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GRANDE INTERVIEW JMI : avec Jean Paul Cédy, éducateur : «Ce qui est en jeu, ce n’est pas le bac qui est en cause, c’est notre école ! »

Jean Paul Cédy, professeur de Lettres, Directeur Général  des Cours Privés  Roland Pré et ancien  proviseur  du Lycée Sainte Marie, situé dans le quartier Lambanyi, commune de Ratoma, a accordé cette semaine une  interview  exclusive aux rédactions de justinmorel.info et aminata.com, en prélude à la rentrée scolaire 2018-2019.

Notre interlocuteur  s’est largement exprimé  sur certains sujets concernant   le système éducatif  guinéen. Il nous parle également des perspectives qu’il envisage pour son cabinet d’ingénierie de formation Academia Développement  et pour les cours privés ‘’ Roland Pré’’ …      

Justinmorel.info/aminata.com : Mr Cedy, bonjour ! Quel constat général, faites-vous sur notre système éducatif aujourd’hui ?

Jean Claude Cédy : Merci de m’offrir votre tribune pour m’exprimer sur un sujet qui me tient très a cœur : l’éducation ! Tout de go, je peux vous dire sans grands risques de me tromper qu’actuellement la production du système éducatif guinéen devient de plus en plus médiocre.

Justinmorel.info/aminata.com : Aujourd’hui, vous êtes l’un des fondateurs d’un nouvel établissement. Dites-nous en clair les raisons qui vous ont amené  à mettre en place  cette école dénommé ‘’Roland Pré’’  d’autant plus que nous savions que vous avez été le proviseur du Lycée Sainte Marie ?

Jean Claude Cédy : Il n’y a qu’une année que nous existons en tant qu’école secondaire, mais le cabinet d’ingénierie existe depuis un peu plus longtemps. Nous  essayons de trouver notre place dans cet espace extrêmement fourni des écoles privés. Mais ce qu’il faut savoir, c’est  que l’enseignement pour moi, c’est une tradition de famille. Ma mère particulièrement qui nous a éduqués,  était enseignante. Donc, enseigner à mon tour, devient une histoire de tradition familiale.

J’ai commencé ma carrière, à ma sortie  de l’école normale supérieure de Meknès, au royaume du Maroc, aux côtés de M. Tounkara Gandhi, très malheureusement décédé.  Il m’avait demandé à l’époque de l’assister au sein du lycée Sainte-Marie. C’était un grand frère pour qui j’avais beaucoup d’amitié et de respect. J’ai donc préféré travailler avec lui plutôt que de rejoindre la fonction publique, comme mes autres condisciples de l’ENS.

Cette aventure avec M. Tounkoura m’a fait voir tout l’intérêt et l’importance de la formation. Pas seulement de l’instruction, mais de l’éducation globale de l’enfant. Et cela aujourd’hui encore reste mon crédo ! Je suis convaincu qu’avec des gens bien éduqués, l’instruction passe toujours beaucoup plus facilement. Voilà comment, il y a eu toute l’aventure de Sainte-Marie, pendant 25 ans avec les excellents résultats que l’on connait.

Justinmorel.info/aminata.com : Et vous avez quand même quitté Sainte Marie !

Jean Claude Cédy : Oui ! Pour des raisons financières, J’ai quitté le système éducatif afin de subvenir aux besoins de formations de mes enfants qui entraient à l’université. Ce qui demandait assez d’argent. Donc, je me suis dirigé un peu vers le secteur privé où j’ai eu à côtoyer des entrepreneurs qui m’ont beaucoup  appris sur le monde  de l’entrepreneuriat et j’ai également pu constater la faiblesse des ressources aux ressources humaines  sur le terrain.  Lorsque j’ai pu mettre mes enfants dans de bonnes conditions d’études, avec l’aide très opportune de mon épouse, et  que j’ai reçu les rudiments  de l’entrepreneuriat, j’en suis revenu au constat que la meilleure manière  de m’exprimer et de m’épanouir, c’était de revenir sur ce que j’avais toujours fait  et que manifestement je faisais le mieux : l’enseignement. C’est la meilleure manière, pour moi,  de  contribuer aujourd’hui au développement du  pays. Je n’ai pas cherché à faire un lycée parce que je me suis rendu compte et d’ailleurs, ça commençait déjà au Lycée Sainte-Marie, que les élèves arrivant au lycée n’avaient plus le niveau requis pour les objectifs du lycée : la préparation aux études universitaires. Je me suis dit que le plus urgent  pour moi, c’était d’abord  d’ouvrir une école primaire pour bien marquer la base.

