Il y a trente ans, Thomas Sankara, le leader de la révolution burkinabè était assassiné. En cette semaine anniversaire de la disparition de ce révolutionnaire, qui rêvait d’une certaine Afrique, nous publions ci-après des extraits du livre ‘’ Il s’appelait Sankara Chronique d’une mort violente ‘’ de Sennen Andriamirado, publié aux éditions Jeune Afrique Livres. L’auteur de cet ouvrage était un proche ami du capitaine Sankara. Il explique avec force détails le contexte et les circonstances de l’assassinat du président du Faso. Histoire de rafraîchir la mémoire de tous ceux qui défendent la thèse d’un accident ayant causé la mort de Sankara.
Nous sommes le jeudi 15 octobre 1987, l’auteur relate l’emploi du temps du président Sankara (ndlr). « …Ce jeudi 15 octobre 1987 à 16 heures, Sankara doit présider l’une des trois réunions hebdomadaires de son cabinet spécial. A l’ordre du jour : le compte rendu de l’un de ses conseillers qui rentre de Cotonou où il a eu des entretiens avec les responsables du Parti révolutionnaire du peuple du Bénin et rassemblé des documents sur le « Code béninois de conduite révolutionnaire ». Retardé à sa résidence par un de ses conseillers, Sankara s’embarque à 16h20 dans une Peugeot 205 pour le Conseil de l’Entente.
Le président comme d’habitude, a pris place à côté du chauffeur : « j’aime bien voir la route, se croit-il souvent obligé d’expliquer, et de derrière on ne voit rien. » Sur le siège arrière, deux gardes du corps plus le chauffeur, un militaire lui aussi. Tous sont en tenue de sport, ce jeudi après-midi : deux fois par semaine, en effet, le lundi et le jeudi à partir de 17 heures, les Burkinabè sont censés pratiquer le sport de masse. Le président du Faso et se gardes ne sont donc armés que de leur pistolet automatique (PA).
Au Conseil de l’Entente, les membres du cabinet spécial sont également en tenue de sport, à l’exception de Patrice Zagré, venu en « pékin ». A 16 heures 30, le président arrive. Il débarque de la 205, suivi par quatre de ses gardes qui s’installent dans le couloir attenant à la salle de réunion. Les chauffeurs rangent les deux voitures sous un préau voisin et vont s’abriter du soleil à l’ombre des grands arbres, notamment des nims, qui bordent les jardins.
A 16 heures 35, le président prend place au bout de la table de réunion en forme de U. L’adjudant Christophe Saba, Paulin Bamouni et Frédéric Kiemdé se sont installés à sa droite. A sa gauche, se trouvent Patrice Zagré, Bonaventure Compaoré et Alouna Traoré. Thomas Sankara, toujours en retard mais toujours pressé, ouvre la séance de travail : « Faisons vite, commençons ! »
Alouna Traoré, celui qui la veille, était parti en mission d’information à Cotonou, commence son rapport : « J’ai quitté Ouaga avant-hier à 18heures… » Et il s’interrompt, la voix soudain couverte par le bruit du tuyau d’échappement, sans doute percé, d’une voiture qui s’approche. Etonné et agacé, Sankara demande : « Quel est ce bruit-là ? », bientôt imité par Saba qui fronce les sourcils : « C’est quoi çà même ? » Le bruit s’amplifie. Une voiture –« une Peugeot 504 ou une Toyota bâchée », hésitera à préciser le seul témoin direct rescapé – s’est arrêtée devant le portail de la villa. Et immédiatement, le bruit du moteur a été couvert par le vacarme de rafales de Kalachnikov.
Les sept hommes réunis dans la salle s’aplatissent au sol, se protégeant derrière les fauteuils. Parmi eux, seul à être armé puisque ses gardes sont restés soit dans le couloir, soit dans le jardin, Sankara se saisit de son PA qu’il avait déposé sur la table, à portée de main. Du dehors, quelqu’un crie : « Sortez ! Sortez ! » Sankara se relève, pousse un grand soupir et ordonne à ses conseillers : « Restez ! Restez ! C’est moi qu’ils veulent ! » Puis il quitte la salle de réunion, les bras en l’air.
« Il a à peine franchi la porte de la villa, témoigne Alouna Traoré, qu’il est littéralement canardé. Les assaillants étaient venus pour tuer ! » Les gardes qui veillaient dans le couloir, ceux qui, comme les deux chauffeurs, étaient restés dehors, ainsi qu’un motard de la gendarmerie, Soré Patenema, venu par hasard apporter du courrier au siège du CNR (Conseil National de la Révolution, ndlr), ont déjà été abattus par les premières rafales… »
Ces lignes qui se passent de commentaires, démontrent avec éloquence, que l’assassinat de Sankara constituait une opération bien planifiée et exécutée de sang-froid. Il revient désormais à la justice de démêler les fils de cet écheveau pour en démasquer les commanditaires. D’ailleurs, relancée début 2015 par le régime de transition après la chute de Blaise Compaoré, l’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara est menée par le juge d’instruction militaire François Yaméogo.
Parmi les dix-sept personnes qu’il a inculpées, six sont en détention préventive, dont Gilbert Djendéré, ex chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré. Deux autres inculpés, accusés d’avoir joué un rôle majeur dans cette affaire, échappent toujours à la justice burkinabè et font l’objet d’un mandat d’arrêt international : Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando.
Exilé à Abidjan, le premier ne devrait pas faire face au juge Yaméogo de sitôt, les autorités ivoiriennes semblant peu enclines à l’extrader. Le second, ex-chef de la sécurité rapprochée de Compaoré et meneur du commando qui a assassiné Sankara, a été convoqué par le juge le 22 juin 2015…Mais l’ancien député ne s’est jamais présenté au tribunal militaire : il aurait fui le pays sans laisser de trace et serait lui aussi, selon des sources digne de foi, réfugié en Côte d’Ivoire.
Quoi qu’il en soit, le temps n’est plus long où le défunt Sankara prendra sa revanche posthume, lorsque les commanditaires et exécutants de cet assassinat répondront de leur forfaiture à la justice.
Thierno Saïdou DIAKITE pour JMI
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