Écoutez la playlist Balla et ses balladins, aussi connu comme l’Orchestre du Jardin de Guinéequi accompagne cet article sur Spotify et Deezer.
Voici une vingtaine de titres sur lesquels soufflent les vents d’Afrique. Les vents de la liberté qui ont balayé la colonisation, les vents de la guerre et de la division qui trop souvent ont propagé leurs meurtriers incendies, et ceux, contraires, qui appellent à l’unité et font résonner le nom de figures tutélaires qui incarnent la dignité de tout un continent. Et puis les vents frais des matins clairs d’Afrique, qui dévoilent ses splendeurs… et ses espoirs.
« Le Bûcheron » (1), qui trime dans les forêts du Congo pour vendre son bois, et n’arrive pas à faire vivre sa famille, c’est celui que chante Franklin Boukaka, comète trop souvent oubliée de la chanson africaine.
« Ah l’Afrique, où est ton indépendance, où est ta liberté ? Couper du bois est un dur labeur, le vendre en est un autre. Avec ce lot de malheurs et mes enfants à nourrir, je suis loin de m’en sortir. » — Franklin Boukaka
Franklin Boukaka enregistre ce disque à Paris en 1970, avec Manu Dibango à la direction d’orchestre, aux arrangements et au saxo. Voilà déjà plusieurs années que ses textes engagés lui donnent maille à partir avec le pouvoir en place à Brazzaville.
« Ceux auxquels j’ai donné ma voix sont devenus gourmands de pouvoir et de voitures. Quand arrivent les élections, je deviens à nouveau important pour eux. Et je me demande : le colonisateur est parti, pour qui avons-nous obtenu l’indépendance ? » — Franklin Boukaka
Deux ans plus tard, alors que Brazzaville est secouée par une tentative de putsch que le président Marien Ngouabi fera réprimer dans le sang, Franklin Boukaka est assassiné. Disparu à l’âge de 32 ans, sa trajectoire a laissé une trace dans le ciel des idéaux africains.
Car l’indépendance, acquise au début des années 60 pour une majorité de pays, fait par endroits l’objet d’âpres luttes et de guerres de libération tout au long des années 70. C’est le cas dans les territoires colonisés par le Portugal (notamment le Mozambique et l’Angola) ou encore la Rhodésie, ancienne colonie britannique qui, devenue indépendante, prendra le nom de Zimbabwe en 1980. Ce sont ces conflits qu’évoque « Mambu na miondo » (2) du Congolais (de Kinshasa) Franco Luambo, alors au sommet de son art. La libération de l’Afrique, mouvement entamé dès l’entre-deux-guerres, a très tôt convergé avec la lutte d’émancipation de tous les peuples noirs. Ceux d’Afrique (chantés bien plus tard par Djelimady Tounkara dans « Farafina Africa » – 3), et ceux des Amériques. C’est d’ailleurs de cette convergence qu’ont émergé des figures majeures du panafricanisme, comme celle de Kwame Nkrumah, qui lors de ses études à Londres et aux États-Unis, a côtoyé des intellectuels et des militants venus de toute la diaspora. En devenant le premier président du Ghana, le 6 mars 1957, il déclare : « Notre indépendance n’a aucun sens si elle n’est pas suivie de la libération totale du continent africain. »
Le Ghana, premier pays d’Afrique subsaharienne à s’émanciper de la tutelle coloniale, marque les esprits. Et jusque dans les clubs de Londres — où le calypso et ke jazz sont en vogue — on chante l’événement (Lord Kitchener, « Birth of Ghana », -4).
L’étoile noire au centre du drapeau ghanéen représente, comme le chante Kitchener, « la liberté de l’Afrique ». Elle est certainement une référence à la Black Star Line, cette compagnie de navigation fondée par le Jamaïcain Marcus Garvey pour organiser le retour des noirs du Nouveau Monde vers l’Afrique. Garvey est devenu une des figures tutélaires du mouvement rasta, tout comme Hailé Sélassié, l’empereur d’Éthiopie, chanté ici par le Jamaïcain Rod Taylor. Vert-jaune-rouge, les couleurs de l’Éthiopie, seul pays d’Afrique qui ne fut jamais colonisé, serviront de référence à de nombreux états africains qui en reprendront les couleurs (5).
Patrice Émery Lumumba
Autre figure du panafricanisme, celle de Patrice Émery Lumumba, Premier ministre du Congo qui proclama l’indépendance du pays, le 30 juin 1960.
- Il est assassiné le 17 janvier 1961, après sa capture par les hommes du colonel Mobutu (photo) et sa « livraison » au sécessionniste Moïse Tshombé qui, aidé, d’officiers belges (et avec le soutien de la CIA) se chargera de faire disparaître celui dont les flamboyants discours feront une icône.
De nombreuses chansons chanteront sa mémoire, comme celle du Guinéen (de Conakry) Bala Oniavogui, et son orchestre les Balladins (6).
Quelques années plus tard, en 1969, le jeune Fela, qui s’appelle encore Ransome Kuti, part avec son groupe les Koola Lobitos aux États-Unis, où il enregistre ce titre, « Viva Nigeria » (7). Le pays est alors en proie à la guerre du Biafra (province pétrolière qui cherche à faire sécession, avec l’appui actif de la France et de la Côte d’Ivoire). Son appel à la paix et à l’unité du pays vaut pour toute l’Afrique.
Ces conflits qui continuent d’ensanglanter l’Afrique jusqu’à nos jours sont aussi au centre de la chanson « Ni Mafele » (8) du Guinéen Sekouba Bambino, qui s’inquiète en particulier du sort des enfants, premières victimes des guerres dont ils furent parfois, depuis les années 90, les soldats recrutés de force.
