérimaires. Les responsabilités étaient assurées par des intérimaires et suite à cette faiblesse, nous avons proposé une nouvelle structure administrative des pêches. Un projet de décret a été signé par le chef de l’État pour meubler la structure, et nous avons aussi renforcé la surveillance des pêches, parce que pour moi le cœur de la pêche, c’est la surveillance.

JMI : Certaines sociétés privées se plaignent tout de même. C’est le cas de Tchangui pêche qui estime que certaines réformes sont contreproductives et bloquent leurs dynamiques de développement, notamment le retrait de plusieurs de leurs licences, que répondez-vous ?

Fréderic Loua : Vous savez, nous sommes dans un secteur difficile, le nombre de Guinéens a augmenté, on est passé de 1 million, 2 millions dans la capitale à 3 millions, mais la mer elle, n’a pas bougé, nous avons toujours les 300 kilomètres de littoral ; il y a beaucoup d’intervenants aujourd’hui, il y a eu beaucoup de sociétés de pêche, les gens se sont reconvertis en pêcheurs. Aujourd’hui nous avons beaucoup de sociétés dans nos eaux. Au dernier trimestre Tchangui s’est plaint effectivement, tout simplement parce que j’ai pris comme critère d’attribution, des quotas. Il est dit dans notre plan de pêche annuel que les sociétés ont l’obligation de débarquer 300 tonnes de leurs produits par bateau et par trimestre. Ceux qui n’ont pas respecté la décision se sont vus frappés par des sanctions. Toute société qui n’a pas obéi à la réglementation du plan de pêche 2018 s’est vue diminuer son quota. Tchangui Pêche n’est pas la seule, il y a eu plusieurs dans ce cas ; il y a même des sociétés qui ont eu zéro bateau, au dernier trimestre, parce qu’ils n’ont pas respecté leurs engagements.

JMI : En même temps, il y a des sociétés étrangères qui viennent pêcher dans nos eaux, l’année dernière nous étions avec Greenpeace qui avait alors arraisonné plusieurs bateaux pirates qui font la pêche INN, parfois de façon illégale. Que fait votre département pour empêcher que ces sociétés qui contribuent à rendre cher et rare le poisson dans nos marchés, et à appauvrir les acteurs de la chaine de valeurs ne se retrouvent dans nos eaux ?

Fréderic Loua : Dire que les Chinois viennent pêcher chez de façon illégale, c’est trop dire. En réalité, tout bateau industriel pêchant en Guinée doit obligatoirement avoir une licence industrielle de pêche. Pour les navires de pêche avancée, c’est des permis. Cette catégorie concerne les petites pirogues, les pirogues motorisées et la pêche artisanale avancée. C’est vrai qu’il y a des indélicats, il y a des gens qui viendront hélas, toujours contrevenir à cela, mais c’est à nous de surveiller notre mer et c’est ce que nous faisons.

On est sorti de la pêche illicite non déclarée et nous renforçons notre surveillance. Avec Greenpeace, c’est vrai qu’on avait arraisonné des bateaux, mon département vient d’arraisonner des bateaux Il y a moins deux mois, il y a un bateau qui était venu du côté de la sierra Léone, un bateau chinois qui a été intercepté et arraisonné et l’amende a été payée à hauteur de 500.000 euros. Donc la loi prévoit toutes ces sanctions, à nous de les appliquer, et c’est ce que nous faisons.

JMI : Par rapport à la pêche INN ou pêche illicite, qui avait valu à la Guinée d’être inscrite sur la liste des pays tiers non coopérants en matière de pêche INN, quelles sont les mesures qui sont actuellement implémentées par votre département pour permettre de ne pas retomber dans le même cycle ?

