Un à un, nos amis et nos artistes s’en vont au moment où on s’y attend le moins du monde. C’est avec beaucoup d’émotion qu’on a appris la nouvelle du décès de Mamadou Aliou Barry, plus connu sous le nom de Maître Barry pour tous ses contemporains.

J’ai entendu parler de Maître Barry depuis 1963 par un ami d’enfance, qui avait abandonné « l’Ecole de la Mission », ou « l’Ecole du centre », va savoir, par peur de la sévérité de Maître Barry. A l’époque, les sévices corporels étaient appliqués dans toutes les écoles. Les enfants se cachaient de leur maître, en ville ou dans les quartiers.

Pour des billes, ce copain d’enfance (il est mort)) avait frappé Mohamed Touré (il est vivant), l’actuel président du PDG-RDA, en difficulté avec la justice américaine.Peut être une image de 1 personne et saxophone

« Tu as osé frapper l’enfant du président ! », avaient dramatisé ses camarades. Mohamed était en première année, il était allé en pleurant se plaindre chez Maitre Barry, qui enseignait la 3ème année, la classe de «Gnampé le Noir », c’est le surnom du bravo, mais qui avait pris la tangente pour ne plus revenir à l’école. Ses camarades de classe ont tenté vainement de le ramener, le rassurant qu’aucun militaire n’est venu de la présidence, et que Maître Barry n’en parlait plus.

L’histoire est têtue quand on fait un témoignage sur les faits divers et historiques aussi lointains, on n’élude rien. L’ami Mohamed Touré, qui avait 7 ou 8 ans, se souviendra, et peut-être, en sourira).

En 1967-68, un autre ami et voisin, du nom de « Soriba-l’écoute », qui était piqué par le virus de la chanson, avait choisi d’intégrer l’orchestre de Maître Barry, le Kaloum Star, ainsi que les Jackie, Abdoulaye « Bras-cassé »…C’est ainsi que le nom de Maître Barry m’est devenu petit à petit familier.

La première fois que je me suis adressé de vive voix à lui, remonte à 2010-2011, et ce n’était pas pour lui faire des compliments. En compagnie des amis de l’ambassade de France, nous sommes allés au Loft, situé entre l’Hôtel Camayenne et le Camp Boiro, à leur insistance. J’ai demandé : « Il y a quoi, au Loft ? », ils ont dit qu’il y a Maître Barry et son ensemble qui jouent là, et il y a tout ce que tu veux ». Va pour le Loft !

Le groupe était composé de Maître Barry, de Chuck Berry, de Rizo Bangoura…. On s’installe à une table, face à l’orchestre. Rizo et Maître Barry sont venus saluer la dame et le monsieur de l’ambassade et mézigue. Il a engagé la causerie.

Je trouvais que la balance était mal réglée. Si le son de retour était bon pour les membres de l’orchestre pour ne pas s’en rendre compte, en retour, le son de façade était mauvais pour le public, parce que certains instruments sonnaient irrégulièrement presque en mélopée. Entrer dans les détails d’un cours d’acoustique ici, serait fastidieux.

Je dis à Maître Barry, sans prendre les pincettes, que la balance est mal réglée. C’était irritant pour un professionnel de s’entendre remonter à bout portant les bretelles par un profane. Il m’a regardé de haut avec un peu d’irritation. Quelques instants après, il est allé au milieu de la salle et a écouté attentivement le son en faisant un mouvement d’acquiescement de la tête en me regardant… Il n’avait pas reconnu ouvertement l’erreur de réglage, sur l’instant, mais depuis, à chaque fois qu’on se rencontrait, il m’était enthousiaste et avenant, même quand il était sur scène, il me saluait de la main. On a eu maintes et maintes rencontres amicales et heureuses.

En 2014 ou 2015, les chanteurs du Syli Authentique, Yaya et Max m’informent et me demandent de venir à la Paillote. On vient vers les 22 heures, sous une pluie battante. Yaya était en retard. On cherche où s’installer, voilà Maître Barry, tout seul dans le salon face à la piste, qui nous fait de grands signes de la main.

