Un baobab de l’intelligentsia guinéenne est tombé
Le temoignage de jmj écrit en avril 2001
ZAS ! Zainoul Abidine Sanoussi, je le connais depuis une éternité. Je l’ai rencontré pour la première fois dans les années 60, alors qu’étudiant, il vivait dans la famille Turpin au quartier Almamya, que je fréquentais aussi à cause de Nico, mon ami d’enfance.
Les Turpin, une famille d’origine bissao-guinéenne, où le charismatique leader Amilcar Cabral venait régulièrement voir son compagnon de lutte de première heure, M. Richard Turpin dit Böbö, le père de mon ami.
Zainoul, avait été surnommé affectueusement Bapou, pour sa tête que l’on trouvait un peu grosse, mais que lui disait, bien pleine. Avec Pablo, Salva et Helmut…il formait un quatuor de feu. Des jeunes intelligents, frimeurs et même flambeurs à leurs heures de gloire. Bref des adolescents, moulés dans le creuset d’une éducation révolutionnaire qui faisaient et refaisaient le monde toutes les nuits, au rythme de leur réthorique cuisinée à la sauce du matérialisme dialectique, où les héros avaient pour noms: Hegel, Marx, Engels, Lénine, Che, Fidel, et j’en oublie encore …
J’ai donc connu Zas avant même sa vie d’homme politique. Je l’ai connu étudiant brillant et sûr de lui, professeur exigeant et percutant, ami fidèle et perfectionniste…
Zas était un amoureux du beau, du vrai, de l’original. Homme de toutes les passions, il savait se battre pour ses idées, pour ses amis et combattre ses adversaires avec un panache dévastateur. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, tout le monde reconnaissait en lui un homme compétent, communicateur et qui était resté, malgré toutes les situations administratives et promotions qu’il avait connues, l’éternel enseignant, toujours soucieux du détail. Il était un homme entier, à prendre ou à laisser…
Historien de formation, Zas cultivait le sens de l’analyse. Avec sa mémoire d’éléphant, il était capable de confondre plus d’un, sur le terrain de la logique méthodique et scientifique. Sur ce plan, il fut souvent incompris dans ses réactions. Ses colères étaient légendaires, mais toujours passagères. Ses cris n’étaient pas des cris, il avait simplement, la voix haut perchée, la déformation de l’enseignant qui doit se faire entendre jusqu’au fond de la salle. Sa mère qu’il adorait, disait toujours de lui :’’ Bapou aime crier, mais il n’est point méchant…’’. Il avait surtout la répartie facile et la culture de la compagnie avec cette amicale tentation à toujours jouer au ’’grand frère’’, au ‘’patriarche éclairé’’.
Communicateur de talent, il aura vécu certainement les plus beaux moments de sa vie quand il fut ministre de la Communication. Là, il n’hésita point, il innova en s’entourant de cadres sémillants et compétents, aimant le travail collégial. Et lui, en chef d’équipe averti, initiera la première révolution de la presse guinéenne, ouverte au jeu libéral et à la démocratie. Il va impliquer tous les médias (radio, télé, journaux) dans un vaste mouvement de créativité et de liberté responsables.
Sous son impulsion personnelle, tous les médias publics feront plus que leur toilette. Ils vont changer pour s’adapter à la Guinée nouvelle. Avec, en prime, une recherche constante de la spécificité nationale. Il fera la chasse aux médiocres, bonifiera les créateurs. Il inventera le Feskora, les semaines artistiques et culturelles, la nuit des Oscars, les semaines de l’Unesco, les Concours nationaux de la percussion, la nuit des Etoiles; il célébrera les artistes, invitera Aragon, Kassav, Tshala Mwana, Mpongo Love, José Missamou; fêtera les 10 de la Télé nationale avec éclat et encouragera la création de grandes émissions de débats politiques : Causerie Libre avec le Chef de l’Etat, entouré de ses ministres, une première mondiale… Point d’Interrogation… Des programmes qui ne survivront pas à son départ.