Fréderic Loua : Des efforts ont été fournis et aujourd’hui je suis heureux d’annoncer que la Guinée fait partie des meilleurs élèves dans ce domaine. Je me suis rendu à Malte, j’ai été invité à prendre la parole pour présenter le modèle guinéen dans la surveillance des pêches. Pas plus tard que le mois passé, j’ai passé un contrat avec une société française qui était basée ici, à Conakry pour la surveillance de notre espace maritime. C’est un avion furtif donc indétectable par les bateaux, qui travaille pour nous. Les résultats sont patents, voilà comment nous avons la surveillance de nos côtes, et inverser la tendance pour lutter contre la pêche illicite.

JMI : Quelles mesures votre département met en place pour lutter contre les mauvaise pratiques de pêche notamment l’utilisation des filets à mono-filaments ?

Fréderic Loua : En fait, il y a une réglementation en la matière, le mono-filament est interdit en Guinée depuis très longtemps. Ils sont interdits sans qu’il n’y ait des solutions de rechange, mais certains sont aussi parfois de mauvaise foi parce que, quand ils le veulent ils peuvent. Ils ont d’autres filets, il faut simplement retirer ces mono-filaments de leurs activités de pêche. Aujourd’hui dans la localité de Kamsar, les gens se sont levés, ils ont commencé à brûler les mono-filaments; il y a des endroits où ils n’en veulent plus.  Tout le monde se plaint, c’est des fretins que nous voyons sur le marché, c’est l’effet justement de ces mono filaments. Quelque part nos inspecteurs ne veillent pas suffisamment à la pratique orthodoxe de la pêche. Si chacun de nous faisait son travail, je pense qu’on en serait pas là, surtout au niveau des poissons immatures qui sont capturés par les pêcheurs indélicats.

On ne peut pas me dire qu’une embarcation qu’elle soit industrielle ou artisanale a obéi à la réglementation et qu’on retrouve ces poissons immatures sur le marché, donc il y a une défaillance, nous en sommes conscients. Nous avons pris des dispositions pour renforcer nos actions. Après la rencontre avec le chef de l’État, j’ai regroupé mes travailleurs et nous avons longuement échangé sur ces questions

JMI : Peut-on s’attendre à des mesures plus adaptées?

Fréderic Loua : Nous voulons en 2019, proposer un nouveau plan de pêche qui va tenir compte de toutes ces faiblesses : retirer les mono-filaments, accroître la surveillance dans nos eaux, etc. Parce que le plan de pêche actuel a des faiblesses que nous allons corriger, la pêche artisanale avant 2018 n’était pas classifiée. C’est à partir de 2018 que nous avons essayé de mettre en place trois catégories dans la pêche artisanale : la pêche artisanale ordinaire, celles motorisée et avancée. Chacune de ces branches est adossée à des données, des caractéristiques.  C’est-à-dire que la zone de pêche pour une embarcation est définie en fonction du type de l’embarcation et de la puissance du moteur du bateau. Cela nous permet de délimiter les catégories de pêche en fonction des zones et de la nature de l’embarcation. Mais à nous de veiller sur tous ces aspects, nous nous efforçons vraiment à améliorer ce qui se passe dans ce secteur.

JMI : Quelles mesures comptez-vous mettre en place pour éviter que des étrangers n’interviennent dans la pêche artisanale ? Avez-vous déjà eu des échos des pêcheurs artisans guinéens qui se plaignent de ce phénomène ?

Fréderic Loua : Oui, nous somme saisis par nos pêcheurs artisans, sur des conflits qui opposent parfois la pêche artisanale avancée, et la pêche artisanale motorisée ou ordinaire. En fait qu’est ce qui se passe dans ce domaine ? C’est des étrangers qui viennent en Guinée et qui rencontrent nos frères guinéens, qui mettent en place une entreprise de pêche. Ils sont enregistrés quelque fois.  Le navire est fabriqué ici à Boffa ou à Conakry, où il y a des ateliers de pêche artisanale avancée; les associés sont là en Guinée mais, en fait ce qui fait mal c’est que nos frères ne sont que des prête-noms. Vous prenez ces sociétés de pêche, c’est le Chinois qui a 70-80 % des actions qui vient proposer à nos parents des actions fictives (le Guinéen n’a que 10-20 %), en réalité, il n’est que prête-nom, donc l’étranger qui vient avec son navire ou le fabrique ici, c’est lui qui met la main à la poche, c’est lui qui finance tout et puis le Guinéen qui est là, qui se dit porteur du projet, n’est en réalité qu’un faux porteur, parce qu’il n’a rien misé, en tant qu’actionnaire et après, on dit que la structure est de droit guinéen ! Voilà comment on s’est retrouvé avec des étrangers dans la pêche artisanale.

Le second facteur, c’est que nous avons une grande faiblesse en matière de ressources humaines. Les Guinéens ne sont pas suffisamment formés dans certains métiers de la pêche, comme le métier de capitaine de bateau ou de vrais matelots. Dans ce domaine, il y a très peu de capitaine guinéens, or il est dit dans le code des pêches, que tout bateau battant pavillon guinéen doit avoir un équipage à hauteur de plus de 50 % de Guinéens, mais il se trouve que les Guinéens ne sont pas formés aux métiers de capitaine ou matelots, donc ils sont obligés de faire appel à des étrangers à ce niveau.

Même la pêche artisanale dont nous parlons, les Guinéens qui ont la possibilité de se payer un navire et qui veulent pratiquer ce métier sont obligés de recruter un capitaine étranger, c’est un vrai problème que vous posez-là mais, nous sommes en train de prendre des dispositions pour réglementer la pêche artisanale, qui reste réservée exclusivement aux nationaux et aux ressortissants des pays membres de la CEDEAO ; en dehors de cela, ce n’est pas permis et les Chinois qui sont là ont été soutenus par nos parents.

Enfin le troisième facteur qui a favorisé l’entrée des Chinois dans la pêche artisanale, c’est l’acquisition de domaines. C’est quelques fois les autorités locales qui leur donnent des domaines maritimes, ces étrangers achètent et viennent prendre des documents au niveau du ministère de la pêche, pour légaliser leurs achats, même si c’est sur un site touristique ou un site historique, ils ne font pas attention !… Cela les a conduits à quoi ? A occuper le site négrier de Boffa, le quai négrier de Boffa, qui ont été octroyés par des gens moyennant quelques dizaines de millions, mais je viens de prendre des actes pour annuler toutes ces occupations. Tout est annulé et ceux qui étaient dans la pêche, leur permis de pêche a été également annulé. Nous sommes en train de regrouper les navires à Boffa et à Kamsar dans le cadre des dispositions idoines.

JMI : Dans cette volonté d’agir est-ce que vous ne pensez pas que les directeurs préfectoraux ou régionaux de pêches ont un rôle à jouer ?

Fréderic Loua : Je suis d’accord avec vous, je vous ai dit d’entrée de jeu, qu’il y avait une faiblesse au niveau de mon département. Le département est vide. Dans quel sens ? Depuis près de deux ans, il n’y avait que des intérimaires qui géraient là les postes de directeurs et même à l’intérieur, l’administration n’est pas encore meublée. On pourra vous dire à tel endroit, il y a un directeur régional mais la direction régionale se résume à lui seul, ce n’est pas normal, ce n’est pas une structure.  Une direction régionale doit avoir des directions préfectorales, des sections, il faut avoir au minimum trois niveaux de responsabilité; mais si la personne qui est là à Kankan par exemple, la chose se résume à elle seule, il devient très difficile et compliqué pour elle d’avoir des résultats. Donc, nous sommes en train de meubler les structures depuis les débarcadères jusqu’au secrétaire général du département ministériel.

JMI : Ces responsables locaux ont-ils l’autorisation de délivrer des licences de pêche ?

