Cette interrogation d’apparence saugrenue et provocatrice n’est nullement destinée à jeter l’opprobre ou le discrédit sur la personne du premier président de la République. Il s’agit tout simplement, de susciter un débat constructif autour de celui, qui aura conduit le pays à l’indépendance nationale. Quoi qu’on en dise, feu Ahmed Sékou Touré décédé le 26 mars 1984, aura été décrit de mille et une facettes. Chacun y est allé de sa façon de percevoir l’homme et son œuvre.

A titre de contribution, nous avons  choisi deux ouvrages publiés sur feu Ahmed Sékou Touré. Avec le ferme espoir, que les notes de lectures qui vont suivre permettront d’éclairer un peu plus les zones d’ombre et de malentendu et d’incompréhension qui entourent la personne du défunt.

Le premier ouvrage choisi a été rédigé en 1987 par l’historien Ibrahima Baba Kaké sous le titre ‘’ Sékou Touré, le héros et le tyran’’. Agrégé d’histoire, l’auteur enseignait à Paris jusqu’à sa mort le 7 juillet 1994. Il fut producteur de l’émission ‘’ Mémoire d’un continent’’ à RFI, directeur de collection aux Nouvelles Editions Africaines.

Pour Baba Kaké, Sékou Touré était un homme de passion et il est difficile de parler d’un tel homme sans passion. Comme tous les personnages charismatiques, il a des admirateurs inconditionnels et des adversaires irréductibles. Mais combien de gens parmi ceux qui le louent ou le blâment connaissent réellement l’itinéraire de l’ancien maître de la Guinée ? Très peu.

Curieux destin que celui de cet ancien commis de l’administration coloniale, aux origines modestes, qui, par le biais du syndicalisme militant, a réussi à devenir la première personnalité politique guinéenne avant de se hisser au rang des grands leaders du Tiers Monde. Cet avènement, dans les années 1956-1958, avec le fameux « non » de la Guinée au général de Gaulle, le plus illustre des Français, souleva l’enthousiasme chez les uns, un grand espoir chez les autres. A cette époque Sékou Touré apparaissait non seulement comme le héros de l’émancipation nationale mais aussi comme le symbole de l’Afrique noire combattante. Il faillit faire frissonner l’histoire. L’illusion dura à peine quelques années. Dès la période 1961-1962, l’homme devint autocrate, opposé à toute démocratie dans le pays puis au sein de son propre parti. Progressivement il se mua en dictateur avant de sombrer dans un despotisme obscur. Pourtant, jusqu’à sa mort le 26 mars 1984, Sékou Touré fut assez habile pour garder une certaine respectabilité à l’extérieur, à en juger par ses funérailles grandioses auxquelles prirent part presque tous les grands de ce monde ou leurs représentants.

Le peuple de Guinée se souviendra encore longtemps de ce quart de siècle synonyme à la fois d’une grandeur vite évanouie et d’une régression fatale. Si je n’avais que trois mots pour décrire la vie de Sékou Touré, je dirais simplement : un destin manqué.

Telle est donc la caricature du premier président faite par Ibrahima Baba Kaké. A chacun d’en juger la pertinence.

Le second ouvrage ‘’ Sékou Touré, Ce qu’il fut, Ce qu’il a fait, Ce qu’il faut défaire’’ est signé par un collectif d’auteurs. Il s’agit d’André Lewin, Sennen Andriamirado et Siradiou Diallo. Un ouvrage selon les auteurs, qui a l’ambition de devenir un outil de référence sur Sékou Touré et la Guinée. En plus de témoignages relatés, une série de documents, souvent inédits est venue compléter cet ouvrage. C’est ainsi qu’on peut y lire l’interview de l’ambassadeur André Lewin recueillie par le journaliste Hamid Barrada. Sans détour, avec force détails, André Lewin se prête à toutes les questions (même les plus indiscrètes), qui lui sont posées. Il décrit avec minutie les circonstances dans lesquelles, il fera la connaissance du président Sékou Touré et de la Guinée. Au fil de l’entretien, on découvre la vraie personnalité du défunt président. Au gré des événements qu’il vivra durant son long séjour en Guinée, André Lewin révèle les traits de caractère de celui qui finira par être l’un de ses meilleurs amis en Afrique et en Guinée. Une question a retenu particulièrement notre attention. C’est la suivante : …Qui était le bon, c’est-à-dire le vrai Sékou Touré ?

André Lewin : C’est la question.  Quel est celui qui restera dans l’histoire ? Celui qui exaltait au fur et à mesure qu’il parlait, devenait de plus en plus violent, ou celui, calme, souriant, prévenant, presque sentimental que j’ai connu ? A mon avis, les deux. J’ai eu la chance, n’étant pas guinéen d’avoir affaire au second. Le premier, je ne l’oublie pas, il existait tout autant. Mais comme il n’a jamais , je l’ai déjà noté, porté lui-même la main sur personne, j’ai tendance à penser, en schématisant un peu, qu’il n’était pas violent et brutal au fond de lui-même et qu’on l’a amené, forcé à réagir de cette manière….                                                                                                                                                  

Thierno Saïdou DIAKITE pour JMI

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