Le 15 octobre 2009, il claquait la porte du gouvernement guinéen de Kabiné Komara dont il était Porte-parole et ministre de l’information et de la culture, sous Moussa Dadis Camara, invoquant un problème de conscience et d’honneur suite aux massacres du stade du 28 septembre. Nous l’avons rencontré mi-octobre 2023, à Gouvieux dans l’Oise(60), dans le cadre de la « Semaine de l’indépendance » célébrant les 65 ans de la souveraineté nationale et internationale du pays, et les 10 ans de Guinée-Ô, une association qui promeut le livre sur la terre de Camara Laye.
Pour NewsAfrica24, il a bien voulu revenir sur sa démission 14 ans après tout en tenant compte du climat socio-politique en Guinée, 65 ans après son accession à l’indépendance. Détonnant !
« NON ! JE NE REGRETTE RIEN »
Monsieur Le Ministre bonjour, merci de nous accorder un peu de votre temps si précieux. Vous démissionniez avec fracas, le 15 octobre 2009, du gouvernement dont vous étiez Porte-parole et ministre de l’Information et de la Communication. 14 ans après, vous restez sur la même position ? Sans aucun regret ?
Merci d’abord Jean-Célestin, pour l’intérêt porté à ma modeste personne et à cet acte que j’ai posé en 2009, alors que j’étais aux responsabilités dans mon pays, la Guinée. J’ai dit clairement, j’ai écrit clairement, que je n’avais plus la force morale pour porter la parole du gouvernement. Parce que mon background de chef de Communication de l’UNICEF, engagé dans la question de droit des enfants, de droits humains, ne me permettait pas après un tel drame, de continuer à servie ce gouvernement. Alors j’ai pris ma plume pour écrire au Chef de l’état et rendre le tablier. C’est un acte dont je dirais que je réclame la dignité. Pour moi, mon futur, de ma liberté, mon expression personnelle, dépendait de cet acte majeur qui me libérait d’un poids moral que n’aurais plus pu supporter.
Est-ce que, avec le recul, vous mesurer davantage la portée de votre geste qui, bien au-delà de la Guinée, a une résonnance incontestable ?
Tout à fait. Je dirais, puisque nous sommes en France, comme la grande chanteuse Edith Piaf « Non ! Je ne regrette rien ». Je ne regrette rien parce que c’était assumer une conviction. Et quand on assume une conviction, l’émotion disparaît, la raison s’impose et la vérité consume le reste.
« Nous sommes dans une situation où l’ensemble du peuple réclame des droits et il faut être attentif à cette demande. »
Cette Guinée chère à votre cœur, est dans une situation probablement difficile à analyser, pour ne pas dire une situation complexe. Dites-nous néanmoins comment vous la vivez, la voyez, 14 ans après ?
Je la vois dans une dynamique évolutive positive. Je pense que les beaux jours sont devant nous, qu’ils peuvent arriver si nous le voulons, dans l’unité, la réconciliation, dans la responsabilité.
Dans la responsabilité…
Que voulez-vous dire ?
C’est-à-dire une claire conscience de la situation, qui ne tombe pas dans la démagogie, d’une nouvelle démagogie pour le nouveau pouvoir, mais une claire conscience des réalités nationales, pour que plus jamais les Guinéens ne s’opposent aux Guinéens futilement, mais que le Guinéen voit ce qu’il doit faire pour le développement de la patrie, objectivement.
J’ai la chance et l’immense bonheur de rencontrer des jeunes Guinéens, depuis une quinzaine d’années, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Ce qui m’a conduit à leur consacrer un ouvrage, en avril 2023, sous le titre « Guinée : Une jeunesse à la croisée des chemins », paru chez l’Harmatan Guinée. Ces jeunes parlent de la nécessité du mieux-vivre ensemble, tirent la sonnette d’alarme sur l’urgence d’une éducation et formation de qualité rivalisant avec les standards internationaux, tout insistant sur l’impératif de les associer à la constructions de la société en Guinée et en Afrique. Partagez-vous cela ?
