Dans un ouvrage collectif qui vient de paraître, nous avons souhaité rendre accessibles en français (et gratuitement) les plus récentes connaissances scientifiques sur l’état des lieux en la matière en Afrique pour soutenir les réflexions et les débats sur les différentes options pour y parvenir.
Où en est-on ?
La couverture sanitaire est aujourd’hui loin d’être universelle. Elle est très variable d’un pays à l’autre mais aussi, au sein de chaque pays, d’un groupe de population à l’autre et d’un service de santé à l’autre. Par exemple, plusieurs chapitres du livre montrent comment le Burkina Faso a été en mesure d’améliorer de manière incroyable l’accès aux soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes (pour leur accouchement) par l’intermédiaire d’une politique de suppression du paiement des soins financée par l’État.
Cette politique s’est révélée non seulement efficace mais aussi efficiente, et son rapport coût-bénéfice est impressionnant.
Mais malgré les progrès remarquables de certains pays en Afrique, il reste encore de nombreux défis et obstacles pour que soient atteints les deux objectifs principaux de la CSU, à savoir l’amélioration de l’accès aux soins de santé de qualité pour tous et la réduction du fardeau financier pour les familles dans un contexte où l’on demande encore aux patients de payer lorsqu’ils se rendent dans un centre de santé. Plusieurs chapitres du livre illustrent ces défis dans de nombreux pays de la région ouest-africaine car les obstacles sont encore nombreux.
Des financements publics insuffisants
Le premier obstacle, souvent peu abordé, est celui du manque de financement public accordé au secteur de la santé. De même que la France est loin d’atteindre ses engagements internationaux pour l’aide publique au développement, très rares sont les pays en Afrique à approcher de leur objectif de consacrer 15 % de leur budget au secteur de la santé. Par exemple, le Sénégal accorde autant (soit 5 %) de son budget annuel au ministère de la Santé qu’à celui de la Défense où à celui de l’Ordre et de la sécurité publique.
Selon l’OMS, un seul pays, le Rwanda, a atteint cet objectif aujourd’hui. De fait, ils restent tous très dépendants de l’aide internationale pour financer leur système de santé. Par exemple, au Rwanda, 49 % des dépenses de santé sont payées par l’aide internationale contre 15 % au Burkina Faso ou 27 % en Guinée. Du fait de l’insuffisance des dépenses publiques en matière de santé des États, les citoyens doivent payer des sommes considérables quand ils doivent se soigner.
Ainsi, au Burkina Faso, 40 % des dépenses totales de santé sont supportées par les habitants, qui payent lorsqu’elles se rendent au centre de santé. Or, ce mode de financement est injuste puisque l’on demande aux malades de payer sans tenir compte de leur capacité financière. C’est tout l’intérêt des politiques de suppression de ces paiements au point de service que nous évoquons dans notre ouvrage et qui datent des années 2000.
Mais, évidemment, pour que cela puisse fonctionner, il faut que le retrait de ces paiements par les populations soit compensé par un financement public dont le mode de collecte tient compte des enjeux d’équité, c’est-à-dire que les gens devraient payer en fonction de ses capacités. Rares sont les pays qui se sont déjà engagés dans ce mode de financement équitable et solidaire à une échelle nationale. C’est certainement le principal défi des prochaines décennies pour les pays africains car l’argent, contrairement aux idées reçues, ne manque pas toujours. Il suffit de penser à l’évasion fiscale, qui se chiffre en milliards, et aux industries minières internationales présentes en Afrique.
Des choix à la fois techniques et idéologiques
Le corollaire à cette dépendance à l’aide internationale est l’influence que les experts étrangers peuvent exercer sur le choix des instruments de politique de santé. En effet, pour atteindre la CSU, il existe de multiples choix possibles et les débats sont très nombreux et très anciens. Par exemple, faut-il prélever une partie du salaire ou taxer les populations pour financer un système de santé ? Faut-il demander un paiement au point de service ou le supprimer ? Faut-il payer une prime de performance au personnel de santé ?
