Un handicapé ! Nous voilà passés. Les choses ne sont peut-être pas toujours aussi tranchées, car il y a des handicapés qui, par leur volonté, frappent à la porte de notre conscience et bouscule notre indifférence.

Nabil Awada est de la race des handicapés qui sont allés au-delà de tout complexe, en refusant la pitié, la mendicité et les facilités. Victime d’une erreur de diagnostic, le destin frappe ce jeune volontaire depuis l’âge de 8 ans. Position unique : couché. Atteint de paraplégie et de surcroît bossu, Nabil n’a pas connu une vie de dentelles roses.

Après avoir peint pendant quelques années, Nabil a réalisé que : «la peinture m’éloignait de la société, puisqu’elle m’isolait par sa nature. Pour travailler sérieusement, il me fallait me retirer. Ce n’était pas supportable, parce je ne voulais pas me retirer. Ce n’était pas supportable parce que je voulais me mêler à tous les autres. Et c’est par hasard qu’en écoutant un jour la radio, j’ai eu comme une révélation en découvrant le flûtiste de la Orquesta Aragon, le vieux Richard Egues. Ce jour je me suis dit, je serai flûtiste et quand mon ami Ly Macky, m’a trouvé par personne interposée, mon rêve commençait à se réaliser…»

Premières interprétations : Manisero, Guantanamera, Fefita, etc. Rien que des titres cubains. C’est bien après sur les conseils de son frère guitariste Mounir, que Nabil va se pencher avec plus d’attention sur la musique guinéenne. Les conseils portent fruit. Notre flûtiste à coups de langue, s’enfonce dans le folklore. Travail intense. Répétitions interminables. La famille se plaint, les sons stridents et les notes ratées la dérangent, mais, perspicace, Nabil leur annonce pour demain de meilleures choses : «Il me faut devenir quelque chose. Je serai « quelqu’un « dans la flûte, vous verrez !… » Il ne pensait pas mieux dire. Après des débuts difficiles, Nabil va devenir un phénomène national.

Flûte maîtrisée, sons sentimentaux. Des compositions feutrées, des airs qui portent sa marque de fabrique. L’homme qui était couché depuis 30 ans, lève sa flûte vers le ciel pour nous enchanter ! Son jeu est simple, souple, naturel. Un style sur mesure. Il met toute son âme dans la flûte et nous impressionne par la limpidité attachante de sa  »tige argentée ».

Résidant à 100 km de Conakry Nabil, offrait des nuits merveilleuses aux citadins de Forécariah, couché dans son berceau roulant, il soufflait des heures durant. Un musicien fécond au cœur arrosé par les pluies de joie qu’il procure aux autres. Accompagné par les musiciens du Kaloum Star, après la Radio, la Télé, Nabil Awada, à la demande générale se produit à plusieurs reprises au Palais du Peuple avec le slogan : « Awada, Awade ! » Ce qui signifie en langue sosso : « En avant Awada ! ».

D’inoubliables moments qu’il nous a offerts avant de tirer sa révérence en 1998. Comme par enchantement dans la quarantaine.

Souvenir : le boum musical de Nabil Awada

Rarement soirée m’aura marqué autant que celle du 9 août 1984. Franchement, au départ, j’ai cru à un bluff. Pas de la part de l’artiste, mais bien de la part de l’initiateur de cette grande première. Je dus, très tôt, déchanter une fois dans la salle des fêtes. Justin Morel Junior a vu juste en allant à la découverte de Nabil Awada. Plus, en obtenant de lui un déplacement pour rencontrer le grand public que composent les mélomanes de la capitale.

À ce niveau même, la surprise était grande. Et, on est allé au Palais du peuple non pour déguster le menu qu’il se proposait d’offrir – mais pour dévorer des yeux l’homme tel qu’il a été peint à force de mots. Et là, l’assistance est passée de l’un des aspects à l’autre, c’est-à-dire de l’homme à sa propre production.

J’avoue que le Palais du peuple, ce soir-là, a fait le plein comme par un jour faste. Les rideaux s’ouvrent. Le Kaloum Star au grand complet est là. Dans les coulisses, JMJ dans un laïus d’une minute, dégage l’essence du spectacle. Puis, sous les applaudissements frénétiques, Nabil Awada, boubou indigo brodé, tenant sa flûte en main, est traîné dans son berceau. Ah ! Ce cher berceau qui est tout pour Awada Nabil… On l’installe sur une espèce de podium. La scène baigne dans un décor naturel qui rappelle bien le paysage de nos campagnes. Malgré l’émotion qui l’étreint, Nabil Awada essaie d’être imperturbable. Il lève son bras droit pour saluer le public. Et c’est l’attaque.

Le premier morceau est une sorte de vocalise liminaire. Par la suite, en trois tranches entrecoupées d’intermèdes, Nabil a joué : Témèdi, Moussoloulé, Ira famma, Aminata (morceaux de sa propre composition) Yéni papa ndé (joue en duo avec Maître Aliou Barry, chef d’orchestre) Manicero (air par lequel il a appris la flûte) Guantanamera. La note finale de cette soirée a été dédiée à la nombreuse communauté arabe en Guinée, par l’air bien « Ya Moustapha ».

Nabil Awada ! Nabil Awada, un jeune homme couché dans un berceau depuis 23 ans, qui défie le sort, le sien, en travaillant positivement, pour lui et la postérité. Son entrée fulgurante sur la scène nationale apporte de solides notes à la musique guinéenne. Son exemple est un des plus beaux, des plus encourageants. Par son opiniâtreté, l’homme tient à mériter de la vie.

Au final, Nabil Awada nous apprend à savoir comprendre les autres, à apprendre, à savoir attendre et agir par la suite dans le sens que dicte toujours notre destin. Aussi, son rêve de paraître en grand public a été réalisé et de la manière la plus élogieuse : Un chèque de 500.000 sylis et un poste combiné radio-cassette, lui ont été offerts par les frères Roda et M. Mohamed Dorval Doumbouya. Du coup d’essai, Nabil Awada est passé maître en musique. Son courage va certainement impulser les musiciens guinéens à mieux travailler pour une évolution qualitative. À la fin de la soirée, un Guinéen de la diaspora, M. Ousmane Baro dira : « Je viens de vivre un beau spectacle. Cet homme handicapé, couché dans un berceau, n’a certainement pas montré tout ce qu’il sait et peut encore mieux faire. Il me semble qu’il nous a caché quelque chose. Une soirée mémorable pour moi qui ai été absent, depuis 14 ans, du pays ». Nabil Awada ! Awaadé !…

 

 Justin MOREL Junior in: 

En direct avec les artistes du peuple de Guinée (Nouvelle édition)

Justin MOREL Junior Editions L’Harmattan Guinee

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