La paix (« Jammu » en wolof), c’est aussi la prière du sénégalais Ismaël Lo, dans la magnifique ballade « Jammu Africa » (9).
L’unité, Baaba Maal (lui aussi du Sénégal) ne l’a pas oubliée (10), pas plus que son compatriote Omar Pene (11) qui invite les Africains à déposer les armes et à faire la guerre… au paludisme, aux coups d’État, et aux autres fléaux qui minent le développement du continent.
Même s’il existe 54 états et autant d’Afriques, un certain nombre de problématiques communes les réunit sous le même étendard. Chanter l’Afrique, Pierre Akendengué l’a souvent fait depuis son premier album personnel, Nandipo, en 1976. « Afrika Obota » (12) date aussi de ses tout débuts, issu de l’album éponyme enregistré à Paris avec le percussionniste brésilien Nana Vasconcelos décédé le 9 mars 2016.
On vous entend déjà dire derrière votre écran : mais où sont les femmes ?
Elles seront plus nombreuses dans d’autres posts, mais il en est une qu’on ne pouvait oublier aujourd’hui, c’est celle qu’on surnommait précisément « Mama Africa » : Myriam Makeba, qui quitte l’Afrique du Sud en 1960, et n’y pourra plus remettre les pieds avant le début des années 90 du fait de son engagement public contre le régime d’apartheid qui sévit dans son pays. Juste avant de partir en tournée pour un spectacle musical aux États-Unis, elle avait participé en 1959 au tournage du film « Come Back Africa » de Lionel Rogosin. La voici justement dans un extrait du film.
La chanson « Sophiatown Is Gone » (13) raconte la fin d’un quartier (« location »), Sophiatown, où les Noirs d’Afrique du Sud pouvaient non seulement être propriétaires, mais aussi plus libres : un laboratoire de la culture urbaine d’Afrique du Sud, où le jazz coulait à flots, tout comme la bière de maïs. Le quartier fut rasé par le gouvernement sud-africain, qui le rebaptisa Triomf (triomphe). Les 65.000 résidents de Sophiatown furent expulsés et pour beaucoup relogés dans le township de Soweto. L’ambiance de ce quartier se retrouve encore dans les nombreux clichés qu’en a faits le Sud-africain Jurgen Schaderberg.
À l’immense catalogue des chansons africaines qui chantent l’Afrique, on pourrait ajouter la fameuse African Typic Collection (14) du Camerounais Sam Fan Thomas, qui fit un tabac en Afrique de l’Ouest au milieu des années 80. C’est une sorte de medley qui navigue entre les styles musicaux, et n’hésite pas à reprendre quelques refrains connus, comme celui de la chanson « Boma l’heure » de Franco Luambo.
Enfin, pour conclure ce voyage (qu’on poursuivra ultérieurement), empruntons à nouveau les courants marins qui ont fait voyager les musiques de part et d’autre de l’Atlantique. En commençant par les formidables voyages de la salsa, ou pour parler plus généralement, des musiques afro-cubaines. Partis d’Afrique, les rythmes ont infusé les musiques américaines et caribéennes. Celles de Cuba revinrent en force sur le continent, et donnèrent naissance, dès les indépendances, à la vogue afro-cubaine sur le Continent. Africando, le all stars de salseros africains initié par le producteur Ibrahima Sylla, en est un des meilleurs ambassadeurs. Sur leur dernier album, Viva Africa », figure « Africa Es, tribute to Africando » interprétée par le Spanish Harlem Orchestra (15). La chanson rend hommage aux racines africaines de la musique made in Latin America.
L’influence africaine a bien sûr joué aussi sur les racines des musiques noires nord-américaines. « Ce que les musiciens du Mississippi appellent blues, rappelle Bassekou Kouyaté, nous on l’appelle Poye », un thème de la musique malienne. Comme avant lui Ali Farka Touré avec Ry Cooder, le virtuose du ngoni a enregistré un titre en compagnie d’un autre Américain, le bluesman Taj Mahal (16).
Bien sûr, nous reviendrons ensemble nous promener sur tous ces ponts qui relient l’Afrique à l’Amérique. Il est cependant un titre qu’on ne pouvait oublier aujourd’hui, c’est « Africa Unite » de Bob Marley, la star planétaire du reggae qui mieux que quiconque diffusa dans le monde les idées panafricaines (17).
Et parce que les idéaux panafricains demeurent, et que la lutte continue, voici pour finir une reprise de la chanson « Buy Africa » de Fela Kuti, signée du rappeur belgo-congolais Baloji, avec la participation du chanteur nigérian Kuku (18).
Écoutez la playlist qui accompagne cet article sur Spotify et Deezer.
Tracklisting :
- Franklin Boukaka— Le Bûcheron
- Franco — Mambu na miondo
- Djelimady Tounkara — Farafina Africa
- Lord Kitchener — Birth of Ghana
- Rod Taylor — His Imperial Majesty
- Balla et ses balladins — Lumumba
- Fela Ransome Kuti — Viva Africa
- Sékouba Bambino — Ni Mafele
- Ismaël Lô – Jammu Africa
- Baaba Maal — Africa United
- Omar Pene — Africa
- Pierre Akendengue —Afrika Obota
- Miriam Makeba—Sophiatown Is Gone
- Sam Fan Thomas—African Typic collection
- Spanish Harlem Orchestra—Africa Es—Tribute to Africando
- Bassekou Kouyate & Taj Mahal—Poye 2
- Bob Marley & The Wailers—Africa Unite
- Baloji – Buy Africa
SOURCE : Vladimir Cagnolari
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