Véritable monument de la musique malienne, Salif Keïta est un artiste accompli dont la reconnaissance internationale ne peut que témoigner de son immense talent. Après la disparition de Manfila Kanté son mentor musical en 2011, et celle du Guinéen Mory Kanté cette année, par la force des choses, Salif Keïta est ainsi le dernier des Mohicans des artistes des années soixante-dix encore en vogue sur la scène musicale internationale.
Le mardi 25 août, Salif Keïta ‘’ l’albinos béni ‘’va souffler soixante onze bougies. Né albinos le 25 août 1949 à Djoliba, Salif Keïta a connu une enfance difficile. Il grandit dans une solitude totale. En effet, de par cette différence, personne ne voulait l’approcher, pas même son père qui mettra des années avant de consentir à lui parler. La guitare et le chant se présentent alors comme une échappatoire à la solitude du jeune talent.
Pas de choix
A l’époque, dans cette région de l’Afrique, la chanson est exclusivement réservée aux griots, un noble n’a pas le droit de chanter dit-on.
Pourtant, Salif n’a pas le choix, puisque même l’Etat refuse de l’engager en tant qu’enseignant, métier pour lequel il a été formé. Il décide alors de partir pour Bamako, la capitale malienne, pour gagner son pain quotidien.
A la fin des années 60, il est engagé au Rail Band du Buffet Hôtel de la Gare de Bamako, avec la bénédiction du saxophoniste Tidiane Koné. Quatre années plus tard, le jeune Salif quitte le Rail Band pour la formation rivale, les Ambassadeurs du Motel, dirigés par le guinéen Manfila Kanté, bel et bien convaincu des capacités vocales hallucinantes de Salif.
Rencontre avec Manfila Kanté
« Dans le Rail Band, on ne faisait que des interprétations du folklore transposé directement sur des instruments modernes. Mais avec les Ambassadeurs, on interprétait des musiques traditionnelles et aussi d’autres styles : le jazz, les musiques latino-américaines, européennes, etc. Quand je suis arrivé dans le groupe, Kanté Manfila et moi avons commencé à mixer nos talents et à donner une nouvelle dimension aux musiques malienne et guinéenne. C’est Kanté Manfila qui m’a appris à composer. » Avec l’aide de son mentor, le groupe voit les portes s’ouvrir et remporte succès sur succès.
Il serait quelque peu fastidieux de suivre le fil de la riche carrière musicale de Salif Keïta, artiste atypique, qui à force de volonté et peut- être animé par la rage de prendre une revanche sur le destin. Aujourd’hui, au faîte de la gloire, il faut souligner que notre pays aura contribué pour une grande part dans l’ascension de ce chanteur à la voix inaltérable. En effet, grâce à notre compatriote Manfila Kanté, qui nous a quittés en juillet 2011, il aura appris les rudiments de la musique moderne. Ensuite, la carrière de Salif Keïta va prendre un tournant significatif à Bamako dans les années soixante – dix avant son exil à Abidjan.
Distinction de Sékou Touré
Ainsi, c’est à l’occasion d’un grand concert officiel au stade de Bamako que les Ambassadeurs trouvent leur nouveau supporter : le président Ahmed Sékou Touré. Les accents déchirants de la voix de Salif, joyau unique capable de transmettre l’émotion la plus pure, sont allés droit au cœur du chef d’Etat guinéen. Salif raconte « À l’époque où je l’ai rencontré, j’étais une personne très déprimée, découragée, explique le chanteur albinos. Je n’avais pas confiance en moi-même. Sékou Touré a tout fait auprès des autorités maliennes pour m’emmener en Guinée, où il m’a décoré comme Officier de l’Ordre National Guinéen. Dès lors, on a commencé à m’attribuer plus d’importance, les gens ont commencé à me regarder comme une personne à part entière. C’est pourquoi, j’ai dédié la chanson
‘’ Mandjou ‘’ à la famille des Touré, à travers la personne de Sékou Touré ». Un aveu qui se passe de commentaires.
Abidjan et World Music
Avec la complicité de Manfila Kanté, Salif va s’exiler à Abidjan en 1978. Ces années là, la capitale ivoirienne était devenue la ville carrefour du show biz africain. Bon nombre d’artistes s’y étaient installés. A Abidjan, en compagnie de Manfila, Salif crée ‘’ les Ambassadeurs Internationaux ‘’. En 1984, il quitte la Côte d’Ivoire pour s’installer en France, où il va mener une carrière solo.
Après la sortie de son album ‘’ Talé ‘’ en décembre 2012, Salif Keïta a annoncé qu’il envisageait d’arrêter définitivement la musique. Dans les colonnes de l’hebdomadaire Jeune Afrique du 8 décembre 2012, il déclare’’ …ça fait déjà longtemps que je joue. Aujourd’hui, la musique ne nourrit plus son homme à cause du téléchargement illégal et du piratage. A peine un disque est-il mixé qu’il est recopié ! Et puis notre culture n’admet pas qu’un homme pratique ce métier jusqu’à sa mort. Je vis dans un pays musulman où l’on croit encore que mourir musicien c’est périr dans une situation satanique. Une fois mort, on peut jeter votre corps. Personne ne viendra vous enterrer, sauf peut-être votre famille, car l’on considère qu’un musicien n’a aucun mérite’’.
Ainsi donc, après 40 ans d’une carrière musicale riche de près de trente albums, le rossignol de la chanson malienne voulait tirer un trait définitif sur sa vie de chanteur. N’ayant pas pu résister à l’attrait de la musique, qu’il a pratiqué des années durant, Salif Keïta a repris le chemin des studios pour nous offrir en 2018 l’album ‘’ Un autre blanc’’, qui serait selon l’auteur le tout dernier de sa carrière. Joyeux anniversaire, Salif !
Thierno Saïdou DIAKITE pour JMI
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