Le masque cimier D’mba (Dr Aly Gilbert IFFONO pour le Soussou), est une œuvre majeure de l’art monumental du peuple baga. Elle représente l’une des sculptures des plus emblématiques et des plus rares de l’art africain. Le D’mba est un masque impressionnant. Il est le plus volumineux de la sous- région ouest africaine et peut peser plus 50kg et atteindre 0,97m de haut pour des spécimens destinés aux cadeaux de souverains et autres hôtes de marque. Seuls les spécimens de petites tailles sont faits pour être portés lors des danses au Bagataye. Il y a autant de variantes de D’mba que de villages qui en fabriquent.

De façon générale les objets de l’art monumental baga, de par leurs tailles et la finesse de leurs lignes, en ont imposé aux antiquaires, touristes, collectionneurs, bijoutiers, décorateurs, galeristes et autres trafiquants d’œuvres d’art africain, tant en Guinée que dans le monde. En témoignent ces propos de Laurence Mattet, directrice de la Collection privée Barbier-Mueller de Genève, citation : « Somptueux ! L’adjectif s’impose pour l’exposition ‘’Baga’’ du Musée Barbier-Mueller. Au rez-de-chaussée, se détachent peu d’objets, mais de très haute qualité. C’est un ensemble numériquement réduit, mais d’une grande importance. Pour tout dire, il s’agit sans doute de la plus belle série d’objets Baga en mains privées. Une série jusque-là restée inédite. »

 Bien avant l’indépendance, le D’mba a honorablement représenté la culture guinéenne aux grandes rencontres internationales.

En 6 mai au 15 novembre 1931 à Paris, le Masque D’mba était présent à l’Exposition coloniale qui se proposait de promouvoir l’empire colonial français dénommé « la plus grande France ».

En 1935, le D’mba a fait partie de l’exposition « African Negro Art » du Museum of Modern Art de New York, par les soins du peintre André Lhote. Cette exposition fut la première jamais consacrée à l’Afrique en tant que productrice d’un art plastique majeur. La seule présence du D’mba a amené les grands critiques à revoir leur copie par rapport à ceux qu’ils avaient toujours pensé de l’Afrique et des africains.

 Tous les canons esthétiques et symboliques reconnues mondialement au D’mba, ont incontestablement accru sa valeur marchande qui l’ont placé à la croisée des chemins des trafiquants et autres faussaires. Ces derniers en ont fait depuis les années 1930 un produit marchand de valeur exceptionnelle alimentant un commerce illicite florissant dont le contrôle échappe malheureusement à ses géniteurs Baga.

Si jusqu’à une fraîche date, le D’mba était seulement prêté ou loué pour des expositions internationales de renom, de nos jours, il se retrouve au cœur des expositions-ventes les plus achalandées d’Europe, d’Amérique et d’Asie. La lutte pour en acquérir a été toujours rude et coûteuse car selon les spécialistes, il n’existerait aujourd’hui à peine qu’une quinzaine de D’mba authentiques à travers le monde. Toutes choses qui permettent aux faussaires d’inonder les marchés internationaux de contrefaçons réalisées avec la connivence de certains artisans passés maîtres dans l’art du trucage et du faux.

Aujourd’hui, tout ou presque se trouverait hors de la Guinée et conservé dans les familles d’anciens administrateurs coloniaux, dans des grands musées occidentaux ou chez des collectionneurs privés et autres négociants dont certains se sont indûment bâti des fortunes colossales à travers des prêts et des expositions-ventes au préjudice des légitimes propriétaires Baga. Raison de plus pour que le continent demeure encore la victime expiatoire du pillage de ses œuvres d’art majeures par une cohorte de rabatteurs sillonnant les villages et profanant marres et forêts sacrées, en quête de statuettes, masques, mobilier funéraire et même des objets de culte qu’ils obtiennent à vils prix, sinon gratuitement.

Cependant, il faut louer les efforts de l’UNESCO qui a entrepris ces dernières années, la restitution aux États africains de leurs biens culturels pillés par les différents systèmes coloniaux et autres explorateurs. Certains pays comme le Bénin, le Sénégal, le Nigéria, etc., qui en ont fait une préoccupation majeure, ont déjà récupéré une infime partie de leur patrimoine volé.  Ce problème ne semble pas encore à l’ordre du jour chez nous en Guinée. Toutes choses qui font que les acteurs du commerce illicite de notre D’mba ont encore de beaux jours devant eux.

