Home Actu COGITO : la raison du plus fort  est-elle toujours la meilleure ?

COGITO : la raison du plus fort  est-elle toujours la meilleure ?

Analyse des termes du sujet

Dans l’affirmation proverbiale « la raison du plus fort est toujours la meilleure », le mot raison aurait pu se mettre au pluriel : les raisons. Ce sont les arguments, les justifications invoquées pour se donner raison, c’est-à-dire se donner l’avantage moral sur son adversaire.

Il ne s’agit pas ici de la raison comme faculté, comme dans la définition  » l’être humain est un être doué de Raison « . Cependant, seul un être doué de Raison (la faculté) peut avancer des raisons (produites par la Raison) pour se justifier.

La raison est souvent opposée à la force. Le plus fort, c’est le plus puissant, quelle que soit la source de sa puissance : la force physique, la richesse, le prestige, le rang social. Celui qui est le plus fort a les moyens de s’imposer, mais est-il pour autant justifié de le faire ?
Les raisons que l’on se donne d’agir de telle ou telle façon peuvent être bonnes ou mauvaises. La meilleure raison (superlatif) est celle qui l’emporte sur toutes les autres.
Mais qu’est-ce qu’une bonne raison ? Il y a plusieurs interprétations possibles :

  1. Une raison qui suffit à donner l’avantage à celui qui l’invoque.
  2. Une raison que l’on ne peut pas rationnellement rejeter parce qu’elle est vraie dans l’ordre de la connaissance (raison théorique)
  3. Ou une raison que l’on ne peut pas raisonnablement rejeter parce qu’elle est juste dans l’ordre de la morale (raison pratique).
Dire que la raison du plus fort est toujours la meilleure (sans exception), c’est dire que le plus fort a raison de (c’est-à-dire domine) son adversaire quelles que soient ses raisons. Mais cela lui donne-t-il raison pour autant ?

« La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Cette affirmation est la morale de la fable de La Fontaine Le Loup et l’agneau. Le loup (le fort) justifie sa prétention à manger l’agneau (le faible) par des « raisons  » dont l’agneau montre successivement l’absurdité. Cela n’empêche pas le loup de finalement manger l’agneau. Mais avait-il raison de le faire ?

en fait/en droit

Ce qui est insupportable, ce n’est pas tant que le loup mange l’agneau sous le règne naturel de la « loi de la jungle », mais que le loup de la fable veuille de surcroît avoir le droit de le faire.


Problématique

Le travail de réflexion sur la formulation de la question permet d’identifier différents problèmes qu’il faudra soulever pour traiter tout le sujet et rien que le sujet.

Pour bien cerner le sujet, il est souvent intéressant de dramatiser la question, c’est-à-dire de la mettre en situation. Pour cela, vous pouviez reprendre la fable de La Fontaine « Le loup et l’agneau« , ou imaginer un autre exemple.

Ici commence le travail de problématisation.

Quel besoin le loup a-t-il de se justifier par des raisons ?

Qu’est-ce que cela nous apprend sur l’homme ? (Les personnages de la fable sont des animaux, mais ils représentent des êtres humains.) La difficulté est d’éviter les réponses superficielles du genre « le loup est méchant » !

L’homme est un animal raisonnable : il raisonne. Les actions humaines n’ont pas seulement des causes naturelles, elles ont aussi des motifs rationnels. Justifier une action par des raisons, c’est montrer que tout être raisonnable capable de comprendre ces raisons aurait agi de la même façon. Les raisons, si elles sont bonnes, c’est-à-dire vraies ou justes, entraînent l’adhésion, l’accord des volontés.

Mais les raisons, si bonnes soient-elles, n’ont-elles pas besoin de la force pour s’imposer ?

Cf. le réalisme politique de Machiavel : la raison du plus faible n’est jamais assez bonne puisqu’elle ne suffit pas pour s’imposer.

Le plus fort, au contraire, quelles que soient ses raisons, n’a-t-il pas toujours raison de son adversaire ? En ce sens, il a toujours raison (au sens 1) : il gagne toujours. « Puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte qu’on soit le plus fort. »(Rousseau, Du contrat social, l. I, ch. III, « Du droit du plus fort »)

La raison du plus fort serait donc toujours la meilleure, puisqu’elle réussit toujours à s’imposer.

Cependant, si, finalement, seule la force du loup décide du sort de l’agneau, la raison n’ajoute rien à la force et c’est la  » loi du plus fort  » qui prévaut.

Peut-on dire alors que c’est la raison du plus fort qui est la meilleure ? La force n’est pas une raison, c’est une simple cause. Donc la raison du plus fort n’est jamais la meilleure parce que ce n’est pas une raison. Ainsi, dit Rousseau : « Si on obéit par force, on n’a pas besoin d’obéir par devoir ». La soumission obtenue par la force est fondée sur la peur et non sur la raison.

Lectures pour approfondir

Maryvonne Longeart

Source: https://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie