Le 18 août dernier, un putsch militaire renverse le pouvoir d’IBK, en bute à une contestation. Cette remise en cause de l’ordre constitutionnel dans ce pays sahélien, pose la problématique du rôle de l’armée en démocratie. A cet effet, nous avons cru bon de publier un extrait d’un ouvrage de référence au titre évocateur ‘’ Le rôle de l’armée en démocratie’’ rédigé avec compétence, lucidité et précision par dix personnalités internationales venues de tous les horizons.
Le meilleur type de relations civils-militaires
Souvent les analystes politiques qui étudient les relations entre le pouvoir civil et l’armée ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les critères qui permettraient de définir ces relations comme « bonnes » ou comme « médiocres ». D’aucuns avancent que les rapports civils-militaires sont bons lorsque l’armée se cantonne strictement à ses fonctions professionnelles ; elles sont médiocres dès lors que l’armée déborde de son domaine propre. Dans le cas extrême de pays où des coups d’Etat militaires se sont produits, on dira que ces relations sont les pires que l’on puisse trouver. D’autres spécialistes proposent que l’on regarde si un système donné engendre de bons choix politiques dans le domaine militaire. J’estime, quant à moi, que la meilleure manière d’évaluer la qualité des relations entre civils et militaires est de regarder comment les responsables civils et militaires gèrent leurs différences en matière politique : le meilleur type de relations civils-militaires se rencontre dans les pays où le pouvoir civil est capable de l’emporter dans ses confrontations avec l’armée.
L’armée et sa doctrine
La mission dévolue à l’armée influe considérablement sur les relations entre civils et militaires. Elle est révélatrice à la fois de la nature de la menace (militaire ou non militaire) à laquelle l’armée doit faire face, et de l’origine de cette menace (intérieure ou extérieure). La meilleure manière d’identifier la mission d’une armée est d’examiner sa doctrine, qui peut être envisagée comme le logiciel régissant toute l’infrastructure militaire. La mission d’une armée donnée est en grande partie déterminée par l’environnement international et la situation intérieure auxquels la nation est confrontée.
Comme il a été dit plus haut, un environnement menaçant et les dangers qu’il fait peser sur la nation déterminent pour une large part la mission de l’armée et, partant, sa subordination à l’autorité civile. Un Etat, dès lors qu’il est confronté à la menace d’une agression armée traditionnelle, a toutes chances de connaître des relations civils-militaires stables. Face à une telle situation, les autorités civiles sont contraintes à une cohésion accrue et donc plus à même de parler de l’armée d’une seule voix.
Le contrôle du pouvoir
Le pouvoir civil adopte alors généralement des mécanismes de contrôle objectif : garantie à l’armée d’une large autonomie dans le domaine restreint de ses compétences militaires, en échange d’une totale loyauté politique. Un tel contrôle objectif exercé par le pouvoir civil assure les meilleures chances de générer de saines relations entre civils et militaires. En outre, le danger extérieur détourne l’attention des militaires des problèmes de politique intérieur dans la mesure où l’armée doit compter sur le soutien indéfectible de l’Etat.
L’autorité civile bénéficie en de telles circonstances d’une légitimité accrue et d’une plus grande latitude pour donner à l’armée les moyens nécessaires à la victoire. En résumé, le fait de devoir faire face à une menace extérieur garantit le meilleur type de rapports entre l’armée et le pouvoir civil-celui où l’autorité civile peut compter sur la totale obéissance des militaires.
Par contre, dans un pays confronté à des dangers intérieurs importants, on a toutes chances de voir les diverses instances du pouvoir civil affaiblies et profondément divisées, situation qui rend difficile son contrôle sur l’armée. Il arrive souvent que les politiciens ne puissent résister à la tentation de faire entrer les militaires dans l’arène, à la fois pour obtenir leur appui dans la lutte contre les factions rivales, et pour assurer le contrôle de leur propre groupe sur l’armée. Ce contrôle subjectif, c’est la volonté de s’assurer le contrôle de l’armée en la politisant et en l’assimilant plus étroitement au secteur civil.
Les menaces
L’existence d’une menace intérieure forte conduit également l’armée à se préoccuper de la situation sur le plan national et rend inévitable son intervention sur la scène politique. Dans la mesure où, en de telles circonstances, l’armée n’a guère besoin de réclamer le soutien du pouvoir civil, elle sera moins portée à lui obéir. En bref, l’attribution à l’armée d’une mission non militaire et tournée vers l’intérieur engendrera le pire système de relations civils-militaires.
Lorsqu’un Etat est confronté à la fois à des menaces intérieures et extérieures, les relations entre le pouvoir civil et l’armée deviennent généralement difficiles, sans être toutefois aussi mauvaises que dans le cas précédent. Tenue de faire face simultanément à ces deux types de menaces, l’armée doit faire preuve d’une relative cohésion et tendre se efforts dans la même direction, encore que celle-ci puisse varier. Si elle se tourne essentiellement vers le problème intérieur, les relations civils-militaires auront toutes chances de se détériorer ; si l’armée concentre au contraire son attention sur la menace extérieure, ses relations avec le pouvoir civil pourront rester satisfaisantes.
En une telle situation de double danger- intérieur et extérieur- les instances gouvernementales sont souvent divisées, de sorte que les autorités civiles risquent de recourir aux mécanismes du contrôle subjectif. Mais d’autres facteurs peuvent également jouer leur rôle et peser sur les rapports entre le pouvoir civil et l’armée.
Pour ce qui est des Etats qui ne sont confrontés à aucune menace, ni intérieure ni extérieure, ils offrent les types les plus variés de relations entre pouvoirs civil et militaire. Parfois, les autorités civiles en l’absence de toute menace extérieure qui les force à s’unir, ne font pas preuve d’une grande cohésion ni ne ressentent le véritable besoin d’adopter quelque forme de contrôle objectif. Parallèlement, dépourvus de toute mission clairement définie orientée vers un péril extérieur, les militaires se sentent moins tenus de se soumettre à l’autorité civile. Mais il peut aussi arriver que les instances civiles conservent une relativement bonne cohérence de l’armée, les militaires quant à eux restant tournés vers les missions extérieures. Dans un tel contexte où nul péril n’est clairement identifié, d’autres facteurs peuvent donc déterminer quel type de relations civils-militaires va s’établir.
La nature des menaces réelles qui pèsent sur une nation donnée, si elle joue souvent un rôle important, ne suffit pas à elle seule à déterminer la mission de l’armée, surtout lorsque ces menaces sont à la fois intérieures et extérieurs, ou lorsqu’elles sont inexistantes. Pour expliquer, dans ces deux derniers cas, le tour particulier que prennent les relations entre civils et militaires, il devient nécessaire d’examiner les idées qui prévalent dans la nation en ce qui concerne la mission propre de l’armée et son rôle dans la société. Ces idées s’expriment généralement dans la doctrine militaire de l’Etat.
Thierno Saïdou DIAKITE pour JMI
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