Introduction. Aimé Césaire est l’un des principaux animateurs de la revue L’étudiant Noir. Il y publie un article intitule « Nègreries, jeunesse noire et assimilation » le propos de Césaire est mesuré mais son refus de l’assimilation rejoint celui des fondateurs de légitime défense (Etienne Léro, René Ménil…) « la jeunesse noire veut agir et créer. Elle veut avoir ses poètes, ses romanciers, qui lui diront à elle ses malheurs à elle, ses grandeurs à elle. » Il est l’un des fondateurs de la négritude. D’ailleurs, le mot négritude apparaît pour la première fois dans le poème de Césaire Cahier d’un retour au pays Natal, publie en 1939, dans la revue volonté.
Césaire en a proposé une définition : « la négritude est la principale reconnaissance de fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture. »
Plus tard, Senghor donne au mot une signification plus dynamique ; il définit la négritude, comme une manière spécifique d’ « assurer les valeurs de civilisations du monde noir »
Cette prise de conscience devient ainsi un acte poétique dans la mesure où, à travers la poésie, des nègres osent proclamer le droit à l’existence autonome.
C’est ainsi que Césaire, dans le Cahier d’un retour au pays natal, à l’instar de Senghor, tente de démythifier le Blanc et réhabiliter la culture nègre.
Pour aborder le sujet, nous examinerons dans un premier temps l’homme et l’œuvre, puis dans un deuxième temps, l’esthétique du texte. Un glossaire de mots difficiles sera proposé à la fin de l’exposé afin de guider le lecteur à travers ce labyrinthe sémantique que constitue le poème.
        I – L’homme et l’œuvre
1. 1. Biographie de Césaire
Issu d’une famille modeste de Fort-de-France, écrivain et homme d’action, Aimé Césaire est né le 26 juin 1913, à Basse-Pointe au nord de la Martinique. A l’âge de six ans, il entre à l’école primaire. Après une bonne scolarité au lycée de sa ville natale, Aimé Césaire obtient une bourse afin de poursuivre ses études à Paris au lycée Louis-Le-Grand.
1932-1933, Césaire entre à hypokhâgne à Louis-le-Grand, où il fait la connaissance de Ousmane Socé, puis de Léopold Sedar Senghor.
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Césaire réussit au concours d’entrée à l’ENS en 1935. Il voyage en Martinique et commence à écrire le Cahier. En 1937 Césaire épouse Mlle Roussy. 1937 voit la naissance de son premier enfant et il vient de terminer le Cahier qu’il publiera en 1939 dans la revue Volontés.
Césaire et sa femme Suzanne Césaire sont affectés comme professeurs au lycée V. –Schoelcher de Fort-de-France. Césaire est élu député-maire de la ville sous les couleurs du Parti Communiste Français (PCF) qu’il quittera en 1956 et adresse à l’occasion une lettre à Maurice Thorez. Il renonce à la députation en 1993.
A la différence de l’africain Senghor, également victime de la colonisation occidentale, mais dont la culture est restée intacte, l’antillais, lui, a été coupé de ses racines et contraint d’adhérer à la politique pratiquée par le maître blanc. Dès lors, Césaire, à l’image des autres antillais, est écartelé entre deux situations conflictuelles : voulant être Blanc, il se découvre Nègre et que voulant être Nègre, il constate qu’il est blanc. Ainsi Césaire est partagé entre ce père qui le renie et cette mère qu’il a reniée. »
Cette situation ambiguë ne cesse de le hanter, et le pousse à dénoncer le système colonial. C’est pourquoi il utilise sa plume pour se faire entendre.
Ecrivain prolixe, Césaire publie plusieurs ouvrages :
Les armes miraculeuses (poésie), 1946 ; Soleil cou coupé (poésie), 1948 ; Corps perdu, (poésie) 1949 ; Discours sur le colonialisme (essai), 1955 ; Lettres à Maurice Thorez, 1956 ; Et les chiens se taisaient (poésie puis théâtre), 1956 ; Ferrements, (poésie), 1960 ; Cadastre, (poésie), 1961 ; Toussaint Louverture, (historique), 1962 ; La tragédie du roi Christophe, (théâtre), 1963 ; Une saison au Congo, (1967) ; Une tempête, (théâtre), 1969 ; Œuvres complètes, 1976 ; Moi, laminaire…, 1982.
