Récemment, un groupe solide de professeurs d’université congolais, a tenu à rendre un hommage et mérité à leur tour, au Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix 2018. Une conférence publique a été ainsi spécialement organisée, à cette occasion, le jeudi 1er novembre 2018 à Kinshasa. Le professeur et sénateur Jacques N’djoli a affirmé au cours de cette rencontre politico-scientifique que : « Le prix Nobel attribué au Dr Denis Mukwege réveille la conscience de la communauté internationale sur le drame de l’Est de la RDC ».
Justin MOREL Junior qui a personnellement connu ce Nobel africain et qui a servi pendant quatre années (2003-2007) à Goma, Bukavu, Kisangani, Bunia, Béni, et autres villes, en tant que Spécialiste UNICEF, responsable de la communication à l’Est de la RDC, revient sur les viols et violences sexuelles que ce pays a vécus durant cette terrible période. Témoignages saisissants et inoubliables. Récit.
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Les tresses au vent, les lèvres pincées, le regard profond, Simiré Okaya a vécu tous les enfers. A quinze ans, sa vie claque comme un hymne contre l’injustice et la bêtise humaine. Elle aurait pu en vouloir au monde entier, et pourtant, elle déclare, toute candide :’’Je remercie l’Eternel de m’avoir fait traverser toutes ces épreuves avec le courage qu’il fallait…’’
Le 18 février 2002, en pleine guerre, elle était avec ses parents dans la forêt de Kindu, quand elle fut capturée par les milices Mai-Mai avec une brutalité et une indescriptible férocité. Ces miliciens cherchaient des filles, beaucoup de filles pour leurs plaisirs charnels et pour leur servir de portefaix. Les garçons, eux, sans autres formes de procès étaient enrôlés illico dans l’armée, avec de fausses promesses d’argent, variant de 5 à 100 dollars américains par mois, pour services rendus.
Simiré raconte :’’Ils cherchaient des filles pour coucher avec. J’avais fui avec mes copines, mais, ils nous ont pourchassées dans la forêt. Je suis tombée, un d’entre eux m’a rattrapée et s’est jeté sur moi en me menaçant. Il avait une Kalachnikov et m’a lancé avec colère – Si tu fuis encore, je t’abas comme une ch…! Je te tue ! -Alors il m’a baillonnée et a fait de moi ce qu’il voulait, alors que j’étais évanouie.’’
Le milicien, après avoir atteint son but, la projetait dans l’herbe et, à son tour disparaissait gaillardement dans les futaies. Au réveil, Simiré s’enfuira encore et restera huit mois dans la forêt, sans nouvelle de ses parents. Sa rancoeur est grande :’’ Ce barbare, ce chacal, je n’oublierai jamais comment il m’a giflée, m’a bandé les yeux avant de me terrasser…’’
Simiré rêvait de réussites. Elle était en troisième année scientifique, quand la guerre a éclaté de nouveau, obstruant du coup son horizon. Simiré s’enfuira encore et…se retrouvera à Bukavu, à quelque 120 kilomètres de Goma.
L’histoire de Simiré est à rattacher à celles de beaucoup d’autres que nous avions rencontrées. Des femmes qui, meurtries dans leurs corps et leurs âmes se sont confiées pour que plus jamais cela n’arrive à d’autres. Ecoutons-les.
Kiabinda Mazambi, 28 ans de Shabunda : ‘’Aux environs de 21 heures, le 16 mai 2002, deux hommes armés de machettes et un troisième de fusil, des miliciens du groupe Kashego, m’ont ligotée et couché violemment avec moi. Ils ont pillé systématiquement tous mes biens et ceux de ma famille. Puis ils ont disparu et m’ont abandonnée sur l’herbe. Alors, prise de peur panique, j’ai fui avec mes deux enfants.
