Mais, en temps normal, tout finit par rentrer dans l’ordre, et on peut reprendre le cours de son activité pédagogique comme si de rien n’était.
La pandémie, c’est un marteau-piqueur qui s’impose, qui rentre par la fenêtre quand on veut fermer la porte, et qui petit à petit, envahit l’espace et les esprits, devient le centre de préoccupation de tous, pour finir par déstabiliser durablement les dispositifs d’enseignement traditionnels.
Redéfinition de la classe
Avant la pandémie, pour beaucoup, une classe c’était avant tout un espace clos dans lequel étaient rassemblés selon des dispositions spatiales spécifiques l’enseignant et la totalité des enseignés, dans le même temps, tous concentrés (plus ou moins), avec une finalité commune.
Des éléments parasites pouvaient apparaître : externes (le marteau-piqueur, la neige qui se met à tomber à gros flocons, des cris dans le couloir…) ou internes (le vidéo-projecteur qui tombe en panne, les chuchotements entre élèves…). Leur apparition, généralement soudaine, et leur durée, plus ou moins brève, vient rappeler que les éléments habituels du contexte sont en général contrôlés, maîtrisés, intégrés par l’ensemble des participants (enseignants et enseignés).
Mais, l’enseignant, fort de son statut, finissait vite par recentrer l’attention du groupe et reprendre son rôle traditionnel, de celui qui «sait», habituellement, et qui maîtrise l’ensemble des paramètres du contexte didactique :
- sa séance du moment,
- la séquence pédagogique dans laquelle celle-ci s’inscrit,
- plus globalement, le cursus dans son ensemble, cursus temporellement marqué avec un début et une fin, construit selon une progression spécifique avec des évaluations formatives et sommatives.
Ce schéma pédagogique traditionnel était intégré par tous : enseignants, encadrants, enseignés, familles, institutions. La pandémie le bouscule très profondément, et les paramètres de base de la classe sont durablement altérés.
Se repositionner pour enseigner
Tout d’abord, l’organisation et la cohésion spatiale du groupe-classe changent : au mieux, celui-ci peut être divisé en sous-groupes en fonction des contraintes sanitaires, voire, avec des enseignés à domicile, intégrés au groupe ou au sous-groupe du jour par caméra interposée ; enseigner en «streaming» est devenu dans certains pays une des modalités de structuration du groupe-classe.
Au pire, l’enseignant est tout seul devant sa caméra, dans sa classe la plupart du temps, les enseignés chacun dans son domicile devant un ordinateur, une tablette, un smartphone.
L’entourage familial est ainsi susceptible de faire irruption dans la classe devenue partiellement ou totalement virtuelle. Parents et fratrie deviennent des témoins directs du dispositif pédagogique, des «intrus» car ne faisant pas partie des «acteurs» traditionnels de la classe.
Les conséquences quelquefois néfastes de cette intrusion amènent les établissements à mettre en place une charte de bonnes pratiques, de manière à ce que les familles s’engagent à ne pas interférer avec ce qui se passe au sein de la classe, qui a subi une extension (vers le domicile) et des transformations (du présentiel au virtuel) qui bousculent la structuration traditionnelle.
La centration sur l’apprenant, sur les savoirs et les savoir-faire est également profondément altérée, au profit de la centration sur les éléments du contexte qui deviennent une priorité génératrice d’insécurité durable. L’effet parasite est d’autant plus perturbant que ces éléments sont difficilement contrôlables et que leur durée est difficilement prévisible. L’organisation du temps pédagogique se trouve altérée, que ce soit le temps de la séance ou le temps plus long du cursus.
La position de l’enseignant est fortement ébranlée. Celui-ci n’est de fait plus expert compte tenu de la multiplicité et de la gravité de tout ce qui lui échappe et qui devient le centre des attentions, avec un impact direct sur l’organisation générale du dispositif pédagogique : le temps de la pandémie, l’ouverture ou non des établissements, la tenue des évaluations, les modalités d’enseignement (présentiel, hybride, distanciel).
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L’absence totale de contrôle des paramètres de la situation sanitaire, et l’impossibilité d’anticiper suffisamment à l’avance les événements à venir, tout cela fait que le temps court devient la référence, et l’incertitude règne.
L’émergence de la pandémie a provoqué un effet de sidération. La crise s’est installée dans la durée, la résignation et l’abattement ne sont pas loin.
Gérer les distracteurs
À partir du moment où les facteurs dus à la pandémie – y compris l’incertitude qui impacte l’organisation des différents temps scolaires – sont installés dans la durée, il faut les intégrer comme composante intrinsèque du nouveau contexte didactique.
A terme, et tant que la pandémie impose son scénario, la finalité est que l’impact des facteurs dus à la pandémie soit atténué, voire neutralisé. Mais pour que cela puisse se réaliser, il est indispensable qu’il y ait des ajustements pérennes dans le nouveau schéma des paramètres de base de «la classe».
