Les drones, l’arme de demain ? La guerre est confrontée à deux courants parallèles qui semblent s’éloigner toujours : d’un côté une extrême sophistication des armements, qui sont à la fois plus puissants et plus onéreux, de l’autre un développement de l’armement basique et rudimentaire qui peut faire de nombreux dégâts. Les terroristes exercent leurs crimes avec des couteaux à huitres et des canifs. Armes rudimentaires et facilement accessibles qui permettent néanmoins de provoquer desdégâts psychologiques et médiatiques majeurs, ce qui est précisément recherché. Les États-Unis disposent de l’arme nucléaire, de porte-avions en quantité, de missiles dernier cri et ils sont vaincus par des éleveurs de chèvres en 4×4 Toyota et en kalachnikovs. La France est l’une des armées les mieux dotées du monde, mais elle est mise en échec par des Touaregs. En Irak, à Erbil, deux militaires français des forces spéciales ont été blessés en octobre 2016 par un drone volant piégé ayant explosé une fois au sol. Un simple drone que l’on peut acheter en magasin et qui, doté d’une caméra ou d’un explosif, peut provoquer de grands ravages. Faire usage d’un missile de plusieurs milliers d’euros pour détruire un drone agile de quelques centaines d’euros était inefficace et même ridicule. Les forces françaises ont dû développer leur force de contre opposition à ces drones redoutables, difficilement détectables et ravageurs. L’entreprise française Cilas a ainsi développé un fusil à drone qui brouille les connexions entre le conducteur et son appareil, provoquant la chute de ce dernier. C’est une réponse au retard de la France en matière de drones, retard soulevé par un rapport de la Cour des comptes 21 :« La France a tardé à tirer les conséquences de l’intérêt des drones dans les opérations militaires modernes. L’effet conjugué des mésententes entre industriels, du manque de vision prospective des armées et des changements de pied de pouvoirs publics a eu pour conséquences, dommageables et coûteuses, de prolonger la durée de vie des matériels vieillissants. Il a également conduit à l’acquisition de matériels américains aux conditions d’utilisation contraignantes et restrictives. »

Il existe plusieurs types de drones, qui ont chacun leur intérêt stratégique. Les micro-drones, de quelques kilos, qui peuvent surveiller des zones à 150 mètres d’altitude et éventuellement exploser au-dessus d’une manifestation ou d’un groupement de personnes. Les mini drones capables de voler jusqu’à 4 000 mètres qui peuvent interagir avec le champ de bataille. Les drones de troisième catégorie MALE (Medium Altitude Long Endurance) qui peuvent mener des missions de renseignement de longue durée et emporter de l’armement. Certains d’entre eux peuvent être transformés en bombe volante en emportant des munitions.

La France a armé ses drones MALE Reaper en 2019 lors des opérations de survol du Sahel. En 2020, ils ont réalisé 58 % des frappes aériennes. Moins coûteux que des avions de chasse, plus faciles à manier et plus difficiles à détecter, ils ne remplacent pas les aéronefs classiques, mais les complètent utilement. Développés au cours des années 2000, les drones ont désormais des succès médiatiques et stratégiques à leur actif. En novembre 2019, des infrastructures pétrolières d’Aramco ont été ciblées par des drones sans qu’il soit possible de les intercepter. En janvier 2020, c’est avec un drone que le général iranien Soleimani est assassiné. Des succès d’estime qui ont fait prendre au sérieux leur usage.

Depuis 2020, la Turquie brille par le bon usage de ses drones qui additionnent plusieurs succès. En Syrie d’abord où ils aidèrent à gagner plusieurs batailles. En Libye, où le général Haftar fut vaincu par les drones turcs, alors que tout lui prédisait la victoire. Le drone turc est alors entré dans l’histoire et beaucoup ont compris l’usage stratégique qu’il était possible d’en faire. De nouveau lors de la guerre du Karabagh en septembre 2020. La victoire de l’Azerbaïdjan repose en partie sur l’usage des drones d’Ankara, qui lui ont permisd’éliminer un grand nombre de positions stratégiques arméniennes, sans que les troupes adverses puissent répliquer. Le drone apporte aujourd’hui une véritable rupture stratégique en donnant un avantage certain aux armées qui en font usage, avec une maximisation des dégâts et une diminution des dommages et des morts pour les armées utilisatrices.

En plus de la Turquie, Israël 22 et l’Iran développent également ce type de machine, dont le Hezbollah s’est emparé. Peu chers et très efficaces, les drones ont tout de l’arme idéale. Ils évitent les pertes chez l’attaquant et ils les multiplient chez l’attaqué. Étant donné leur faible prix, il est possible d’en posséder en grand nombre, multipliant l’effet destructeur. La Chine travaille ainsi sur des essaims de drones qui viendraient attaquer les cibles visées. Même si elle s’est aujourd’hui lancée dans la course, l’Europe a longtemps été en retard sur les drones. Soit par désintérêt, soit parce que l’outil industriel n’a pas répondu, étant accaparé par d’autres programmes. Le drone venant concurrencer l’avion, il remet en cause le rôle du pilote et l’intérêt de cette arme. La question lancinante, même si la réponse est pour l’instant négative, est de savoir si on pourra un jour disposer d’avion sans pilote, des sortes de super drones, de longue portée et de frappes fortes, qui pourraient bouleverser le champ militaire. Que ce soient des pays non européens qui développent la technologie des drones et qui pensent leur stratégie d’utilisation témoigne de la perte d’influence des Européens, là aussi un signe de la fin de leur universalisme.

Désormais, dans ce domaine précis, ce sont des pays extra européens qui ouvrent la voie, obligeant les pays d’Europe à se positionner par rapport à eux.

 

Source : Le declin du monde par Jean-Baptiste NOE.

© L’Artilleur / Bernard Giovanangeli Éditeur, Paris, 2022. ISBN : 9782810011292