Je ne sais plus ni où ni comment j’ai connu cette femme au regard de feu, à la démarche de fauve ou de félin. Je ne sais vraiment plus comment. Pourtant, je sais pourquoi. Je la reconnais cette danseuse-étoile à l’élégance naturelle, qui brûle les planches du Palais du Peuple des éclairs de ses pas: Jeanne Macauley des Ballets Africains de Guinée.
Sa vie commence en dentelle pour continuer en ligne brisée avec la mort de sa mère Sera Angélique James, jusqu’au jour où la découvrent des artistes consommés qui tâtent très vite en elle, les pulsions d’une grande artiste en herbe.
C’est en 1961, alors que les Ballets Africains répètent leur programme aux Iles de Loos, à Fotoba que le coup de foudre éclate. Jeanne rencontre sa dulcinée: le théâtre. Elle va alors tout abandonner, ses études pour toujours et ses parents pour un bon moment.
Son père Albert est déchiré. Lui qui aime tant sa »Jeannie ». Sa grand-mère, son homonyme veut employer les grands moyens mais, Albert dans un élan de coeur irrésistible, l’arrête. Subrepticement. Dans la famille, la colère gronde un temps puis, s’apaise et se dissipe avec les succès que Jeanne remporte sur scène.
De la réprobation, elle devient objet d’admiration, bijou de fierté, joyau d’orgueil familial. Qui l’eut cru ?… Jeanne ardemment arrache des rôles de soliste dans les Ballets Africains, avec les numéros »Tiranké », »Veillée de Kora » et »Minuit », où elle chante et danse presque sur tous les autres tableaux.
En bourlingueuse raisonnée et inspirée, Jeanne avoue en rimant les noms de villes : »Berlin, Washington et Bonn, Tokyo et Kyoto, Bamoko et Maputo, Luanda et Osaka sont parmi les villes dont les publics m’ont profondément impressionnée. Mais il y a surtout MALANJE en Angola où j’ai vu des gens venus pour nous voir, mourir sans nous voir. C’était vraiment pitoyable, pathétique et sublime. Je ne peux oublier ça ».
Comédienne parfaite et chorégraphe majeure, administratrice du Théâtre national d’enfants et égérie patriotique, Jeanne Macauley qui fut aussi une chanteuse efficace, quand elle le voulait, avait en partage avec ses admirateurs la culture de l’excellence, le respect de l’expérience.
Ex-sociétaire des Ballets Djoliba, membre du Conseil Economique et Social, mais aussi du CA du Bureau Guinéen des Droits d’Auteur, Jeanne Macauley était une femme pleinement engagée.
Jeanne Macauley a rendu l’âme jeudi 5 novembre 2O2O, emportée par une longue maladie. Mais, sa figure de battante et de femme émancipée, de footballeuse précoce, de chorégraphe et comédienne accomplies, offre d’elle des icônes inoubliables.
Justin Morel Junior pour JMI