C’est ainsi que j’ai eu la chance d’avoir des partenaires qui sont aussi intéressés par l’éducation, et qui pensent qu’il faut mettre les élèves dans les meilleures conditions, pour  bien produire. Nous nous sommes  associés et nous avons mis en place le groupe privé « Roland Pré ». Nous ne nous occupons pour cette année que de la mise en place d’un primaire de qualité. J’appelle un primaire de qualité, un environnement de qualité, sain, propre et beau. J’appelle environnement de qualité, des enseignants propres, des enseignants distingués, des enseignants motivés et des parents qui en veulent et qui sont prêts à s’impliquer et évaluer leur école.

Justinmorel.info/ aminata.com : Quelles sont vos perspectives ?

Jean Claude Cédy: En terme de perspective, c’est vrai que l’objectif n’est pas de rester au niveau de l’école primaire, parce qu’en réalité l’entité qui a créé l’école primaire est un cabinet d’ingénierie de formation comme je vous l’ai dit. Nous commençons par ce primaire car, socialement, c’est le plus important, mais aussi nous envisageons très rapidement de mettre en place une vraie école de commerce, pour les besoins de nos secteurs tertiaires qui manquent aussi  énormément de personnel.

A côté de cela, nous nous voulons mettre  en place des centres de  formation technique pour adultes. Des personnes qui ont un certains âge déjà, qui ont été déscolarisés, pour qu’ils puissent apprendre un métier selon les normes et non à la routine comme cela se fait aujourd’hui.

C’est notre manière  de nous  occuper de ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir une bonne formation de base et de les remettre dans un cadre normatif de production. Il y a des secteurs qui se développent en Guinée comme celui des mines, de l’agriculture ou  on a de plus en plus besoin de mécaniciens capables d’entretenir le matériel rationnellement car, si le matériel n’est pas entretenu, il se casse et l’entreprise ne peut être rentable. Nous sommes en train de réfléchir au schéma, au modèle économique qui soit rentable pour cette école. Donc, le primaire va avancer doucement jusqu’au collège, où on estime qu’on aura donné une très bonne base aux enfants.  Ils pourront désormais aller dans n’importe quel système sans être handicapé.

Justinmorel.info/ aminata.com : Quels sont les défis à relever dans ce cadre ?

Jean Claude Cédy : Je n’ai que des défis à relever, parce que je dois reconnaitre que les coûts sont relativement élevés pour la majorité de la population, ce qui  pose problème éthique, car mon but, c’est d’atteindre le maximum de personnes. Mais également, si je veux satisfaire aux critères que je me suis moi-même imposé, à savoir, avoir un espace propre, bien entretenu  avec des enseignants heureux de travailler dans ce système-là, c’est le prix à payer ! Le défis pour moi,  c’est de maintenir cet environnement de qualité et pour parvenir à des résultats de qualité, avec les enseignants et des parents d’élèves impliqués et totalement investis dans le processus.

Justinmorel.info/aminata.com : Certains observateurs  pensent  que l’éducation guinéenne est malade, constatant que le  niveau des  jeunes qui sortent de nos universités privées et publiques est faible ?

Jean Claude Cédy : Vous savez l’éducation ou l’enseignement c’est un tout, quand ça ne va pas au primaire, ça n’ira pas au Lycée, encore moins à l’université ! C’est une évidence, c’est tout. Il ne faut pas voir le problème de  manière segmentée. Il faut aussi admettre  que l’instruction va  avec l’éducation. Ça veut dire que vous ne pouvez pas avoir d’excellents résultats, si vous ne vous occupez pas également de l’éducation des enfants en même temps.

Actuellement, ce qui se passe dans notre système éducatif, et ce n’est pas  un fait d’aujourd’hui, cela date de quelques années en arrière. L’enseignement en tant que métier a été dévalué, a été déprécié. Ce qui est très grave, c’est que l’image de l’enseignant, pour l’enseignant lui-même, est une image de médiocrité et  de pauvreté. L’enseignant lui-même de manière inconsciente, se minimise vis-à-vis d’un employé de banque, d’un magasinier ainsi de suite, parce qu’il estime qu’il n’a pas assez de ressources pour vivre dignement.

Ce  qui ne se justifie pas. Puisqu’aujourd’hui, un magasinier, un employé de banque ont pratiquement le même salaire qu’un enseignant. La différence se trouve dans le potentiel de  corruption et de  vol qu’il y a dans les autres secteurs d’activités. Je pense que les enseignants devraient être fiers de ne pas voler et de s’en sortir, plutôt que de regretter de ne pas pouvoir voler et se minimiser. Malheureusement c’est ce qui se passe.

L’Etat fait tout pour encourager ce dispositif, parce qu’il ne met aucun dispositif en place pour les enseignants afin de minimiser ce gap financier qu’il y a entre l’enseignant qui travaille dignement et tout autre qui est en train de se faire plein les poches, frauduleusement. Ce qu’il faut, ce sont des mesures d’accompagnement.

