Seul un subterfuge loufoque nous aura permis d’enregistrer ce qui deviendra le vinyle 33t/SLP 62, avec le titre éponyme « Kadé Diawara, l’Archange du Manding », paru en 1976, sous le label des Editions Syliphone Conakry. Un album de neuf titres, engrangés tour à tour par les ingénieurs guinéens du son: Abraham Kalil Kébé et Moussa Moïse Konaté.
Dans les premières années de la décennie 70, le monde des arts grouillait de rumeurs sur la santé mentale de Kadé Diawara, cantatrice attitrée de l’Ensemble Instrumental et Choral National, coryphée par excellence de l’inoubliable Sory Kandia Kouyaté . Certains la disaient victime de bête jalousie d’autres artistes tétanisés par son talent éclatant, qui lui auraient jeté des sortilèges pour ternir et faner son génie, tandis que d’autres la pensaient simplement « folle ».
C’est donc à cette ambiance toxique que ma volonté de la faire entrer au studio D de la « Voix de la Révolution », la radio nationale, va immanquablement se heurter. Comment en effet, enregistrer ses interprétations qui vivifiaient la mémoire collective comme « Malissadio, Wouloukoro, Bélé Bélé, Soungouroun Bombé,etc. », dont tout le monde était friand ? Il me fallait imaginer une ruse pour la convaincre et, contourner son refus de rejoindre les studios de Boulbinet à Kaloum, en compagnie de Sétouma Kouyaté, son guitariste et époux.
J’irai en toute complicité amicale rencontrer Mamady Bamba Diawara alias Fidel Castro, à la SIG Madina, pour lui demander de m’aider à persuader Kadé, afin de la faire venir en studio. Je savais qu’il avait une certaine influence sur la famille Kouyaté, dont il était d’une certaine manière, voisin. Négociation réussie, il me promet qu’il fera tout pour réussir et qu’il avait sa petite idée, connaissant bien le couple. Parfait!
Nous prenons rendez-vous devant l’Eglise Saint-Michel de Colèah, car les Kouyaté habitaient dans la petite cité administrative, juste derrière le saint édifice. A l’heure convenue, je suis là, et je vois arriver Castro, tout de blanc vêtu, en vrai cadre du PDG. Du temps de la Révolution, c’était la tenue exigée des administrateurs du parti et de ses militants. Son teint d’ébène et sa barbe à l’image de son homonyme cubain, lui donnaient un air d’une impressionnante souveraineté. Je souris, lui aussi. Il me dit : « Mon ami, allons-y, c’est très sérieux !» J’en conviens et nous prenons la direction de la famille Kouyaté.
Arrivés, le couple qui nous reconnaît est heureux de nous recevoir, et nous invite à prendre place. Mais, Castro est solennel : « Merci, mais malheureusement, nous sommes pressés. Le parti a besoin de vous, de vos enregistrements, car le peuple de Guinée apprécie vos œuvres, comme vous le savez. Nous sommes donc venus, au nom des autorités, vous chercher pour les studios… »
A ma grande et agréable surprise, Sétouma et son épouse Kadé, donnent leur accord avec plaisir, sans résistance aucune, ils se préparent aussitôt pour les studios de Boulbinet. Castro est heureux et vraiment fier d’avoir pu « débloquer la situation ». Respect!
Nous serons en séance d’enregistrement toute la nuit. Abraham Kalil Kébé et Moussa Moïse Konaté, en techniciens disponibles et compétents, recueilleront neuf titres qui participeront à la légende de cette grande « artiste du peuple ». C’est après une laborieuse audition, que je baptiserai cet opus « Kadé Diawara, l’Archange du Manding ».
Je vais maintenant vous expliquer pourquoi, mais pas avant de vous avoir confié que nous reviendrons plus tard, près de la clôture de l’Eglise Saint-Michel, pour la photo de la pochette du disque 30 cm. Regardez bien l’image ci-dessous et ensemble, passons en revue les neufs titres artistiques.
- Bélé Bélé: l’éloge de la force de l’amour et de l’éducation maternelle.
- Wouloukoro: la fidélité dans la parole d’honneur, promesse d’amour, dette sentimentale message, quand le mouchoir du souvenir disparaît dans les eaux du fleuve… les conseils des parents rejaillissent et la forêt des souvenirs s’approfondit…
- Fadakoudou: l’hommage aux forgerons du Manding.
- J.R.D.A: hymne à la jeunesse en conseils avisés : « Sois en convaincu, ta jeunesse passera, alors pendant qu’il est temps ne t’oublie dans l’éphémère ! »
- Moné Magni: « Terribles sont la foutaise, la félonie, la trahison, la démagogie, l’hypocrisie, le mercantilisme et tout ce qui tue la confiance ! ». Dans cette chanson, soudain, la mémoire de Kadé lâche, alors son époux Sétouma intervient en rappel vocal salvateur.
- Paya Paya: chanson populaire papillonnante de gaîté, dédiée à son amie Bintou.
- Nanibaly: « A quoi penses-tu, Adorée, je sais qu’il n’y a de pire que la honte en amour ! Trop de vaines paroles tuent l’amour »
- Djina Mosso: « A chacun son amour, ne me tiens point selon les ragots d’autrui, c’est l’amour qui ne vit que chez l’un qui torture l’autre, et tue le noble sentiment! »
- Soungouroun Bombé: Dédicace spéciale, célébration de la beauté de la Guinéenne.
A la fin de ce tour de chants au studio D de la «Voix de la Révolution», les yeux fermés, pour mieux plonger dans l’univers sonore de Kadé; son image altière m’est apparue comme une grande messagère de ces vertus qu’elle rappelait avec toute la suavité, toute la virtuosité de sa voix alpestre et évanescente. La sublimité me saisit et me transporte. Ancien séminariste, je revisite mon vocabulaire religieux, je me souviens des anges et des archanges que seules les trois religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam enseignent; j’en suis pénétré depuis des lustres. Flashback.
Souvenez-vous, pour aller chez Kadé Diawara, nous sommes passés devant l’église Saint-Michel de Colèah. Je fais presque inconsciemment la connexion. Justement, Michel, l’archange! Il est avec Raphaël et Gabriel, l’un des 7 archanges les plus connus. Ceux que les textes anciens des trois confessions précitées identifient clairement. Je crois tenir le bon bout, le mot «ange» vient du grec «ángelos», qui signifie messager; et le préfixe «arch» indique la supériorité. Celle de ceux qui font le lien entre Dieu et les Hommes, c’est-à-dire les Archanges!… Mon choix est fait. Désormais Kadé Diawara portera le doux sobriquet de : « L’Archange du Manding », par ce qu’elle est effectivement «messagère» et que sa voix angélique mérite bien cette fervente allusion.
Enfin, comme depuis 1974, j’étais le critique d’art et commentateur officiel de la maison Syliphone (après le départ de Diaré Ibrahima Kalil), il était de mon devoir de trouver ce qu’il fallait. Le sobriquet proposé à mes collaborateurs leur plaît. Il séduit les journalistes et les mélomanes… Le tour était simplement joué et gagné.
Depuis, le sobriquet fait le tour du monde…
Justin MOREL Junior pour JMI
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