Tout à fait. Le paradoxe et l’intérêt de la Guinée c’est qu’on n’est pas dans une situation à la rwandaise. Ce ne sont pas les hutus contre les tutsis, ce ne sont pas peuls contre les soussous, les soussous contre les malinkés, les forestiers contre tout le reste. Non ! Nous ne sommes pas dans une situation pareille. Nous sommes dans une situation où l’ensemble du peuple réclame des droits et il faut être attentif à cette demande. En résumé, je dirai qu’il y a plutôt contradiction entre l’Etat et le peuple. Et c’est ce gap, ce fossé, qu’il faut savoir combler intelligemment par une connexion de toutes les autorités du pouvoir avec les réalités et besoins des populations.
« La Guinée, avec le président Sékou Touré, a donc résolu les problèmes basiques pour son développement, problèmes qui préoccupent aujourd’hui nombre de pays africains. » Il y a 65 ans, le 2 octobre 1958, la Guinée était le premier pays d’Afrique subsaharienne francophone à devenir indépendant. Avez-vous le sentiment, 65 ans après cette indépendance, que le fossé s’est agrandi entre les autorités , détentrices du pouvoir, et la population ?
D’abord, je dirais que la Guinée n’a pas seulement gagné l’indépendance territoriale. C’était une indépendance politique, sociale, morale, économique, une indépendance totale. Ce qui fait que, aujourd’hui, il y a des questions qui se posent dans certains pays d’Afrique que la Guinée a résolues depuis son indépendance. Par exemple, la présence des bases françaises. La Guinée a dit non à la France politique, mais pas à la France géographique, pas à la coopération. La Guinée a dit non à la proposition politique, que faisait le Général de Gaulle, de communauté de destin sous contrôle de la France. La Guinée a décidé de prendre en main son propre destin. Cela n’a pas changé. L’indépendance de la Guinée a permis aux autre pays africains de dire et de voir que la liberté apporte un plus. Nous avons notre propre monnaie, depuis 1960, le Franc Guinéen. Aujourd’hui, la plupart des pays africains veulent sortir de la zone Franc. La Guinée, avec le président Sékou Touré, a donc résolu les problèmes basiques pour son développement, problèmes qui préoccupent aujourd’hui nombre de pays africains. Le reste est une question de temps, de volonté, de combat politique. Et à mon avis, ça c’est un combat qu’on devrait gagner maintenant ou plus tard. L’essentiel, pour moi et pour les Guinéens, politiquement est fait. Pas de base militaire, indépendance politique, monnaie nationale avec de grands projets économiques, les ressources minières sont là, l’agriculture est une situation que le pays peut maitriser, près de 2 millions de tonnes de riz produites en 2022, plaçant la Guinée juste derrière le Nigéria, dans ce domaine. Avec la volonté on peut faire des miracles. Sans être devin ni savoir lire dans la boule de cristal, je crois que l’impossible est possible.
Depuis votre démission du gouvernement, le 15 octobre 2009, que faites-vous de vos journées, semaines, mois et années ?
Je me dis que le vrai repos de l’homme c’est le travail. Travailler pour moi-même, en tant que consultant, faire ce qui me plaît dans le domaine de la culture, faire de la consultance quand c’est possible. J’en ai fait pour les Nations unies, pour la Guinée, récemment j’étais membre de l’équipe d’évaluation du gouvernement guinéen. Ce qui m’a beaucoup touché. Parce que c’est la Primature qui m’a identifié parmi les Guinéens capables d’évaluer d’autres Guinéens. Et à ma personne on n’avait confié trois département : l’information et la culture ; la jeunesse et les sports ; culture, tourisme et autres. Le travail était très intéressant et je l’ai fait en toute conscience. L’expérience était passionnante et je m’y suis totalement engagé. Par ailleurs, j’ai un espace que j’ai ouvert il y a quelques années pour continuer à servir et à promouvoir la culture en Guinée. Voilà ce à quoi je consacre mes journées.
Bien évidemment, vous avez aussi votre loisir quotidien, l’écriture…
(Éclats de rire) En permanence !
Merci beaucoup Monsieur Le Ministre pour votre disponibilité.
C’est moi qui vous remercie d’être venu me rencontrer.
Par Jean-Célestin Edjangué à Gouvieux