A l’initiative du collectif Droits humains pour tou-te-s et de la mairie de Paris, qui accueillait dans ses locaux l’événement, un concours d’éloquence était organisé samedi 9 décembre. L’idée : débattre autour de l’expression “Droits de l’Homme et du citoyen” de 1789, mais surtout réfléchir à des alternatives qui ne seraient plus excluantes pour les femmes. Une façon également de rappeler comment la langue et les mots sont porteurs de sens.

A droite de la scène, une grande déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen trône. Elle paraît tout à fait classique, enfin, du moins, ressembler à celle que tout le monde étudie un jour ou l’autre en classe. Pourtant, en s’approchant un peu plus, on remarque quelques différences. Le nom du célèbre texte de 1789, par exemple, a changé : à présent, il est écrit “Déclaration des droits humains des citoyennes et des citoyens”. Idem, une sorte d’incipit a été rajouté : “Considérant l’absence des femmes dans le texte original de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, tenant compte de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, des citoyennes et des citoyens du XXIe siècle [membres du réseau Zéro macho, ndlr], pour affirmer l’égalité de femmes et des hommes, proposent cette adaptation mixe.”

Nous sommes le samedi 9 décembre et, malgré l’hommage en grande pompe rendu place de la Concorde à l’idole des jeunes – dont il sera plusieurs fois mention – des dizaines de personnes se sont données rendez-vous à l’un des auditorium de la mairie de Paris. C’est à initiative du collectif Droits humains pour tou-t-es, soutenu par la municipalité, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes ou encore le magazine féministe Causette, qu’a lieu aujourd’hui un concours d’éloquence. Le thème : “‘Droits de l’Homme’ : Une expression du XVIIIe. Quoi pour le XXIe ?”

« Jean Gérard » en train de plaider devant le jury.

« Pointer du doigt l’importance du langage dans la perpétuation de clichés »

Pour Pamela, membre de l’organisation, “l’obsolescence de l’expression Droits de l’Homme” est une évidence : “Notre message : que les droits humains soient reconnus. L’actualité de ces dernières semaines, avec la libération de la parole des femmes [cf. l’affaire Weinstein, ndlr], a permis de pointer du doigt l’importance du langage dans la perpétuation de clichés véhiculés dans certains textes nationaux et internationaux.” Puisque “la déclaration de 1789 excluait les femmes” – au-delà de la linguistique stricto sensu d’ailleurs, les personnes de sexe féminin ne bénéficiant pas à l’époque des droits énoncés dans le texte – le collectif, issu de la société civile, s’est donné pour objectif, depuis 2014, “d’attirer l’attention des pouvoirs publics afin de les convaincre d’adopter l’expression ‘droits humains’ à la place, comme le font déjà plusieurs pays francophones”.

C’est vrai : le Canada ou encore la Suisse utilisent ce champ lexical-là, tandis que, de façon générale, c’est l’expression “human rights”, pour “droits humains”, qui prévaut à l’étranger – par exemple, ce qu’on appelle en France la “Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen” proclamée par l’ONU en 1948 se traduit en anglais “Universal declaration of human rights”. Une différence sémantique de taille de l’avis du collectif – sans importance de l’avis de certains intellectuel-le-s, réticent-e-s à débaptiser la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et ce pour des raisons très diverses, comme le rappelle ce papier de Libération de 2015 – qui, la même année, lançait un appel, signé par des dizaines de personnalités et des associations. Le but : demander la substitution de l’expression “droits de l’homme”, symbole “de discrimination machiste”, par celle de “droits humains”, de façon à cesser “d’invisibiliser les femmes, leurs intérêts et leurs luttes”. Après tout, linguistique rime avec politique.Résultat de recherche d'images pour "droits humains"

Alors, derrière le pupitre installé pour l’occasion, plusieurs allocutions sont organisées, le tout sous le regard d’un jury composé tout à la fois de l’historienne et chroniqueuse pour Arrêt sur images Mathilde Larrere, Françoise Vouillot du Haut conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, Hélène Bidard, adjointe à la Maire de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations et des droits humains, ou encore de la journaliste Titiou Lecoq, qui a récemment publié l’essai Libérées, le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale. Il y a d’abord “Jean Gérard”, qui plaide pour la conservation de l’expression communément utilisée. Bon, Jean Gérard est en fait une femme affublée d’une fausse barbe et membre du collectif Droits humains pour tou-t-es, mais là n’est pas la question : Jean Gérard joue la carte masculiniste à fond, parlant de “socio cuni-linguistes” et du genre masculin comme étant “le plus noble”. Evidemment, Jean Gérard ne gagnera pas.

Suivent Pierre, Marie, Hugo, Nicole, Chloé, Olivier, Laurène, Agnès, Solveig et Sophie qui, tour à tour et pendant cinq minutes chacun, vont défendre des expressions alternatives. Pierre et son chapeau citent Olympe de Gouges, figure tutélaire du féminisme et initiatrice de la Déclaration des droits de la femme et la citoyenne en 1791, et plaide pour employer l’expression “les droits à l’humanité”. Marie, elle, hurle ironiquement que oui, “les femmes existent”, que les “mots sont importants” et qu’”on ne badine pas avec son temps : la sensibilité égalitaire n’est pas une maladie sentimentale” (avec, au passage, un taquet pour les penchants “nécrophiles” de celles et ceux se refusant à un changement de la langue).

Le mot “fhomme” est évoqué, Chloé, elle, rappelle que “faire du masculin le générique est infondé linguistiquement” – une question qui est débattue, cf. cet article de La Croix – et demande ironiquement si l’utilisation de “droits humains” représente un “péril mortel” (coucou l’Académie française). Olivier parle du cache-sexe utile –  si l’on puis dire – que serait le “h” majuscule dans “droits de l’Homme”, perpétuant la domination du masculin sous couvert d’incarner une neutralité du genre. Laurène, elle, dit que “c’est par l’usage des mots qu’on construit la réalité et par l’usage des mots qu’on construira l’égalité”, tandis que Solveig parle de “vaches humaines” (?) avant de chanter une étonnante adaptation de Ne me quitte pas de Jacques Brel.

Sophie termine le tour de parole en racontant son histoire personnelle, sa prise de conscience progressive de “la violence systémique” entourant les femmes et de comment “l’usage normé de la langue était un outil de reproduction sociale des dominants”. Sa proposition : dire simplement “les droits”. Elle terminera deuxième du concours, juste devant Chloé et derrière Marie. Les droits humains ont gagné.

Par Amélie Quentel