Extraits du dernier ouvrage de la jeune écrivaine Kadiatou Kaba Coeur meurtri.
« Mes frères et moi, échangions avec hardiesse sur nos attentes pendant cette période de congé. Papa était devant et nous marchions en cette fin de journée pour rejoindre sa voiture garée au parc, à quelques minutes de marche. Alors que nous passions sous un immeuble, une femme assise à un balcon, cracha bruyamment et la salive atteignit mon père. La femme ne s’excusa pas, se contentant de s’éclipser. J’étais révoltée et fulminais. Je criai mon envie de grimper les escaliers pour corriger l’insolente. Mon père me prit la main, qu’il serrait très fort.
– Laisse tomber, allons-y. Ne fais pas attention à elle.
– Quoi ? C’est toute ta réaction, papa ?
– N’accorde pas plus d’importance que ça à cette femme, allons-y, dit-il simplement.
Je n’en revenais pas. D’ailleurs, ce n’était pas la première fois. Papa ne répondait jamais aux provocations. Devant chaque épreuve, il affichait une sérénité, une patience qui, à la limite, me révoltait. Ce jour-là, voyant ma contrariété, il voulut me rassurer.
– Hadja, me disait-il en me tapotant l’épaule, il ne servirait à rien de forcer une personne à comprendre ses erreurs et à nous demander pardon si elle n’est pas capable de comprendre la gravité de son acte.
– Mais papa, la résignation n’est pas toujours la meilleure attitude à adopter. C’est cela qui nous a fait perdre notre terrain.
– Je sais très bien que cette histoire de terrain a fait mal à vous tous dans la maison et j’en suis conscient, mais la raison est simple. En effet, j’ai refusé d’intenter une action judiciaire quelconque contre ce monsieur qui avait fabriqué de faux dossiers pour me voler ce qui m’appartenait. Mais vois-tu, nous n’avons pas la même philosophie de la vie. Je développe le principe qu’après la mort, nous n’emporterons rien avec nous.
Devant mon air incrédule, il s’exclamait, presque heureux : « Qui a emporté avec lui dans sa tombe, un terrain ou un autre bien matériel? Non, nous ne partons qu’avec les seuls actes que nous aurons posés sur terre. »
Je n’avais plus de réponse et me démenais à cacher ma frustration. Je me rendais compte qu’il avait sa philosophie de la vie, sa compréhension de l’existence humaine. On était dans la voiture pour la maison. Il y eut un grand silence que rien ne brisa jusqu’à notre arrivée.
L’affaire de terrain perdu m’avait été contée par ma mère. Mon père l’avait acquis à Yimbaya, dans la banlieue de Conakry. Un homme surgit de nulle part, s’était fait faire de faux documents et à réclamer la propriété du domaine. Mon père voulu éviter le scandale en tentant d’amener l’homme à de meilleurs sentiments. Ce dernier, certainement un habitué de l’arnaque, persista et voulut que l’affaire soit transférée à la justice où il avait ses complices. Mon père refusa de s’exposer sur la place publique pour « une parcelle de terrain ». Il renonça au domaine en dépit de toute la pression de ma mère »
Miniature de pièce jointe