Dans le monde moderne, un automate est défini comme une machine « qui, au moyen de dispositifs mécaniques, pneumatiques, hydrauliques, électriques ou électroniques, est capable d’actes imitant ceux de corps animés ». Cette brève définition peut également s’appliquer aux machines de l’Antiquité. Nous vous proposons de découvrir deux restitutions virtuelles d’automates antiques, élaborées après une analyse des sources anciennes qui décrivent leur fonctionnement.

Dans l’Antiquité, de nombreux ingénieurs ont travaillé sur l’étude et la conception de mécanismes automatiques). Aujourd’hui, il ne reste aucune trace archéologique de ces machines et très peu de textes les décrivant). Notre étude est basée sur des automates conçus pendant une période comprise entre le IIIe siècle avant J.-C. et le Ier siècle après J.-C. Dans ce laps de temps, trois traités techniques sur le sujet ont survécu et peuvent nous informer au sujet des automates et de leur fonctionnement. Ils ont été écrits par Philon de Byzance (250 avant J.-C.) et Héron d’Alexandrie (Ier siècle après J.-C.).

L’étude de ces deux traités permet de dresser une liste de cinq automates qui peuvent être virtuellement restitués. Chaque automate dispose d’un système mécanique spécifique et les cinq automates fournissent un catalogue représentatif des différentes techniques antiques utilisées (pneumatique, hydraulique, système de poids, contrepoids, etc.). Ainsi, nous avons modélisé :le jeu miniature d’Héraclès et Ladon (Héron d’Alexandrie), la servante automatique distribuant de l’eau et du vin (Philon de Byzance), la fontaine à intermittence de la chouette et des oiseaux chanteurs (Héron d’Alexandrie), les portes automatiques d’un temple miniature (Héron d’Alexandrie), et enfin le théâtre automatique à base mobile (Héron d’Alexandrie) (Prou, 1881). Nous nous concentrerons ici sur la servante automatique et le jeu miniature d’Héraclès et de Ladon.

La servante automatique de Philon de Byzance

L’automate de la servante automatique distribuant de l’eau et du vin est décrit au paragraphe 30 des Pneumatiques de Philon de Byzance. Cependant, aucun texte grec n’est disponible aujourd’hui pour ce traité, seules les versions arabes sont parvenues jusqu’à nous. Avant de comprendre le fonctionnement du mécanisme, il est utile de préciser qu’il est caché à l’intérieur du corps de la servante et donc invisible pour le public. Le texte nous dit que l’automate est entièrement en cuivre ou en argent, et que la servante est représentée debout, avec une aiguière dans la main droite (voir figure 2).

Il nous dit aussi que le bol est alourdi par un lest à sa base et que le mélange distribué est constitué des deux tiers de vin et d’un tiers d’eau. En effet, pendant l’Antiquité, le vin était stocké dans un état très concentré et il fallait le diluer avec de l’eau pour qu’il devienne buvable. Ceci explique la présence des deux réservoirs dissimulés à l’intérieur de la servante puisque le mélange n’est pas préparé à l’avance mais bien réalisé par l’automate.

Mécanisme interne (droite) et restitution virtuelle (gauche) de la servante automatique. Author provided

Lorsque le bol est placé sur la main gauche de la servante, le bras gauche est abaissé. Ce bras est relié à une crosse par deux tourillons. En mécanique, un tourillon est une pièce cylindrique autour de laquelle une pièce reçoit un mouvement de rotation. L’un des tourillons (A) est fixe et sert d’axe de rotation pour la crosse. L’autre (B) relie le bras à la crosse (C) avec une tige (D). Cette crosse est alourdie à sa base, servant ainsi de contrepoids au mécanisme et maintien le bras en place. Lorsque le bras est abaissé, il tire sur l’extrémité de la crosse, le tourillon qui n’est pas fixe fait office de levier et le mécanisme démarre. Deux tuyaux (E, F) sortent du réservoir, l’un pour le vin et l’autre pour l’eau. Deux tiges pleines (H, G) forment l’extrémité de la crosse et sont emboîtées dans ces deux tuyaux.