Ce qui frappe chez Césaire, c’est à la fois la complexité et la cohérence d’une personnalité riche. Il est épris de justice et de fraternité. Au-delà de sa personnalité d’écrivain, Césaire est aussi un homme d’action.
       1. 2. Approche de l’œuvre
1. 2. 1. Le contexte de publication
L’œuvre poétique maîtresse d’Aimé Césaire, le Cahier, publiée pour la première fois sous forme de fragments en 1939, apparaît à quelques années de distance comme un vibrant écho aux propos que tenait René Ménil sur l’écrivain de couleur antillais dans l’unique numéro de Légitime Défense.
1930 coïncide à une période de bouillonnement culturel. En effet, nous sommes dans la période coloniale. Les pays africains ne sont pas encore indépendants et les peuples noirs de la diaspora sont sous le joug du colonisateur blanc. Ce qui est important à noter durant cette période, c’est l’engouement et la volonté des étudiants noirs de lancer un cri d’alarme.
Ainsi promue capitale littéraire du monde, Paris devient le creuset d’une nouvelle culture largement ouverte aux influences extérieures : « ville ouverte, dit Léon Gontran Damas, où nous rencontrions toutes sortes de personnes et notamment des Noirs américains de toutes les classes, à un moment où l’Europe découvrait l’art nègre et les négro-spirituals ». Ainsi, l’étape parisienne a permis à bon nombre de ces écrivains de retourner dans leurs pays pour occuper les hauts postes de l’administration. Hommes d’action, ils sont directement impliqués en tant que parlementaires, journalistes, syndicalistes, étudiants… dans le combat pour l’émancipation de la race noire.
A la suite des revues La Dépêche Africaine, La Revue du monde noir (1931) et Légitimes défense (1932), apparaît en1934 L’étudiant noir animé par Césaire et Senghor
1935 – 1960 est une période importante pour la revalorisation de la culture nègre. On assiste à la publication de plusieurs ouvrages. Senghor cherche à spécifier la poésie africaine. Pour lui cette poésie ne s’accomplit qu’en cherchant ses racines, son style original où prédominent, selon Senghor, l’émotion, le rythme et l’image. Théoricien doublé d’un créateur, Senghor a mis en pratique la leçon de la négritude en pratique dans ses recueils poétiques dont les premiers sont publiés dès la fin de la seconde guerre mondiale : Chants d’ombre (1945), Hosties noires (1948), Chants pour Naëtt (1949). L’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de la langue française réunie par Léopold S. Senghor en 1948 fait connaître les premiers poètes de la Négritude : A. Césaire, Birago Diop, David Diop, Jacques Rabemananjara, Léon G. Damas, etc.
Dans cette même perspective, Césaire, animé par une volonté de déconstruction de la syntaxe du français, s’attache à montrer aux Blancs la valeur de la poésie nègre.
Le Cahier, récit d’une résurrection symbolique, en prose et en vers, intègre la modernité d’écriture européenne au rythme propre du chant caraïbéen pour proclamer la volonté d’être de ceux qui « savent en ses moindres recoins le pays de souffrance ».
    1. 2. 2. Le résumé de l’œuvre
Cahier d’un retour au pays natal est une œuvre riche et complexe. Ainsi la résumer demeure une opération difficile. En effet, nous disposons de l’édition Présence Africaine 1984. Ce texte de 65 pages est composé d’un dessin illustratif représentant un Homme qui prie. L’œuvre est complétée par des annexes et de la préface d’André Breton (un grand poète noir). Les œuvres d’Aimé Césaire publiées entre 1939 et 1982 clôturent le Cahier.
