Selon le Programme Alimentaire Mondiale, 250.000 enfants vont mourir si une aide alimentaire ne leur est pas apportée d’urgence.
Premier ministre honoraire de la RDC, je me joins à l’appel d’urgence des églises catholiques et protestantes du Congo lancé à la communauté internationale pour une conférence internationale des donateurs pour le Kasaï. Une opération humanitaire au Kasaï s’impose pour mettre fin à une situation humaine tragique. Il faut dépasser la question des élections, et arrêter de voir le Congo à travers ses richesses minières. Les violences, l’insécurité et les massacres aveugles qui terrorisent la population appellent à une remise en question totale de l’action internationale au Congo. Les droits humains élémentaires sont piétinés à grande échelle. Les actes terroristes commis en 2017 contre les enquêteurs de l’ONU et les casques bleus ne doivent pas nous décourager. Au contraire, car les valeurs fondatrices de la Charte des Nations Unies sont mises en question sur le sol du Kasaï. Pour les rétablir, une action humanitaire d’urgence s’impose pour apporter au moins une aide alimentaire et médicale. Parce que les moyens manquent cruellement pour une crise négligée jusqu’à maintenant, il faut une conférence internationale des donateurs. Le Congo est la deuxième population d’Afrique avec près de cent millions d’habitants. L’agenda 2030 des Nations Unies ne sera jamais atteint sans des progrès humains importants au Congo. Et cela se joue aujourd’hui au Kasaï.
Selon le Programme Alimentaire Mondiale, 250.000 enfants vont mourir si une aide alimentaire ne leur est pas apportée d’urgence. La déclaration commune des églises catholiques et protestantes du Congo, faite le 10 décembre à Kinshasa, journée internationale des droits de l’Homme, doivent alerter la communauté internationale. Grâce à elles et à leur réseau sur le terrain, une action d’urgence est réalisable si les financements sont là. Près de 10 milliards de dollars de cuivre et de cobalt sont extraits chaque année dans le pays avant d’être exportés. Selon Global Witness, 6% seulement de la valeur totale des exportations minières est versé au budget de l’État. Mais comment expliquer aux congolais du Kasaï que la communauté internationale ne peut pas réunir les 812 millions du plan d’action humanitaire 2017 pour la RDC ?
Depuis le début de l’année 2017, le nombre de personnes déplacés par les violences au Congo a doublé, passant de deux à quatre millions, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies. Au Kasaï, au Kivu, au Tanganyika, la population congolaise a d’abord besoin d’une aide humanitaire d’urgence, alimentaire et médicale, mais aussi de post-urgence, pour stabiliser en particulier le Kasaï et le Kivu. La gravité de la situation actuelle, la détresse de millions de femmes et enfants, appelle à une conférence internationale des donateurs pour mobiliser les moyens financiers et apporter une aide alimentaire et médicale d’urgence aux populations.
Un an après l’explosion des violences au Kasaï, alors que les violences ont tendance à s’atténuer, la population est passée de l’extrême pauvreté à l’extrême urgence humanitaire, en niveau 3. Alors que certains qui avaient fui rentrent progressivement, c’est le moment de lancer une opération humanitaire d’envergure, que l’Etat Congolais, trop fragile et frappé par une sévère crise économique, n’a pas les moyens de financer. Il est temps de faire appel à la solidarité mondiale et la générosité de la communauté internationale pour mobiliser une aide à la hauteur de l’urgence humanitaire au Congo et venir au secours d’une population en détresse absolue.
L’intensité des violences et le drame humanitaire qui frappe la population congolaise est d’une ampleur unique sur notre planète. Sur l’ensemble du pays, on compte 4 millions de déplacés. Au Kasaï, plus d’1,4 million. Au Kivu, 957.000 selon le bureau des affaires humanitaires de l’ONU. Les violences et la crise humanitaire au Kasaï frappent tout particulièrement les femmes et les enfants, dont plus d’un million sont directement exposés à la famine. Or, selon Médecins Sans Frontières, « la crise du Kasaï a été complètement négligée ». Seuls 151 des 812 millions de dollars du plan humanitaire pour le pays ont été financés.
Situé au centre du pays, remplie de diamants dans son sous-sol, en sévère déficit d’infrastructures, frappé par une violence barbare pendant une année, sans que l’on comprenne très bien les sources de cette violence, le Kasaï nécessite une forte expertise des situations de crise et d’urgence humanitaire. La population a un besoin immédiat d’aide alimentaire pour échapper à la famine. Elle a aussi besoin d’une aide médicale d’urgence pour soigner les victimes des violences et des maladies. En plus des blessures, le choléra se propage dans vingt des vint six provinces du pays. Le Congo a la chance d’avoir sur son territoire le réseau immense des églises, ainsi la Monusco, qui peut jouer un rôle crucial dans le déploiement d’une aide humanitaire d’urgence, avec un effectif de près de vingt mille personnes et des moyens matériels importants.
Au-delà de l’aide d’urgence, il faut en même temps préparer la phase post-urgence. On sait combien les opérations de « cash for work » peuvent permettre à une population de retrouver dignité et moyens de subsistance, tout en améliorant par exemple les routes de dessertes locales qui sont cruciales à un redémarrage de l’agriculture. C’est aussi le meilleur moyen d’éviter la tentation des armes à une jeunesse sans emploi, vivant dans l’extrême pauvreté.
Alors que 77 personnes par minute sortent de l’extrême pauvreté en Asie, 3,6 personnes y tombent chaque minute en RDC. Atteindre les objectifs de développement durable est un objectif particulièrement ambitieux en Afrique centrale dont la RDC est le plus grand pays, avec une population qui devrait atteindre 120 millions en 2030. Pourtant, les conflits et les violences dans les différentes régions de la RDC mettent au point mort le progrès vers la réalisation de l’agenda 2030 des Nations Unies. Comment atteindre les objectifs de développement durable en Afrique s’ils ne sont pas atteints en RDC ? Comment associer à la lutte contre le changement climatique des populations qui n’ont rien à manger, ni travail, ni toit pour dormir après avoir subi des attaques qui ont ravagé leur village ?
Pour toutes ces raisons, en tant qu’ex-premier ministre, citoyen et élu de mon pays, j’appelle la communauté internationale, en appui de l’appel des églises, à une conférence des donateurs pour le Kasaï. Je sais que les congolaises et les congolais ne sont pas les seuls au monde à vivre une grave crise humanitaire. Mais aucun pays sans guerre ne compte autant de personnes déplacées. Je sais que les capacités d’intervention et de solidarité mondiale permettent de venir rapidement au secours d’une population, qui, déjà piégée dans l’extrême pauvreté, a été frappée par des violences atroces qui les l’empêche de subvenir à ses besoins primaires. Avec l’immense réseau des églises catholiques et protestantes du Congo, et avec la Monusco, nous pouvons agir vite. Et nous devons agir vite. Au 21ème siècle, la communauté internationale sait se mobiliser pour venir au secours de population en détresse. Cet appel à l’urgence humanitaire pour une conférence internationale des donateurs pour le Kasaï lui est adressé.
Source: APO Group pour Samy Badibanga, l’ex-Premier Ministre du Congo