Lorsque le mécanisme est activé, les tiges glissent dans les tuyaux à l’aide de joints en cuir. Ceux-ci permettent un fonctionnement silencieux de la machine, de sorte que les clients utilisant la servante ne soupçonnent pas la présence d’un mécanisme à l’intérieur. Une fente est présente sur chaque tige pleine. La tige qui entre en contact avec le tuyau à vin (G) est la plus longue. La fente à l’extrémité est deux fois plus longue que celle de l’autre tige (H). Lorsque la fente est au niveau du tuyau, elle permet à l’air d’y pénétrer pendant un certain temps. Lorsque la fente a terminé son passage à travers le tuyau, la tige pleine bloque l’entrée et le passage de l’air.

La cuve, dimensionnée de la tête à la poitrine, est divisée en deux parties égales servant de réserve pour le vin et l’eau. La tête est un couvercle étanche et offre la possibilité de remplir les réservoirs. L’air entre dans la cuve par les deux tuyaux, remplace le vide et chasse le liquide (vin et eau) qui s’écoule vers l’aiguière par deux tuyaux cachés dans l’avant-bras de la servante. Les deux fentes sont de dimensions inégales de manière à respecter le rapport des deux tiers du vin et du tiers de l’eau. Lorsque l’écoulement des liquides est terminé, le client peut reprendre sa tasse. Le contrepoids présent dans la courbure de la crosse permet au bras de revenir à sa position initiale.

Une démonstration du fonctionnement de cet automate a été réalisée lors d’une conférence des Nocturnes du Plan de Rome et retransmise en direct sur YouTube le 4 avril 2018.

Le jeu miniature d’Héraclès et Ladon

Cet automate est décrit au paragraphe 41 du livre 1 des Pneumatiques d’Héron d’Alexandrie. Il s’agit d’un jeu miniature, où le contrôleur est représenté par une pomme posée sur une base qui déclenche un mécanisme caché. L’automate illustre le conflit mythologique entre le demi-dieu Héraclès et le dragon Ladon. Ce mythe fait partie du onzième des douze œuvres d’Héraclès consistant à ramener les pommes d’or du jardin des Hespérides (voir figure 3). L’ensemble du système mécanique de l’automate est construit sur une base étanche. Cette base est séparée au milieu par un diaphragme.

Mécanisme interne (droite) et restitution virtuelle du jeu miniature d’Héraclès et Ladon. Author provided

C’est une paroi étanche qui permet de diviser la structure en deux réservoirs identiques. Le haut de la base a un bouchon de remplissage, tandis que le bas du réservoir inférieur possède un robinet de vidange. Une ouverture est pratiquée au centre du diaphragme et un « cône tronqué creux » y est attaché. La petite ouverture du cône est orientée vers le fond du réservoir. Il y a juste assez de place pour laisser couler l’eau. Dans ce cône est inséré un autre cône, qui est plein. Ce deuxième cône ferme le premier réservoir pour permettre à l’eau d’y rester.

Ce système de nidification en cône est similaire à celui de nos éviers actuels, où le bouchon nous permet de maintenir l’eau en place. Dans l’alignement des cônes, une pomme dorée est placée sur la base de l’automate à l’extérieur. Il faut percer un petit trou en dessous pour pouvoir connecter la pomme aux cônes. La pomme agira comme un déclencheur. Une petite chaîne de cuivre relie la pomme à l’extrémité supérieure du cône. Lorsque la pomme est soulevée, le cône bouge et permet à l’eau de s’écouler dans le deuxième réservoir. Sous la représentation d’Héraclès, et sur le diaphragme, une petite poulie est installée qui permet d’ajuster une corde. Cette corde relie la gâchette de l’arc du héros au cône. La corde se resserre lorsqu’elle est attachée à la détente de l’arc. Cette corde, qui est cachée à l’intérieur de la sculpture, sort de la main d’Héraclès.

Pour l’empêcher de s’échapper à l’intérieur, une boucle se forme. C’est cette boucle qui permet à l’utilisateur de tendre l’arc et la corde. Or, quand on soulève la pomme, le bouchon formé par le cône supérieur se soulève et tire le cordon. Cette action libère la gâchette de l’arc qui lance sa flèche. Une dimension supplémentaire s’ajoute avec la présence du son dans l’automate. Un tuyau creux est installé ; il est caché à l’intérieur de l’arbre et descend dans le deuxième réservoir. Lors du mouvement de l’eau, il permet à l’air contenu dans le réservoir de s’échapper. Un petit sifflet est placé au sommet de ce tuyau. L’air qui le traverse aide à imiter le sifflement de douleur du dragon.

Source : Conversation

Auteur

  1. Ingénieur d’études au Centre Interdisciplinaire de Réalité Virtuelle, Université de Caen Normandie