A la suite de notre analyse, on découvre que le Cahier comporte 24 « Au bout du petit matin ». Ainsi dans les 20, Aimé Césaire expose la situation désastreuse de la Martinique. L’autre partie est une peinture accablante de la Martinique saisie au double aspect physique et social. Dans la première séquence, Césaire dresse un tableau sinistre des Antilles et se proclame porte-parole des sans-voix : Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouches, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir » p. 22
Dans un second temps le poète revient au pays natal « j’ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies » p. 22 Ce retour coïncide ainsi avec une descente orphique qui doit permettre à Césaire de dénoncer violemment le système colonial. Il est considéré comme le dernier antillais, lui le lettré et professeur « Et moi seul, brusque scène de ce petit matin » » p. 23
Aimé Césaire, tellement choqué par les actes des colonisateurs revendique la démence opposée à la raison occidentale. C’est pourquoi il affirme : « … nous vous haïssons vous et votre raison, nous nous réclamons de la démence précoce de la folie flambante du cannibalisme tenace. » p. 27
Ainsi, Césaire est fier d’être noir, il proclame sa négritude en ironisant sur le Blanc. Il est conscient de sa personnalité et invite les Blancs « Accordez-vous de moi, je ne m’accommode pas de vous ! » p. 33
La troisième séquence (p. 44) débouche paradoxalement sur la lumière, le poète se fait en effet le prophète du redressement de la race noire et il s’offre à en être le guide. Dans cette ultime partie, Césaire fait un retour sur soi.
« Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
Ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité
(…) la somme libre enfin
De produire de son intimité close
La succulence des fruits. »
On ne saurait mieux dire, au début de ces vers, la douloureuse acculturation de l’écrivain, dont la parole « pérégrine » prétend cependant communiquer avec ses frères. Ainsi, l’exaltation de la négritude conduit le poète à définir sa mission qui consiste maintenant à établir des liens de fraternité entre les noirs mais également en symbiose avec ceux-là qui le méprise.
C’est pourquoi il affirme « j’accepte, j’accepte tout cela » p. 56 Ce retour aux sources permet à Césaire de reconnaître l’importance de sa mission. Son périple européen lui a permis de faire la part des choses. Ainsi une nouvelle ère commence avec la re-naissance de la diaspora « Et nous sommes debout maintenant mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n’est pas en nous mais au-dessus de nous, (…) est finie. » p. 57
Cette note d’espoir confirme ainsi la libération du nègre du joug colonial car
« La négraille assise
Inattendument debout
………………
Et
    Libre. » pp. 61-62
Enfin, le nom de Césaire est désormais synonyme de poésie du monde noir, une poésie militante, d’abord marquée du sceau d’un génie poétique hors de pair donnant à la langue française des accents nouveaux.
    2. 3. Les thèmes abordés
Les thèmes s’inscrivent dans la dynamique du poème, et le vocabulaire riche de Césaire vient en contrepoint. Suivons la subdivision de Maryse Condé pour comprendre comment ils s’enchaînent pour donner un ensemble cohérent. (Le Cahier d’un retour au pays natal : Aimé Césaire…) :
– Redécouverte du pays natal : misérable résignation du peuple (misère, putréfaction, morbidité, maladie) ;
– Asservissement, souffrance, humiliation de la race (lassitude, douleur, révolte de la conscience) ;
– prise de conscience, montée de la révolte, épiphanie et assomption de la conscience nègre (violence, héroïsme, sacrifice, apothéose solaire, liberté).
a) Il dénonce la colonisation
– un système répressif (souffrance, travaux forcés, traite négrière) ;
– dénonciation qui concerne tous les opprimés de la terre ;
b) L’acculturation de la Martinique
– insouciance du peuple, assimilation des élites, un peuple passif ;
– misère, insalubrité, etc.
c) La confrontation des cultures et l’accusation de carence adressée aux civilisations noires ;
d) La volonté de démarcation de la négritude par rapport à l’occident ;
e) Revalorisation de la culture nègre ;
f) Prise de conscience ;
g) La prière virile du poète ;
h) Le racisme ;
i) Le thème de la négritude.