Pourtant il serait opportun d’y penser maintenant pour éviter de perdre certains biens culturels que nous avons en partage avec des peuples voisins. Le cas du sabre d’El hadj Oumar en est une illustration. Le Sénégal l’a demandé avant nous et l’obtenu. Si un jour, le Mali ou la Côte d’Ivoire réclamait avant nous les reliques de l’Almamy Samory Touré ou de son fils Sarankè-Mory, reliques emportées par le capitaine Gouraud et conservées à Montpellier, à Montoban et au Musée de l’Homme à Paris, les portes nous seraient définitivement fermées et la perte consommée.

L’inquiétude est que nous ne savons même pas quels biens réclamer et à qui. Aucun inventaire à ma connaissance n’est encore fait pour connaître la nature, l’importance, la quantité et les détenteurs de nos biens à l’extérieur.

Pour revenir au thème de notre papier, nous nous proposons de vous donner une idée du drame que vit depuis des décennies, le célèbre masque D’mba sur le marché international des objets d’arts et surtout, ce que gagnent indûment les animateurs de ce trafic illicite au préjudice du peuple baga, producteur de l’œuvre. A cet effet, voici à titre indicatif la liste de quelques foires, expositions et autres actes des maisons de ventes aux enchères à travers le monde, notamment en France, où le D’mba, malgré tout et en dépit de tout, en impose à tous et depuis toujours.

NB : Nous avons converti la valeur des ventes en monnaie locale à raison de 9500 Gnf pour un euro.

  1. Expo-vente de la Collection Emil Storrer

Du 25 octobre 2001

Estimation : 300.000 euros

Vendu : 400.000 € soit 3 800 000 000 Gnf

  1. Maison Sothiby’s à Paris

Vente d’octobre 2001

Estimation : 60 000 euros

Vendu : 90 000 euros soit 855 000 000 Gnf

  1. Enchères de « La Gazette Drouot »

Vente du 23 juin 2006

Estimation : 1 900 000 euros

Vendu : 1 900 000 euros soit 18 050 000 000 Gnf

Record mondial de l’année

  1. Enchères record pour la Collection Vérité

Vente du 19 juin 2006

Estimation : 400 000 à 600 000 euros

Vendu : 2 024 000 euros soit 19 228 000 000 Gnf

Record de l’année

  1. 5. Collection Émile Storrer (Zurich)

Vente du 11 décembre 2007

Estimation : 300 000 euros.

Vendu : 361 500 euros soit 3 434 250 000 Gnf

  1. Maison des Ventes aux Enchères Leclerc

Expo-vente des 2 et 3 octobre 2009 à Marseille.

Estimation : 8000 euros

Vendu : 10 000 euros soit 95 000 000 Gnf

  1. Collection Kahane

Expo-vente de Paris du 1 décembre 2010

Estimation : 800 000 euros

Vendu : 901 000 euros soit 8 559 500 000 Gnf

  1. Maison des ventes aux enchères Leclerc, France

Expo-vente du 04 mai 2012

Masque D’mba : Ramené dans les années 50 en France par un administrateur colonial français en poste en Guinée dans les années 1920.

Vendu : 15000 euros soit 142 500 000 Gnf

  1. Salle V.V. Millon & Associés

Vente du vendredi 22 juin 2012.

Estimation : 20 000 euros

Vendu : 250 000 euros soit 2 375 000 000 Gnf

  1. Maison des ventes aux enchères Leclerc, France.

Vente du15 Juin 2013, Marseille, France

Objet : masque D’mba collecté par Camille Bailly, administrateur colonial français vers la fin des années 1930 à Boffa en Guinée.

Estimation : 30 000 euros

Vendu : 50 000 euros soit 475 000 000 Gnf

  1. Catalogue Koller intitulé Art tribal, Suisse

Du 29 mai 2014 à Genève

Estimation : 12 500 euros

Vendu : 16 670 euros soit 158 365 000 Gnf

  1. Maison Christie’s-Paris

Vente du 23 juin 2015

Estimation : 1 500 000 euros

Vendu : 2 390 000 euros soit 22 705 000 000 Gnf (du jamais vu.)

Sauf récemment, précisément le 22 mars 2022, un masque Fang du Gabon a pulvérisé les records des ventes antérieures en décrochant la valeur de 5.900.000 euros TTC. Je ne convertis pas ce montant en fg pour ne pas vous donner des vertiges. Ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est que la pièce en question est restée plus de 60 ans abandonnée dans les débarras de la résidence d’un ancien colon qui l’avait reçu en cadeau au Gabon où il servait. Ses descendants ayant décidé de nettoyer le local la découvrent et la présentent sans trop d’égards à un commissaire-priseur. La surprise fut extraordinaire. Les enfants deviennent subitement milliardaires par la vente d’un objet offert gratuitement à leur ascendant. Rarissimes sont des diamants qui auraient valu autant.   

Conakry, le 13 mars 2023

Dr Aly Gilbert IFFONO

Enseignant-chercheur

Maître de conférences en histoire

Ancien ministre