Après une entrée en matière et le deuxième service au nom de Maître Barry, un peu rarissime, vous en conviendrez, une commission me vint de la part de Yaya Bangoura, qui est arrivé sans que je ne m’en aperçoive : « Monsieur, Yaya vous salue et vous demande de venir, qu’il ne peut pas marcher, il a mal au pied ». Maître Barry me dit : « Moïse, allons le saluer, il est malade ».

Yaya m’attire sur ses genoux, moi qui le croyais malade des jambes, il m’embrasse « à la communiste », sur la bouche, au grand étonnement de l’orchestre. On a fait des photos. Petit Condé vient à nous et Yaya lui raconte qu’on s’est connu depuis les temps immémoriaux. Petit Condé me dit : « Qu’est-ce qu’on joue pour vous ? »…

C’est ici l’occasion de rendre hommage et de remercier du fond du cœur le président Alpha Condé, qui a inclus, exceptionnellement et à juste raison, Maître Barry parmi les anciens artistes nationaux bénéficiaires d’une généreuse pension pour tout ce qu’ils ont fait pour la culture guinéenne.

Maître Barry est un artiste transnational et transgénérationnel. Il ne faut surtout pas oublier qu’il a été le mentor de la saxophoniste Zenab Bah des Amazones de Guinée, celle qui avait fait exploser le public de Paris dans le tube « Samba ». Justin Morel Junior pourrait nous en dire beaucoup et plus sur cette sortie des Amazones et sur Maître Barry.

En 2019, au centre culturel franco-guinéen, il était au podium avec l’orchestre, sous le grand fromager. Quand je suis venu devant l’orchestre, il m’a salué de la main, je lui fis signe que je suis au bar. Un instant après, il est venu me rejoindre. Il y avait Ansoumane Djéssira Condé, qui apprêtait un ensemble traditionnel forestier pour l’accueil d’une délégation. Je dis à Maître Barry qu’il me semble connaitre cet homme. Il dit : « attends, je l’appelle : Djéssira, tu connais Moïse ? ». Celui-ci lui dit : « on était ensemble ici, au quartier avec Tâ-Didi, avec Bogart et Ivon… ceux avec lesquels j’ai tapé les 36 coups, à l’adolescence.

Je ne me rappelle pas l’avoir connu au quartier, il était dans le groupe de nos cadets, mais je me rappelle l’avoir rencontré à Taouyah, au bar La Calebasse, situé derrière la pharmacie qui fait face au cinéma Le Rogbanè. Il ne m’a pas dit, ce jour-là, qu’on se connaissait.

A l’époque, Djéssira faisait la publicité tapageuse pour le rap (Rap-Attack) ou quelque chose comme ça. Il n’était pas seul, Isto Kéira et Maciré Camara de Mass-Production en faisaient également pour ce mouvement.

J’ai dit, ce jour-là, à Djéssira, qu’au lieu de faire la promotion pour le Rap, pourquoi ne pas promouvoir nos cultures traditionnelles, les yancadi et autres. Il me répond : « Mon frère, ça, c’est trop tard, le mouvement est trop fort, il serait difficile de revenir en arrière… »

Je publie un pamphlet contre le mouvement rap-attack dans l’Indépendant, il s’est éteint tout seul. C’est donc avec étonnement que je vois Djéssira converti en promoteur d’un ensemble traditionnel forestier, après une dizaine d’années plus tard…

J’ai dit à Maître Barry : « maintenant que maître Kélétigui est mort, Dorégo Clément est malade, c’est toi seul qui es incontournable avec le saxophone. Il m’a dit : ‘’Waii’’ !

Les jeunes ont de la viscosité à jouer des instruments à vent. Avec ta disparition, la Guinée va cruellement manquer de souffleurs, ‘’Waii’’ !

Tu as fait ce qui était ta partition. Les Guinéens te le reconnaissent unanimement et pleinement.

Dors en paix, l’artiste !

Moïse Sidibe