Fréderic Loua : La licence est réservée aux bateaux industriels et ces licences sont au niveau de la présidence de la république. Quand nos inspecteurs montent dans les bateaux, ils vérifient. Ils vérifient tout après analyse de tous les dossiers, la licence est accordée à tel navire ou tel navire. Les licences sont à un endroit sécurisé. Quant aux navires de pêche artisanale, ce sont des permis qui leur sont délivrés au niveau de la direction nationale de la pêche maritime, c’est cette direction qui est habilitée à octroyer ces permis de pêche et au niveau décentralisé. Oui, il y a aussi la possibilité de donner des permis mais exclusivement des permis pas des licences. Nous sommes justement dans cette dynamique de changement, de renforcement des capacités et l’année prochaine, je pense que nous allons passer à une autre vitesse. Emettre éventuellement des permis sécurisés au même titre que les licences  sécurisées. La commande sera faite bientôt, puisque nous sommes en train d’immatriculer les pirogues. Le parc piroguier de la Guinée sera connu, nous sommes à près de 5000 pirogues !

JMI : Vous avez eu récemment une importante rencontre avec le chef de l’État, le président de la république, Alpha Condé. Il y avait tous les acteurs et partenaires du secteur maritime invités, quelles sont les conclusions de cette grande rencontre ?

Fréderic Loua : Nous nous sommes retrouvés avec le président de la république autour de la pêche artisanale avancée et la pêche industrielle. Nous avons tiré les leçons de tout ce qui se passe aujourd’hui autour du secteur privé. Ainsi chaque ministre de tutelle va travailler dans son domaine, avec les différents intervenants pour essayer de résoudre, d’aplanir ce qui se passe dans ces secteurs y compris dans le domaine de la pêche. Nous avons fait le diagnostic, nous avons travaillé avec le chef de l’État, nous allons nous retrouver avec les professionnels du secteur, pour mettre à plat ce qui nous empêche d’avancer. On a par ailleurs parlé de l’intervention des étrangers dans la pêche artisanale, ils doivent sortir de ce secteur, ils peuvent travailler dans les pêches mais seulement au niveau des chaines de transformation et au niveau de la pêche industrielle.

Je vais proposer une date à tous les professionnels de la pêche, pour qu’on se retrouve pour  discuter de nos affaires, pour avoir un plan clair en 2019.

JMI : Dans le cadre du projet PRAO, nous avons eu l’opportunité de sillonner le littoral guinéen, et plus d’une dizaine de débarcadères, à ce niveau les pêcheurs artisans se plaignent de façon récurrente du manque d’aménagement des débarcadères, de manques d’intrants, des sites enclavés ; etc… quelles solutions comptez-vous appliquer pour remédier à ces problématiques ?

Fréderic Loua : Comme je vous l’ai dit, nous sommes en pleine mutation, nous sommes en phase de changement. Nous avons par exemple recensé 200 points de débarquements de poissons, des débarcadères et ports de pêche. Il faut assainir, choisir les débarcadères les aménager pour faciliter le débarquement du poisson. Des dispositions nécessaires seront prises pour faciliter le travail à nos frères artisans.

JMI : Les évènements de Kassogna ont été extraordinaires : une panique générale dans le pays, surtout à Conakry et à Coyah. Dans tous les reportages que nous avons faits, les populations ont dit que c’est grâce à l’information donnée par le ministre de la pêche, que la situation s’est calmée. Après la rencontre avec le chef de l’état, quelles sont conséquences immédiates de cette affaire et quels conseils pour l’avenir ?

Fréderic Loua : C’est vrai que l’évènement malheureux de Kassogna a dérangé tout le monde. S’il y avait eu une bonne communication au départ, on n’en sera pas là. C’est vrai que les sociétés ont mal agi en désobéissant au département de tutelle, s’ils étaient passés par nous on en serait pas là ! On a tiré les leçons de tout cela, on a appelé la population au clame, en leur expliquant que c’est une affaire de pêche et non une affaire d’agression rebelle. Ensuite, les dispositions prises pour l’heure, c’est d’abord d’arrêter tous ces navires qui vont être reconduits aller vers Boffa, et ils ne vont plus pêcher avec ces sociétés. La sanction pourrait aller jusqu’à la vente aux enchères de ces engins.

Entretien réalisé par:

Mamadou Aliou DIALLO, Léon KOLIE et Tabassy BARO pour JMI

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