     II – L’ESTHETIQUE DU TEXTE
2. 1. La force du mot
On peut lire ceci dans l’entretien que Césaire que a accordé à Jacqueline Leiner
« D’abord sans le mot, il n’y a pas de poésie. Je ne sais même pas si, sans le mot, il y a un moi… mon moi est vague, il est flou, il est incertain… c’est une sorte de torpeur. C’est le mot qui lui permet de prendre… Je ne m’appréhende qu’à travers un mot, qu’à travers le mot… C’est par le mot qu’on touche au fond. »
Le mot est un catalyseur de l’émotion : il fait exploser, il galvanise.
Il faut noter tout de même que les mots de Césaire sont hors du commun par leur rareté et par la complexité de leurs sens métaphoriques. Les mots sont souvent au sens figuré ou bien il faut remonter à leurs étymologies pour trouver leurs significations. Pourtant note Lilyan Kesteloot « cet agrégatif de lettres travaille sans dictionnaire, alors qu’il nous faut fréquemment consulter le nôtre pour comprendre ses poèmes ».
La complexité du mot provient au moins de deux sources, du moins sur le plan sémantique :
a) le mot est rare, quasi inconnu ;
b) le mot est courant, mais polysémique, sinon le sens que lui attribue le poète n’est plus usité.
Ainsi le loup, le sanglier, la souris deviennent d’authentiques poissons (p. 45). Voir les naturalistes Bouffon, Cuvier. (Nous proposons un glossaire des mots difficile à la suite de cet exposé)
D’autres traitements du mot peuvent être relevés : les jeux de mots, les néologismes, les mots-valises. Le cas de « conturbe » est assez significatif : mot à la fois néologisme et mot-valise ( composé à partir de deux verbes « contourner » ; « perturber », pour signifier tout aussi bien les deux, faisant ainsi la richesse du lexique.
Comment lire cette phrase : « et loin de la mer de palais qui déferle… » p. 5
l’amer du palais : la parole acérée, dont les mots galvanisent ou font mal ;
« maire du palais » : cet envoyé des rois mérovingiens qui parcourait la province, « déferlant sur le petit peuple, le pressurant et récoltant l’impôt.
« Parbleu les Blancs sont de grands guerriers
Hosanna pour le maître et pour le châtre-nègre !
Victoire ! Victoire, vous dis-je : les vaincus sont contents !
Joyeuses puanteurs et chants de boue ! » p. 33
Le premier juron contraste avec le nom « Blanc » par la couleur.
Les oxymores obtenus avec le jeu de mots « chant debout » renvoie à la victoire des Noirs : c’est le « qui perd gagne ». Une ironie sarcastique permet un inversement des valeurs : le dévalorisation du maître et la célébration du noir.
Le mot à lui seul n’exprime pas la force de l’émotion. Aussi est-il adjoint d’adjectifs relevant de divers domaines. Dans Liberté I, Senghor écrit que ces mots expriment « la réalité qui sous-tend les apparences ». Césaire ainsi désigne les objets, les sentiments, les concepts selon leur signification sémantique classique, il ajoute une dimension personnelle affective, donnant ainsi à l’objet une coloration forte, ce qu’il appelle une « valeur-force ». Aussi le sens littéral du terme fait-il place au sens musical ou rythmique. Ecoutons ce verset :
« j’aurais des mots assez vastes pour vous contenir et toi terre tendue
terre saule
terre grand sexe levé vers le soleil… » p. 20 Notons au massages l’allitération en « t » qu’on retrouve avec la même expression chez Senghor dans « Femme nue, femme noire », « tam-tam tendu …
L’émotion naît alors de la vibration sonore et non de l’image poétique, d’où les allitérations et assonances suggestives. Le rythme est finalement charnel, comme le témoigne cette citation : « … et ce ne sont pas seulement les bouchent qui chantent, mais les pieds, mais les fesses, mais les sexes et la créature tout entière qui se liquéfient en sons, voix et rythme… » p. 16
Au-delà du mot, c’est le cri qui est proféré pour sortir le Nègre de sa léthargie. Ce cri du poète est causée par l’esclavage, la déchéance de son peuple (dépérissement de la conscience des antillais, conduit à l’imitation servile du modèle imposé par le maître blanc, « culture de décalcomanie », selon l’expression de son épouse Suzanne Césaire.), ou par le constat de l’état pitoyable, la misère sordide, la crasse généralisée dans lesquels trempe le pays, et notamment la ville de Fort-de-France (voir la description de la rue de Paille, à Basse-Pointe p. 19).
