TENTATIVE D’IDENTIFICATION DES RISQUES RÉELS ET SUPPOSÉS. Un président déchu par un coup d’état peut adopter 2 postures :
a) En bon croyant, et pour la stabilité sociale dans son pays, accepter l’évidence, le fait accompli. Remercier son Créateur pour n’avoir pas subi une fin de pouvoir tragique.
b) En bon téméraire, refuser de céder malgré le ralliement de ses collaborateurs et la résignation de sa base populaire.
Dans le premier cas, le président déchu est souvent assigné à résidence surveillée, dans le respect, pour être libéré plus tard. C’est le cas de Sangoulé Lamizana, de Jean-Baptiste Ouedraogo, de Grégoire Kaïbanda, de Filbert Youlou, de Moussa Traoré, de Mamadou Tandja,…
Dans le second cas, le président déchu, auréolé de son statut d’élu du peuple et de sa popularité imaginaire, résiste sous une forme ou une autre (menaces verbales, appels à la résistance, constitutions de bandes rebelles,…) Il se met à l’idée que le peuple le réclame encore et qu’il doit reconquérir son pouvoir. C’est le cas de Jean-Bedel Bokassa, d’Ahmed Abdallah et d’Ahmadou Ahidjo, entre autres.
Pour le cas d’Alpha Condé, et au regard de sa réaction lors de la visite de la mission de la CEDEAO, on est tenté de le classer dans le second cas.
Voyons les risques éventuels que présente sa conviction du moment. La libération proche du Président Alpha Condé peut-elle présenter de gros risques immédiats pour la stabilité de la Guinée ?
Je réponds par NON pour les raisons suivantes :
1) Blaise Compaoré du Burkina, Mohammar Khadafi de Libye et Oumar Bongo du Gabon ne sont plus ni au pouvoir pour le premier ni en vie pour les autres.
2) les pays frontières du Sud (Liberia et Sierra Leone) qui servaient autrefois d’arrière base des attaques rebelles contre la Guinée, sont stabilisées.
Les dirigeants desdits pays (démocratiquement élus) n’ont aucun intérêt à privilégier les intérêts personnels d’Alpha Condé au détriment de ceux du grand voisin.
3) les dirigeants des pays frontaliers du Nord (Sénégal et Guinée Bissau) qui ont eu des relations tumultueuses avec l’ancien dirigeant guinéen ne serviront pas Alpha Condé pour la reconquête du pouvoir.
Voyons la seconde hypothèse.
La libération proche d’Alpha Condé peut-elle présenter des risques (minimes) de déstabilisation à moyen terme ?
Je réponds OUI, pour les raisons suivantes:
1) Le président Alpha Condé avait des relations dans les milieux politiques et milieux d’affaires étrangers assez vastes, et parfois douteux, avant d’être élu Président de la Guinée.
À la tête de l’Etat, il a consolidé ses relations personnelles et s’est ouvert un autre éventail dans des milieux d’affaires, bénéficiaires d’importants marchés en Guinée, dans les secteurs miniers, portuaires, des travaux publics et autres. Aussi, il a fait bâtir une petite bourgeoisie locale qui pourrait, le cas échéant, constituer un apport financier et de mobilisation pour sa cause.
2) Vu sa détermination à ne pas céder le pouvoir, au regard des fortunes supposées accumulées à l’étranger et avec l’appui de ses amis Erdogan, Sassou-Nguesso, Bolloré, EBOMAF, Alpha Barry, Mahamat Deby,… Alpha Condé pourrait être emmené à se payer les services de mercenaires pour reconquérir le pouvoir.
3) L’instabilité de la Libye, de la bande Sahélo-saharienne et l’incapacité du Mali à contenir les rebelles Jihadistes, constituent un cocktail de recrutement de mercenaires, en vue d’une attaque à partir des villes frontières de Est de la Guinée : Siguiri, Mandiana, Beyla et Lola qui sont des fiefs de son Parti, où sa popularité est encore évidente.
Des mercenaires africains, israéliens, Ukrainiens et autres Sud-africains sont bon marché. Il suffit de payer la facture.
Alpha Condé et ses relations en ont les moyens ?
On peut y croire.
4) Le Président Alpha Condé jouit encore de l’estime d’une bonne frange de sa base électorale traditionnelle. Cette base électorale, située à l’Est de la Guinée, pourrait être la seule issue possible d’une éventuelle infiltration de déstabilisateurs de tout acabit.
Même si la nomination des Gouverneurs, Préfets et Sous-préfets militaires peut donner une certaine rassurance, cette hypothèse n’est pas à minimiser.
Tous les points d’analyse qui précèdent, ne sont que des hypothèses qui ne m’auraient pas inspiré, si notre président renversé n’avait pas donné des signaux d’entêtement, en vue de conserver un pouvoir nettement perdu. Jusque-là, j’accusais l’entourage d’Alpha Condé de lui avoir imposé l’idée du 3ème mandat, lui qui nous a dit vouloir être le nouveau Mandela ; un personnage qu’il pouvait incarner pour le bonheur de la Guinée et de l’Afrique.
Par son attitude et ses propos, je me rends compte que le 3ème mandat l’habitait depuis belle lurette et qu’il en est (hélas) le vrai instigateur. Que de gâchis pour un homme au parcours singulier ! Ça me fait de la peine, autant pour lui que pour notre pays.
Pour la stabilité de la Guinée et la remise de la démocratie sur les rails, le président Alpha Condé ne doit pas être libéré pour le moment. En tous les cas, pas avant la mise des fonds baptismaux d’une renaissance démocratique dans notre pays. Sa sécurité et le respect dû à son âge et à son statut doivent être sacrés. Le CNRD devra y veiller absolument.
La vigilance doit être de mise à tous les niveaux pour préserver la paix et la concorde nationale. La Guinée d’abord.
Ibrahima Jair KEITA