De Gaulle vient de constituer le dernier gouvernement de la IVe République. Afin de défendre son projet constitutionnel, qui doit marquer la naissance de la Communauté française, il effectue du 20 au 29 août 1958 un voyage à Madagascar et en Afrique. L’étape de Conakry n’est ajoutée qu’en dernière minute, et contre l’avis de Félix Houphouët-Boigny, secrétaire général du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), et de Pierre Messmer, Haut-commissaire de l’Afrique Occidentale Française.
Ces personnalités influentes en matière de politique africaine ne souhaitaient pas que ce voyage mette en lumière le bouillonnant chef du Parti Démocratique de Guinée (PDG), Ahmed Sékou Touré.
L’escale du 25 août 1958 à Conakry constitue en effet une date-clé pour le destin politique du futur dirigeant de la Guinée et pour l’avenir de la Communauté. Il est d’ailleurs significatif que ce passage filmé à Conakry soit présenté dans les Actualités françaises du 31 août 1958, tandis qu’il est coupé dans la version du voyage conservée aux archives de la Défense. Sékou Touré est alors député à l’Assemblée Nationale et vice-président du gouvernement de la Guinée. Mais il est peu connu du Général et n’a jamais obtenu de fonction au sein d’un gouvernement de la République. Sékou Touré entend profiter de ce passage pour se voir reconnaître la même place que celle accordée aux autres dirigeants du RDA. Il organise un accueil à la hauteur de cet enjeu, en sollicitant les forces de son parti.
La mise en scène de Sékou Touré pour faire valoir son leadership ressort partiellement des images des actualités françaises. Bien que le film ne donne aucune visibilité au responsable guinéen, on peut apercevoir sa silhouette, à la descente d’avion du Général, avec une toque et un boubou blancs, là où ses homologues se présentent en costume européen. Consigne a été aussi donnée par le PDG à la population d’adopter la même tenue africaine blanche, avec une file ininterrompue acclamant le cortège. Musiciens, danseuses et militants brandissant les banderoles des sections du parti, avec le symbole du PDG, l’éléphant, sont suivis par la caméra et mettent en évidence l’enthousiasme des Guinéens.
Sékou Touré entend réserver un accueil exceptionnel au Général et le journaliste souligne que la population, dans ces diverses manifestations, a donné à la visite du chef français « l’éclat des plus grandes journées ». Mais le commentateur précise que ces scènes sont analogues à celles réservées au Général dans les autres capitales. La visite à Conakry est présentée sur le même plan que les autres étapes africaines, avec un accueil chaleureux qui n’est à aucun moment rattaché à l’action de Sékou Touré.
Surtout, la vidéo occulte l’évènement majeur de la journée, qui se déroule à l’assemblée territoriale. Il n’est pas fait mention du discours de Sékou Touré, retransmis à l’extérieur à la foule qui applaudit au signal des responsables. Or la mise en scène de Sékou Touré, plus que le fond même de ce discours, provoque la rupture. Le leader guinéen avait exposé auparavant les revendications qu’il formule ce 25 août, qu’il s’agisse du droit à l’indépendance ou du refus de la balkanisation de l’Afrique. Mais le ton hostile adopté par Sékou Touré pour ne pas se laisser déborder par son aile gauche et les quelques formules assénées dans une salle surchauffée, dont la plus célèbre entre dans l’histoire guinéenne (« Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage ») suscitent le drame. De Gaulle est atteint et réplique par une menace à peine voilée de rupture avec la France en cas de vote négatif au référendum du 28 septembre. Le reportage fait l’impasse sur ce qui vient de se jouer à l’assemblée. Le voyage filmé doit maintenir l’enthousiasme de la population à l’approche du référendum et l’idée d’un unanimisme africain à la communauté pour les téléspectateurs français, bien que la rupture soit consommée avec Sékou Touré.