Le cri poussé à la fin du poème est celui de l’espérance accomplie dans ce bateau de « Pandore » :
« Je dis hurrah ! La vieille négritude
progressivement se cadavérise
l’horizon se défait, recule et s’élargit
et voici parmi les déchirements de nuages de fulgurance
d’un signe
le négrier craque de toutes parts… son ventre se convulse et résonne…»
   2. 2. Le symbolisme
Le symbolisme est obtenu grâce à la puissance métaphorique des mots. Et les métaphores désignent principalement le Martiniquais (et parfois le colonisateur, ironiquement), dont le poète stigmatise l’inertie et la docilité.
    2. 2. 1. Le symbole cosmique
Le symbole cosmique est assez présent dans le poème à travers la terre promise faite d’eau. Cette terre avec les climats et les saisons. L’air et l’espace sont souvent symbolisés par l’oiseau les étoiles.
« l’oiseau qui savait mon nom… »
« les nuits sans offense et les étoiles de confidence
Et le vent de connivence… »
Cet espace qui est souvent le domaine où s’épanouit l’homme dominé sur Terre. Aussi l’oiseau symbolise tout aussi bien la liberté que la rêverie ascensionnelle, cela va déboucher sur la régénérescence.
« Libre comme le vent, libre comme l’oiseau dans l’air… »
Le poète s’identifie au souffle cosmique et à la colombe
« et lie, lie-moi sans remords
lie-moi de tes vastes bras à l’argile lumineuse
lie ma noire vibration au nombril même du monde
lie, lie-moi, fraternité âpre
puis m’étranglant de ton lasso d’étoile
monte, Colombe
monte
monte
monte » p.57
On pourrait y ajouter le symbolisme animal qui exprime la férocité et les forces maléfiques. « Il y a sous la réserve de ma luette une bauge de sangliers… » p. 14
  2. 2. 2. Le symbolisme sexuel
Les images de sexualité sont souvent rendues avec les éléments de la nature. Elles peuvent s’analyser à différents niveaux, selon les fins du poète. Toutefois, pour retrouver sans grandes difficultés les indices de sexualité ou d’érotisme dans le poème, il suffit de se référer au champs lexical : en dehors de sexe et la famille de mot, on recense, avec les connotations, sodomie, cordon ombilical, accoucheur, sexe levé, mentule, membrane vitelline, mamelles, grandes eaux, gésine, ovaires, lémurien de sperme, ensemencement, etc.
« … les sodomies monstrueuses de l’hostie et du victimaire… les prostitutions, les lubricités… » p. 13
Cet exemple sur la débauche du peuple est un aspect du traitement de la sexualité dévalorisée.
Le sexe symbolise aussi la révolte, à travers des métaphores épiques. Pour rendre cet effet de puissance sexuelle, le poète l’associe aux termes feu, soleil, eau, cheval… et obtient naissance, vie, amour et perpétuation de la race noire.
« mais la tourmente… hystérique de la mer » p. 14
La fonction sexuelle dépasse la dimension humaine avec sa recherche de plaisir ou de procréation, pour s’élargir à une vision cosmique et tellurique. La sexualité est intégrée dans le vaste projet de germination universelle.
« les cases aux entrailles riches en succulences »
« Terre grand sexe levé vers le soleil…soleil mâle… »
« Terre grand délire de la mentule de Dieu » p. 20 ; et le terme délire renvoie à la folie, autre thème fréquent dans le Cahier à travers son lexique : hystérie, convulsions, démence, épilepsie, rêve soit pour dévaloriser soit pour les besoins de la révolte en l’opposant à raison du maître blanc et à la raison soumise de son peuple : « Tiens, je préfère avouer que j’ai généreusement déliré » p. 38 « … nous vous haïssons vous et votre raison, nous nous réclamons de la démence précoce… » p. 13
  2. 2. 3. Le symbolisme religieux
Le poète fait allusion, si on exploite l’ironie qui caractérise l’écriture de Césaire, au symbolisme biblique à travers les mots « hostie » et « victimaire ». Cela sous-entend que le nègre est la victime dans le sacrifice eucharistique, en subissant l’outrage du prêtre chargé du rituel sacrificiel.
