Le 5 décembre 2013, Nelson Rolihlahla Mandela, dont le nom du clan tribal est « Madiba », nous quittait des suites de maladie à l’âge de 95 ans. A l’occasion de l’an huit de sa disparition, je publie un portrait fait en 2010, par Jack Lang, ancien ministre de la culture de François Mitterrand.
J’ai eu cette chance de le rencontrer à cinq reprises. La première fois, c’était le 6 juin 1990, à Paris, l’année de sa sortie de prison. Son premier voyage a été pour la France, en signe de reconnaissance de l’action que nous avions menée contre l’apartheid et en faveur de sa libération. François Mitterrand m’avait demandé d’organiser la cérémonie d’accueil. J’avais choisi le parvis des Droits-de-l ‘Homme, au Trocadéro. Il y avait une pluie battante.
La rencontre entre Danièle et François Mitterrand et Winnie et Nelson Mandela fut très émouvante. Didier Lockwood et cent violonistes les ont accueillis avec chaleur. François Mitterrand fut ensuite le premier chef d’Etat reçu en Afrique du Sud par Nelson Mandela. Je me souviens de cette scène très forte à Soweto. Il y avait sur les visages, dans la foule qui l’attendait dans ce quartier populaire marqué par la répression, une impression de bonheur absolu. C’était en fin de journée.
Le jour tombait. Il y avait de la fumée de charbon dans le ciel. C’était magique. Je l’ai revu plus tard à Johannesburg, dont une fois chez lui, dans sa maison. Entre-temps il s’était remarié avec Graça Machel, que je connaissais depuis 1981. Elle était alors l’épouse du président du Mozambique, et sa ministre de l’Enseignement et de la Culture. Nous étions donc collègues et nous avions sympathisé.
Il y a deux ans (ndlr 2008), Nelson Mandela est revenu à Paris. Nicolas Sarkozy m’a invité à une réception intime organisée à l’Elysée en son honneur. Sa présence physique était toujours impressionnante, même s’il marchait plus difficilement à cause des sévices subis lors de ses années de bagne. Mais il était toujours aussi vigoureux intellectuellement, et drôle. A chaque fois, je suis frappé par sa classe, sa gentillesse, son humanité
C’est un homme d’une grande élégance morale et intellectuelle. Tout son parcours le prouve, et notamment la façon dont il a abordé ses différents procès. S’il n’avait eu cette force, cette grandeur, il aurait été condamné à mort. C’est un prince. Véritablement. Il avait promis en sortant de prison qu’il n’y aurait aucune vengeance contre ses bourreaux. Il a tenu parole. Tout au long des années de son combat de l’ANC, il a lutté pour que son parti soit ouvert à toutes les races et ne se livre à aucune violence contre les personnes.
Une fois au pouvoir, il a engagé toutes ses forces en faveur de la réconciliation nationale. Il est aussi l’un des rares chefs d’Etat, avec Léopold Sédar Senghor, qui ai renoncé de lui-même au pouvoir. Même avec Winnie il a été classe. Lorsqu’il est au bagne, condamné aux travaux forcés à perpétuité elle devient le personnage emblématique de la résistance. Nelson lui en a  été reconnaissant. Il y a en lui comme une sorte de conscience que chaque être humain a une part de sauvagerie et d’humanité. S’il a fait beaucoup de sport, et en particulier de la boxe, c’est pour être plus maître de lui-même et mieux domestiquer en lui la part d’animalité qui est en chacun de nous.
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