‘’Mwamuna Wema, 38 ans : ‘’Ils m’ont violée et obligée de cuisiner pour eux pendant des semaines et à transporter leurs bagages…’’
Bahati Munyaga, 22 ans : ‘’ Ils sont venus, ils nous ont enfermées et ont tenu à passer sur nous…Puis, ils nous ont battues… ‘’
Goretti Zagabé, 18 ans : ‘’…Je suis tombée de fatigue. Les rebelles m’ont attachée mains et pieds. Et tour à tour, ils ont défilé sur moi. Ils étaient au nombre de dix, vingt, je ne sais plus……Ils m’ont laissée baignant dans le sang…En tous cas, c’était un groupe de 28 hommes armés…’’
Ce que la plupart, par pudeur ne disent pas, ce sont les nombreux traumatismes dont elles ont été victimes. Le docteur Denis Mukwege, directeur de l’Hôpital de Panzi à Bukavu, qui a reçu d’avril à Juin 2003, plus de 800 cas de filles et femmes violées pour des soins chirurgicaux, précise que ‘’ ces femmes et filles sont exclues, rejetées par leurs familles et leurs communautés. Elles présentent hélas souvent des cas de fistules recto-vaginales, ou digestives, bien souvent…’’
Elles sont traitées à Panzi par le médecin Denis Mukwégué et son équipe, en partie grâce aux instruments et médicaments offerts par l’Unicef qui développe avec cet hôpital de référence, un partenariat qui permet aussi la prise en charge des enfants malnutris.
Stressées, frustrées et malheureuses, ces femmes témoignent de drames dont hélas, elles n’imaginent toujours pas toutes les conséquences. Pis, aujourd’hui, beaucoup les appellent : ‘’les femmes des rebelles’’, ‘’les filles des miliciens’’, une indexation qui aggrave leur crise morale et complique leur retour dans leurs familles et villages d’origine.
Heureusement que diverses ONG de base par leur technique de counselling redonnent vie et courage à ces victimes, prises parfois entre deux camps rebelles, entre deux feux et violées par les uns, accusées de traîtresses par les autres et reprises dans ce cercle infernal et vicieux.
Goretti, par exemple est allée jusqu’en Australie témoigner de ces moments de cruauté et de sauvagerie qu’elle a connus. Invitée par des organisations humanitaires, elle a dit haut et fort : ‘’Je n’ai plus honte de tout cela…Je veux simplement vivre une autre vie. Les gens disent que je n’aurai plus de mari car j’étais ‘’femme des rebelles’’. Mais, grâce aux conseils que j’ai reçus, je crois en moi et en mon avenir…’’
L’Unicef va intervenir en collaboration avec d’autres partenaires dans la prise en charge médicale et l’accompagnement psycho-social des filles et femmes victimes. Un processus intelligent de réinsertion sociale sera développé et des appuis économiques spécifiques seront accordés aux familles et communautés objets de pillages, d’incendies, de destructions des habitats ou des champs. Un plaidoyer pour une culture de paix soutiendra toutes ces actions, au-delà des stratégies d’écoute (assistance psychologique) et d’alerte (plaidoyer et prévention).
Quant à Simiré O, quinze ans à peine, elle découvrira après la disparition du rebelle qui l’avait violée…qu’elle était enceinte de celui qu’elle dit, ne même pas pouvoir reconnaître ! Elle en a longtemps pleuré. C’est au bord du désespoir qu’elle sera récupérée par le HCR, avant d’être transférée au Centre Don Bosco de Goma. Le 23 juin, elle enfantait à 15 ans d’un garçon. ‘’Ici, dit-elle, je mange bien, je suis bien encadrée, bien conseillée. L’on m’a dit que je ne peux voyager avant que l’enfant n’ait ses trois mois. Je veux refaire ma vie, reprendre mes études, mais comment…je dois d’abord m’occuper de cet enfant qui ne m’a rien fait et qui n’a pas demandé à naître…C’est vrai, je ne connais même pas son père, mais, après les conseils que j’ai reçus ici, je vais le garder…D’ailleurs, je l’ai déjà vacciné grâce à l’Unicef…’’.
Simiré a décidé de l’appeler ‘’Baraka’’. Un prénom empli de symboles et de valeurs spirituelles et sociales qui signifie ‘’bénédiction’’. Une façon pour elle de conjurer un passé douloureux qu’elle ne veut point que cet enfant incarne. Une imploration du ciel pour des jours meilleurs. Elle veut lui donner toutes ses chances dans la vie.
Justin MOREL Junior pour JMI
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