Le nègre est comme le Christ. Dans l’Evangile de Mathieu, 27, 29 il est écrit que les soldats se moquaient de Jésus en crachant sur lui et en le frappant. N’est-ce pas le symbole parfait du rabaissement. « Je réclame pour ma face la louange éclatante du crachat » p. 38 Crachat a ici une double fonction : synonyme de celui reçu par le Christ mais aussi de celui reçu par le Nègre instruit qui méprise son frère. Celui-ci cependant ne va pas se laisser faire, car :
« aucun crachat ne le conturbe,
Je ne suis plus qu’un homme qui accepte n’ayant plus de colère
(Il n’a plus dans le cœur que de l’amour immense, et qui brûle)
J’accepte… j’accepte… entièrement, sans réserve…
ma race qu’aucune ablution d’hysope et de lys mêlés
ne saurait purifier
ma race rongée de macules
ma race raisin mûr pour pieds ivres
ma reine de crachats et de lèpres… » p. 46
Césaire inverse les valeurs, du négatif le crachat est récupéré par l’humilié qui s’en sert positivement.
Egalement dans l’Evangile de Jean, 19, 5 on retrouve « Je ne suis plus qu’un homme » dans « Voici l’homme »
             Conclusion
Pour conclure, on peut dire que le Cahier est un véritable réquisitoire contre le colonialisme et le racisme. Césaire se sentant parfois humilié et offensé, prendra donc fait et cause pour tous les humiliés et offensé, à quelque race qu’il appartienne et son grand dessein sera de travailler pour que s’instaure un monde totalement libéré dans lequel personne n’aurait à endurer des malheurs pareils à ceux qu’a endurés la race nègre.
Ainsi, comme le remarque Babacar Sall dans son article « le voleur du verbe » extrait de Présence Africaine 151-152, 3e et 4e Trimestre 1956, p. 30, que Césaire est un poète majeur du XXe siècle. Venant d’une terre inquiète, d’une terre volcanique née de la déchirure et arrachée de son corps génital comme un lambeau fœtal a fini par oublier son itinéraire, ses repères et sa mémoire tellurique. Il n’est pas étonnant qu’il soit un de caractère.
Glossaire de mots « difficiles » dans le Cahier
Agoraphobie (15) : trouble du comportement caractérisé par une peur du public.
Ahan (12) : cri plaintif exprimant un effort pénible.
Alevin (31) ou alvin : n. m. du latin allevare, élever. Jeune poisson utilisé pour repeupler un étang, un cours d’eau.
Alex itère (12) : du grec alexeter : qui porte secours. Médicament contre poison, contre venin.
Miséreux affamés. Le mot italien Arlecchino, d’où vient le mot, dérive du mot moyenâgeux hellequin est un diable qui déchirait les humains
Askari (59) : de l’arabe ascari, soldat, tirailleur. Nom donné en Afrique au jeune garçon qui accompagne son aîné pour s’initier au combat.
Aumusse (51) : Coiffure en peau de martre ou de petits gris portée par les dignitaires ecclésiastiques.
Bêcheur (50) : gladiateur, combattant
Boulimie (11) : trouble du comportement alimentaire caractérisé par un besoin irrépressible de manger.
Bubon (12) : du grec boubôn, pustule. Tuméfaction des ganglions de l’aine, de l’aisselle ou du cou, caractéristiques de certaines maladies infectieuses transmissible ou de la peste.
Calcanéum (25) : du latin calcare, fouler, et calcaneum, talon. Os du pied formant la saillie du talon, et sur lequel repose le poids du corps
Cécropie (21) : bois blanc tendre et poreux. Césaire le compare aux mains nègres, paume claire et dos sombre. La décoction de feuille de cécropie est fébrifuge, anti-inflammatoire et antiasthmatique. En injection vaginale, elle est efficace contre les pertes blanches.