Ces choix sont techniques mais ils sont aussi souvent enchâssés dans des idéologies et des perspectives propres aux personnes et aux organisations d’aide internationale qui imposent encore très souvent leurs idées, comme c’est le cas de la Banque mondiale et de certains cabinets de consultants. L’ouvrage collectif met en évidence les débats en cours autour de ces différents instruments, mais aussi la permanence et l’échec des outils issus de l’approche du New Public Management (par exemple le financement basé sur les résultats, le paiement direct des soins, etc.) comme c’est le cas en France pour son système de santé.
La piste des assurances communautaires professionnelles à grande échelle
Il existe cependant des initiatives prometteuses dans la région ouest-africaine dont il faut parler et sur lesquelles il convient de continuer de produire des connaissances scientifiques pour en vérifier la pertinence.
Avec plusieurs collègues, nous étudions une innovation relativement récente en Afrique de l’Ouest francophone, celle des assurances communautaires à grande échelle avec un soutien de professionnels pour la gestion. En effet, après plus de 20 ans d’expériences, les recherches ont montré que les mutuelles communautaires organisées au niveau des villages et des communes avec une gestion bénévole n’étaient pas une solution, comme nous l’évoquons dans l’ouvrage. Elles couvrent trop de peu personnes et leur stabilité financière est très précaire. Ainsi, depuis quelques années, des pays comme le Mali et le Sénégal se sont engagés (alors que cela avait été proposé il y a très longtemps) dans le développement de mutuelles de santé, où la cotisation reste volontaire (c’est un autre défi !), à l’échelle d’un département/cercle.
De plus, la gestion de ces mutuelles n’est plus laissée à des bénévoles mais réalisée par des professionnels de l’assurance et de la gestion. Les instances de gouvernance continuent d’impliquer les communautés et leurs représentants. Cela pose évidemment des défis concernant la place des communautés et de la démocratie sanitaire qu’il faudra étudier. Par exemple, au Sénégal, nous évoquons dans le livre le fait que deux départements disposent aujourd’hui d’une assurance maladie qui couvre plus de la moitié de leur population, ce qui est un record historique à notre connaissance. Ce modèle, qui s’est montré résilient face à la pandémie de Covid-19, commence à s’étendre dans d’autres départements du Sénégal et il a reçu des délégations du Niger, de la Guinée, de la Mauritanie, montrant son attractivité et son potentiel.
Rendre accessibles les résultats de la recherche
Enfin, cet ouvrage collectif aborde aussi l’enjeu central de l’accès et de l’utilisation de la science. C’est en effet aussi un enjeu scientifique que de produire des connaissances sur la manière dont il est possible de favoriser l’utilisation des données probantes par les acteurs de terrain et les décisionnaires.
Cet objet de recherche est encore rarement abordé en Afrique de l’Ouest. Un chapitre du livre est consacré à ces défis au Burkina Faso et montre comme la science éclaire peu les responsables du ministère de la Santé.
L’un des défis de l’utilisation de la recherche est que cette dernière est la plupart du temps, dans le domaine de la santé, publiée en anglais, ce qui n’en facilite pas l’utilisation par les décisionnaires francophones de l’Afrique de l’Ouest. C’est pour cela que nous avons publié ce livre en français et en accès gratuit. Il n’est pas en vente et quelques copies papier sont actuellement distribuées dans les pays.
De plus, il y a encore beaucoup d’équipes de recherche qui rechignent à s’engager dans un soutien aux politiques publiques et à adapter leurs résultats de recherche pour que ceux-ci puissent nourrir les réflexions des décideurs. Certaines équipes préfèrent attendre que leurs résultats soient publiés dans des revues scientifiques (souvent payantes) en anglais, ce qui peut prendre de nombreux mois et parfois des années, avant de les partager avec les responsables des systèmes de santé concernés.
Il nous reste donc collectivement encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les résultats de nos travaux puissent soutenir le développement et les décisions en faveur de la couverture sanitaire universelle en 2030. Nous espérons que cet ouvrage collectif pourra nourrir les réflexions francophones sur le sujet au-delà des idées reçues et des solutions miracles.