Il faut que les enseignants soient accompagnés, d’une part par la mise en place de mesure favorisant l’accès au logement, aux soins de santé de qualité, au transport etc.  C’est ça, améliorer les conditions de travail, ce n’est pas uniquement le pécule! D’autre part, par une lutte acharnée contre les détournements de deniers  publics, afin de réduire les disparités inexplicable de revenus entre un magasinier, un agent du trésor public, un agent des douanes et un enseignant. C’est aussi améliorer l’image de l’école. Une école propre, où  les bancs ne sont pas tout cassés ou branlants, sales. Une Ecole avec des toilettes et des terrains de jeux. Parce que lorsque les enfants et les parents voient une  l’école sale,  évidemment l’image des enseignants est dépréciée. C’est ça le problème !

En somme, tant que l’Etat ne va pas se remettre en question, montrer vraiment que l’éducation est une priorité, pas le dire politiquement mais le croire et le faire; on sera toujours dans cette situation. Et le  pire aujourd’hui, c’est que malheureusement, l’enseignement est en train d’être pris en otage par des opérateurs économiques qui n’ont pas ou très peu  d’objectifs pédagogiques. Mais surtout, rien que des objectifs économiques!

Justinmorel.info/ aminata.com : Que privilégiez-vous dans votre école en termes de  qualité d’enseignement et qui pourrait être différents de celle de certaines autres  écoles privées de la place ?

Jean Claude Cédy: Il n’y a pas de spécificité particulière, aux « Cours Privés  Roland Pré ». Nous sommes soumis au  programme guinéen tel qu’il est décliné par le ministère de l’enseignement. Nous sommes sous la tutelle du ministère de l’enseignement guinéen. Nous n’allons pas avoir la démarche commerciale de dire  que nous y  enseignons le programme franco-guinéen, ça n’existe pas! C’est un marketing qui est faux. On ne peut pas et ne doit  pas faire deux programmes en une année, sinon les élèves seront perdus et ne comprendront pas grand-chose finalement.

Nous faisons le programme guinéen. Mais nous essayons par contre de nous appesantir sur ce qu’on appelle les connaissances fondamentales, c’est-à-dire la langue et les calculs. Nous nous concentrons sur cet aspect-là. Et ce qui va faire la différence peut être avec d’autres écoles, c’est que nous donnons la même importance au cadre de vie des élèves qu’à leur instruction et  à leur éducation. Nous ne sous-estimerons pas que le cadre de vie, la relation avec les parents soit aléatoire. Nous ferons tout pour  que les enfants se sentent heureux d’être à l’école.

Justinmorel.info/ aminata.com : Votre avis sur les résultat du baccalauréat unique, qui selon certaines personnes, ont été  catastrophiques cette année ?

Jean Claude Cedy : Quand on dit catastrophique, je me dis par rapport à quoi? Si vous faites un petit historique des résultats du bac, on a souvent été dans ces pourcentages. Ce n’est pas extraordinaire, on a eu des hauts pourcentages à des moments  et on en doutait également. Maintenant, on a un petit pourcentage, on dit que c’est catastrophique, je pense qu’au-delà du fait que ce soit catastrophique ou pas, ce n’est pas ça le plus important. Le plus important, c’est le constat que tout le monde fait pour dire que même cet élève admis au bac ou au brevet, n’a pas un niveau satisfaisant. Pour moi, c’est ça qui est important.

Ce qui est en jeu, ce n’est pas le bac qui est en cause, c’est notre école.  L’objectif que je voudrais qu’on se fixe, c’est qu’un bachelier guinéen puisse intégrer n’importe quelle université en Afrique ou ailleurs sans difficultés. Que la seule difficulté soit peut être la différence de méthodologie de travail ou l’adaptation à l’environnement. Mais malheureusement, ce n’est pas le cas. Je dois reconnaitre qu’il y a quelques années nos élèves réussissaient très bien dans les matières scientifiques, mais peinaient un peu plus en ce qui concerne les sciences humaines. Aujourd’hui dans les deux cas, nous peinons.

Ils sont du mal pour la plupart à intégrer le système universitaire.  Ils ne savent pas prendre note et ça ce n’est pas eux. Ce sont leurs écoles et leurs  éducateurs !

La priorité dans le dispositif de l’éducation nationale aujourd’hui, c’est la formation des maitres et l’amélioration de leurs conditions de vie. Ensuite, c’est la formation des responsables d’école. Et je suis persuadé que l’on peut y arriver avec un peu de conviction et d’intelligence !

Interview réalisée par Léon Kolié pour justinmorel.info et Ibrahima S. Barry pour aminata.com

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