Chalasie (43) : du grec khalasis, relâchement. En ophtalmologie, acte de séparer la cornée d’avec la membrane sclérotique. Chalazion : nodosité kystique de la paupière
Chassie : sécrétion jaunâtre purulente, des glandes palpébrales, au bord des paupières.
Chloasme (52) : tâches cutanées brunâtres ou noirâtres ; constitue le masque de grossesse chez la femme enceinte.
Cloque (18) : nouvel ampoule, phlyctène. Boursouflure cutané remplie de sérosité autre sens : maladie des arbres caractérisées par des tâches boursouflées sur les feuilles.
Coltis (12) : terme de marine : couple dont le pied se trouve à la jonction de l’étrave, avec la quille au point ou commence la saillie des bossoirs.
Consomption (10) : du latin consumere, détruire peu à peu : amaigrissement, dépérissement
progressifs sous l’effet d’une maladie ou d’un jeûne prolongé
Conturbe (52) : du verbe conturber. Un mot-valise formé par Césaire à partir des verbes contourner et perturber. En fait conturber est un vieux mot français du
XIIIe siècle, signifie troubler, agiter profondément, bouleverser.
Cornée (57) : membrane transparente antérieure de la face antérieure de l’œil, sous l’effet de la cataracte. « Imprimée en mon ancestrale cornée blanche »
Démence précoce : psychose dissociative d’apparition précoce chez l’homme. Synonyme de schizophrénie.
Eaux (34) : liquide dans lequel baigne le fœtus au sein de la poche amniotique. La rupture de la poche des eaux annonce l’imminence de l’accouchement.
Eléphantiasis (19) : œdème lymphatique des bras, jambe, bourse génitale, d’origine le plus en plus parasitaire.
Embolie (31) : obstruction d’un vaisseau par un corps étranger, généralement un caillot de sang, ou une bulle d’air du sang (Embolie pulmonaire).
Empan (23) : distance entre le pouce et l’auriculaire, main écartée au maximum.
Erésipèle (33) ou Erysipèle : n. m. Maladie inflammatoire cutanée provoquée par le streptocoque ; atteint souvent la face, en formant des bourrelets cutanés rouges et enflammés, autour des orifices naturelles, bouche, narines.
Eschare (8) : du grec eskhara. Lésion cutanée ulcéro-nécrotique qui apparaît chez les malades alités, par contacte prolongé de la peau avec une surface, le drap de lit en général.
Essentes (19) : planchettes utilisées dans la couverture d’un toit.
Gibbosité (46) : déformation de la colonne vertébrale. Saillie en forme de bosse.
Hanneton (7) : n. m. insecte coléoptère du groupe des scarabées dont la larve (ver blanc) est très nuisible.
Hypoglosse : nerf grand hypoglosse, douzième paire crânienne qui commande la motricité de la langue.
Hystérie : du grec hustera, hustericos, matrice, utérus. Comportement névrotique caractérisé par une hyperexpressivité psychomotrice, image consciente et inconsciente. Nom donné par Hypocrate à ses troubles du comportement, observés le plus souvent chez la femme, trouble dont il situait l’origine au niveau de l’utérus.
Impaludé (10) : qui a contracté le paludisme, ou a qui l’on a inoculé la fièvre paludéenne comme moyen curatif.
Impavide (62) : que la peur ne saurait ébranler.
Indice céphalique : indice anatomique utilisé en anthropologie et en morphologie comparées. Rapport entre deux dimensions du squelette céphalique.
Jiculi : plante du Mexique dont le suc lactescent produit une drogue hallucinogène, la mescaline. Jiculi serait un néologisme de Césaire pour désigner le sperme. Et selon Roger Caillois : « le liquide séminal éjaculé reçoit le nom de lait… » in Le mythe et l’homme, Gallimard, 1938, p. 56
Ordalie (59) : Epreuve judiciaire du Moyen Âge (dit aussi jugement de Dieu) ; celui qui l’affrontait victorieusement était réputé innocent.
Larbins (7) (23) : domestique, laquais. Fig. Être le larbin de quelqu’un, exécuter sans réaction tout ce qu’il exige.