Tout d’abord, partir du principe que l’avant-Covid est révolu. Difficile à intégrer, certes, mais salutaire. Il est probable que la pandémie se termine un jour (ou pas !) : en attendant, on doit faire avec.
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Ensuite, il faut se demander comment faire au mieux, en intégrant ce paramètre comme faisant partie intégrante, pérenne, non négociable, du contexte. Les institutions et les enseignants qui sont confrontés à la modalité d’enseignement à distance depuis plus d’un an s’adaptent. Ils établissent des règles de fonctionnement dans ce qui est devenu le nouveau quotidien des enseignants et de leurs apprenants : ne pas suivre un cours en ligne de son lit, ou en pyjama, avec une canette de soda ; s’habiller, se coiffer, s’installer dans un endroit dédié, se mettre en situation «comme si» on était en classe. Car dans les faits, on est en classe.
Prenons le bon vieux «schéma de la communication» de Roman Jakobson : un émetteur s’adresse à un récepteur (qui peut être un groupe) pour transmettre un message à l’aide d’un canal en utilisant un code (commun de préférence). Quoi de plus simple ! Sauf que la pandémie fait voler cette structure en éclat, les distracteurs prennent une place prépondérante. Il est nécessaire d’apporter une réponse appropriée à chaque distracteur :
- Un animal domestique dans le champ : une présence discrète peut être une source de «brise-glace» et de bien-être (des ressorts de la «câlinothérapie» par temps de crise).
- L’entourage familial : une neutralité totale et absolue doit être exigée, y compris par une charte ou un engagement signé. Cela ne peut être négociable sous peine de remettre en cause la nature même du contrat didactique.
- La maîtrise technique : une formation maximale fait partie des pré-requis indispensables. Enseignants et apprenants doivent maîtriser parfaitement les outils utilisés : ces éléments de contexte (le code et le canal) doivent (re)devenir totalement familiers et totalement maîtrisés par tous. De la même manière que dans une classe d’avant-Covid, on n’imagine pas un enseignant ou un apprenant ne pas maîtriser le langage utilisé pour un cours, ou la photocopieuse qui sert à reproduire les supports, ou le maniement du vidéoprojecteur, du tableau noir ou blanc, du manuel, etc., dans une classe post-Covid, on n’imagine pas un enseignant ni un apprenant ne pas maîtriser les outils numériques.
- L’adaptation des modalités d’enseignement : un apprenant devant son ordinateur est soumis à une multitude de sollicitations. Il est parfaitement illusoire d’imaginer lui interdire l’accès aux réseaux sociaux ou à d’autres distracteurs alors qu’on ne maîtrise pas le support informatique qui est à sa disposition. Partant de là, les enseignants sont obligés d’intégrer cette dimension en faisant en sorte que les apprenants n’aient pas le temps/l’envie/la possibilité de céder à ces distracteurs.
Nouveaux réflexes
Organiser un cours post-Covid peut être bien plus chronophage et exigeant, bien plus inventif et créatif. Cela peut consister à solliciter systématiquement divers types de ressources dans la même séquence. Cela peut amener l’enseignant à une organisation temporelle différente, une séance de cours planifiée sur des périodes de temps relativement courtes et parfaitement structurées – un cours d’une heure divisé en trois ou quatre séquences par exemple, et dans lesquelles les apprenants sont systématiquement actifs, individuellement, par binômes, par groupes, sur la base d’activités spécifiquement conçues à cet effet.
Les principes de la «classe inversée», privilégiant des temps de découverte, de recherche documentaire, de consultations en ligne diverses, sont à valoriser et de nombreux formateurs ne s’y sont pas trompés qui proposent des formations en ligne à la classe inversée, depuis le début de la crise sanitaire. Car ces temps qui résultent de «l’inversion» sont des temps d’apprentissage préalables à la séance de cours elle-même.
Les paramètres spatio-temporels de la classe traditionnelle sont ainsi soumis à une extension pérenne : la classe, c’est ce qu’il y a avant, pendant, et après la séance de cours à proprement parler. Et dans un tel nouveau schéma didactique, le traditionnel cours magistral d’une ou de deux heures appartient très clairement à l’ère pré-Covid et semble pour beaucoup bel et bien révolu.
La «réception» du cours est également profondément ébranlée. Que ce soit sur le plan matériel (avoir devant soi une tablette ou un ordinateur, et son cahier ou classeur, cela exige une organisation spécifique, de l’espace, de la flexibilité pour alterner les temps dédiés au clavier et les temps dédiés au cahier), ou sur le plan des stratégies de réception et de traitement de l’information.
Écouter, comprendre, orienter son attention, exprimer son souhait d’intervenir en cours – la fameuse main de Zoom, distracteur potentiellement puissant ! intervenir en contrôlant l’ajustement vocal, le micro, la vidéo, etc., autant de sources potentielles de gêne et de décalage dans ce qui correspondait aux bonnes vieilles interactions ordinaires d’une salle de classe.