L’orchestre le plus prolifique de la Révolution guinéenne après le Bembeya Jazz National est sans aucun doute le Horoya Band National. La logique est respectée par le fait que ce Horoya Band de Kankan n’a pointé du museau qu’à la nationalisation en 1966 du Bembeya jazz de Beyla.

 C‘est en 1967 que la radio guinéenne a commencé à diffuser de façon itérative ‘’Takoula-ta’’ de Djéli-Fodé Dioubaté et en 1968 ’’Responsable suprême de la Révolution’’ de Lancinet Kanté, que tous les collégiens de Conakry ont fredonné. A cette époque déjà, le Bembeya était sur orbite internationale.

Les têtes de gondole et les figures de proue de cet orchestre étaient d’abord les deux chanteurs puis le soliste Balla Kala remplacé par Lancinet Condé, le saxophoniste Mitoura Traoré et le toumbiste, Lamine Camara, qui n’avait pas beaucoup à en vouloir à Siaka Diabaté du Bembeya et à Papa Kouyaté de Kélétigui et de Miriam Makeba.

Un détail important mérite d’être mentionné dans un jeu de chaise entre les différents guitaristes-solistes, car c’est autour d’eux que se formaient les orchestres en Guinée. En effet, Balla Kala, premier soliste du Horoya, qui avait des doigtés fermes et un  style à lui seul, et qui pouvait bien tenir tête et route à Conakry, avait abdiqué au profit de Lancinet Condé, le maître de Boubacar Bah, qui fut préféré, lui, à Diabaté Kaba comme soliste par le Syli Authentique. Les solos de guitare des premiers enregistrements du Syli Authentique, notamment ‘’André, Café…’’ sont de Diabaté Kaba, un ami de banc au lycée qui me parlait de Sékou Bembeya. Boubacar Bah et Sékou Bembeya furent les deux plus grands guitaristes d’orchestre que les Guinéens ont connus.

On parle de guitariste d’orchestre parce que sur internet on a vu décrire David Gilmour, le soliste de Pink Floyd comme le meilleur ; auparavant on avait entendu parler de Jimmy Hendrix, d’Eric Clapton et autres, actuellement on voit sur la toile Lucas Imbiriba, le magicien argentin, dans ‘’Desperado’’ et ‘’Malaguegna’’ pour faire reconsidérer certains préjugés. Mais nous parlons des années 60-70, la différence est là, même si David Gilmour est de la génération de Sékou Bembeya..

C’est ainsi que Kaba Diabaté s’en ira au ‘’Sofas de Camayenne’’, préférant être accompagnateur de Jeannot que de Boubacar, alors que ce dernier est un autre magicien de la guitare, qui a des solos inimitables en doigtés et en accords…

Lamine Camara et le chanteur Djéli-Fodé Dioubaté étaient les personnes qu’on voyait tous les jours sur le terrain de Coléah, les après-midis et les soirs au « Jardin de Guinée » en 1975… Lamine Camara faisait les tours du terrain et transpirait à grosses gouttes. Il y avait plus de joueurs que de terrain, les habitué du terrain ségrégaient les « étrangers ».

 C’était un homme corpulent et solide, un tout petit peu moins que Chéri Souleymane et un tout petit peu plus qu’Ismaël Sylla-Eusob, à l’époque. Lamine se dépensait sans compter sur le terrain, et le soir il tapait à sueur sur la toumba, même qu’il semblait vouloir crever la peau de celle-ci dans « kouria » et autres. C’est ainsi que la boucle s’est bouclée.

 Ce qui est dommage de faire remarquer dans cette disparition, c’est que Lamine Camara est mort sans tambour ni trompette, aucun bruit au niveau national, rien dans la presse, rien à la RTG, rien même à l’Evasion où il avait ses entrées derrière celui qui lui avait passé librement le brassard de chef d’orchestre, on n’a pas entendu des notes de cora. Si le groupe Evasion n’en fait pas cas, qui était mieux placé pour le faire ?

 Lamine Camara est mort et enterré dans l’anonymat et dans la quasi-totale indifférence. On va dire que c’est normal, Lamine n’est pas de leur génération, la Révolution a été enterrée, elle cherche à renaître de ses cendres.

 Le Horoya fut avec le Bembeya les plus prolifiques des orchestres guinéens en tubes de référence. Après le régime de Sékou Touré, le Horoya Band perdit totalement de sa superbe parce que tout son répertoire ne chantait que la Révolution et Sékou Touré diabolisé. Les membres du PDG rasaient les murs, les journalistes-militants étaient dans leurs petits souliers et sur le qui-vive dans la rue, au lendemain du 3 Avril 1984, contrairement au RPG qui fait du bruit actuellement. Ah, que la démocratie peut être permissive !

 La musique est un repère de souvenirs encrés dans les mémoires. Les jeunes de cette époque en ont à revendre du Horoya et du Bembeya. Chaque chanson évoque le souvenir fort d’une personne dans le cœur de quelqu’un…  « Touré nara, Touré bana ; RDA nara, RDA bana ; naloukafo ka-wokè– bès wokè– nalou kafo kawo to– bès woto… ». Ça fait vieux et ça rajeunit de plus de cinquante ans beaucoup de ‘’troisième-âgeux’’.

Quand Sassilon a été publié pour la première fois, en 1974, sur la Voix de la Révolution, Justin Morel Junior l’avait bissé. Le morceau de Lanciné l’avait autant possédé que les auditeurs qui étaient à l’écoute. C’était une toute première d’entendre deux fois de suite le même morceau sur la Voix de la Révolution. Ce mérite, aucun orchestre ne l’a eu en Guinée, même si ce Horoya s’était fait à plate couture ‘’lessiver’’ au de 1973 par le Bembeya, en duo d’animation. Et justement sur le morceau « Paya-paya » pour magnifier le chef Mitoura Traoré, qui n’avait aussi pas beaucoup à en vouloir de Dorégo Clément et de Kélétigui au saxophone. La célébrité n’est pas du talent simple sans le charisme. Ce morceau de Horoya interprété par les deux orchestres sur le même plancher en musiques comparées a vu le Bembeya remporter l’applaudimètre du Palais du Peuple. L’histoire, la vraie, c’est les détails pareils. Il faut relater ce qui s’est passé réellement sans enthousiasme ni passion pour la postérité, et il fallait être témoin pour en parler sans baisser la tête d’avoir lancé des pavés d’ours à l’histoire pour flouer ses contemporains, ce serait pire que de la mythomanie des historiens bonimenteurs.

Après Balla et ses Balladins, Kélétigui et ses Tambourinis, voilà le dernier du Horoya qui s’en va pour le bon en nous laissant une brassée pleine de souvenirs impérissables. Ils nous ont accompagnés toute une vie. Même si Lamine Camara n’a pas été honoré à sa juste hauteur et qu’il n’avait pas eu tous les hommages dignes de lui, ceux qu’il a fait vibrer le lui reconnaissent et le remercient profondément, et ça vaut mieux qu’un hypocrite symposium avec des mots creux.

Merci sincèrement pour tout et dors en paix, l’artiste.

 

Moïse SIDIBE pour JMI

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