Macule : du latin macula, tâche. Lésion cutanée discrète, colorée, rouge brunâtre, avec légère surélévation de la peau. Maculer : salir de tache, souiller.
Mégie (40) : Préparation des peaux par le mégissier, le tanneur.
Membrane vitelline (34) : membrane complexe qui enveloppe l’ovule, œuf bourré de vitellus (substance nutritive, jaune de l’œuf.
Likouala : peuplade du Congo dont l’un des rites religieux vénère les ordures considérées comme un réceptacle des forces. Brûlés, les ordures et les excréments, sont jetés dans le fleuve, en offrande aux dieux.
Menfenil (42) : Oiseau rapace vivant aux antilles.
Mentule (21) : du latin mentula, membre viril. Nom d’une sangsue de mer, appelée mentule marine.
Moinillon (51) : Petit moine, moine peu considéré.
Noctiluque (23) : du latin nocticulus, qui luit pendant la nuit. Protozoaire marin microscopique, formant le plancton, et donnant à la mer une teinte phosphorescente.
Pahouin (30) : Grande peuplade guerrière de la côte occidentale de l’Afrique (Gabon). Se dit d’un chasseur d’éléphants, qui tuent ces animaux avec des flèches empoisonnées.
Patyura (26) : Mammifère pachyderme du genre porcin, des forêts de Guyane. Kesteloot dans (Comprendre le Cahier d’un retour au pays natal, p. 213), le patyura « est attiré par les morts, et l’on raconte qu’il accompagne celui qui va mourir, un peu comme chez les Egyptiens… »
Pelvien (ienne) (60) : Anat. : Qui appartient, qui a rapport au bassin
Pian (53) : d’origine indienne Tupi, maladie parasitaire tropicale, transmise par contact direct ou par des insectes. Provoque des chancres et des ulcérations cutanées, et évolue en plusieurs périodes, comme la syphilis. Actuellement éradiquer aux Antilles.
Pongo (40) :
Poussi (12) : d’origine africaine. Selon Kesteloot, faire des salamalecs, donner des marques d’approbation servile.
Pouture (12) : du latin pultus ; bouillie de céréales. Mode d’engraissement des bestiaux avec des graines farineuses.
Proditoire (48) : qui a le caractère de la trahison.
Prurit (12) : du latin prurigo, démangeaison.
Pseudomorphose : Géo : transformation d’une sorte de minéral ou de cristal en une sorte différente, tout en gardant la même structure morphologique.
Pustule (8) : du latin pustula, dérivé du pus, le pus. Lésion cutanée bulleuse remplie de pus.
Rigoise (35) : Fouet de rotin avec lequel on battait les esclaves (Kesteloot, Comprendre le Cahier…)
Sanieuse (32) : matière malodorante, purulente et sanguinolente. Sanie (12)
Scabieux (40) : du latin scabiosus, rugueux, galeux. Qui ressemble à la gale. En botanique, plante herbacée méditerranéenne, dont certaines espèces guérissent les maladies de la peau, dont la gale (Dict. Littré)
Scrofuleux (12) : du latin scrofulae, écrouelles ; de scrofa, la truie. Lésions cutanées ulcéro-nécrotiques d’origine tuberculeuse ou syphilitique, noirâtres, grisâtres ou brunâtres. En cicatrisant, donnent les écrouelles (tuméfaction des ganglions du cou)
Soma (56) : N. m. du grec sôma, corps. Ensemble des cellules qui meurent avec l’individu.
Squale (63) : N. m. Autre nom de requin
Squasme (52) : du latin squama, écaille. Fragments épidermiques écailleux, fins qui se détachent de la peau
Tabide (47) : du latin tabidus, de tabès, écoulement, liquéfaction, humeur corrompue, liquide purulent et sanieux. Atteint de misère physiologique, de marasme. Le tabès est une forme de syphilis nerveuse.
Taie (47) : Tache cornéenne due à une ulcération traumatique de l’œil.
Ténia (61) : Du latin taenia, bandelette. Ver parasite plat, pouvant atteindre huit mètres de long, formé de milliers d’anneaux, parasitant l’intestin de l’homme et des mammifères. Ver solitaire.
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