C’était aussi un fana des gadgets électroniques (téléphones, ordinateurs, cameras, tv, etc.), il avait un plaisir amical, connaissant aussi ma passion, dans le domaine, à frimer devant moi, quand il avait du nouveau. Il m’appelait pour partager la nouveauté, en admirer les performances, et très souvent pour m’en offrir…
Zas et moi, Il avait pour moi une fraternelle admiration et un respect intellectuel que j’ai toujours voulu garder intacts, malgré les vicissitudes du temps, malgré les charges de ses diverses fonctions.
Il savait que j’avais le courage de mes idées et adorait discuter avec moi, travailler avec moi. Il me rendait souvent visite pour échanger ou recueillir mon modeste avis. C’est pour ces raisons, je crois, qu’il n’a jamais hésité à me donner l’opportunité de m’accomplir professionnellement. Je lui en garde une reconnaissance éternelle.
Parrain de mon mariage, il fut pour mon épouse Marguerite , nos quatre enfants et moi-même, un attachant conseiller dans les moments difficiles, au carrefour de nos destins croisés.
Zas malade. Chacun de ses amis et de ses proches a vécu dans sa chair cette lente agonie, cette inexorable descente vers la mort. Chacun a vécu, presque en direct, le combat d’un homme qui aimait la vie et qui voulait vivre pour servir longtemps encore son pays.
Depuis deux ans, tout le monde le voyait fondre à l’écran dans les reportages sur ses activités ministérielles. Mais Zas, n’était pas de la race des hommes qui abandonnent le combat face à la mort.
En février dernier, je lui rendais visite dans la chambre 260 de l’ Hopital Américain, à Paris. Malgré son mal apparent, à ma vue, il a crié son bonheur avec une voix de stentor. J’étais aussi heureux de retrouver là, son ami de toujours, Souleymane Baldé, avec lequel il avait longtemps enseigné dans les universités guinéennes, à Kankan et à Conakry.
Pour la petite histoire, ils avaient longtemps partagé la joie de posséder une 504 Peugeot, au début des années 80, dans les périodes difficiles de leur jeunesse. Cette voiture, ils l’avaient surnommée : ‘’la mandarine’’, à cause de sa couleur visible et peut-être des senteurs de son intérieur. Zainoul avait soutenu une brillante thèse sur l’ethnie minoritaire des Nalous de Boké, préfecture dont lui même était originaire. Né il ya près de 58 ans.
Zas, homme de famille, était marié à Geneviève Millimono dont il avait eu quatre enfants. Deux garçons (You et Che) , deux filles (Helène et Raissa). Ils pleurent aujourd’hui un père dont ils peuvent être fiers, car peu de guinéens peuvent se targuer d’avoir eu une vie aussi bien remplie, un parcours aussi flamboyant dans la durée : universitaire, plusieurs fois ministre (éducation, jeunesse, information, culture, tourisme, intérieur-décentralisation, affaires étrangères), délégué à l’Unesco, diplomate aux Nations unies et au Japon, conseiller du chef de l’Etat.
Mais le titre dont il était le plus fier lui-même, a toujours été, celui de professeur… Dites, Professeur Zas, et il était aux anges…avant même ce jour fatidique du 25 avril, qui nous arrache cet autre baobab de l’intelligentsia guinéenne.
Le dimanche 22 avril 2001, je suis venu voir Zas, au Centre International Médical de Conakry, à son chevet, Dr Richard Turpin, homonyme de son ancien tuteur, spécialement dépêché de Paris, pour l’assister durant son voyage retour de la France. Il le massait patiemment, quand, exceptionnellement, j’ai été admis dans la salle de soins intensifs. Le médecin lui annonça alors :’’ Bapou, Bapou, c’est JMJ…’’.
Zas murmura à peine et referma les paupières. Je ne pus retenir mes larmes. J’avais compris. Je me suis retiré pour rejoindre bouleversé à jamais, le grand cercle des amis qui attendaient dehors et qui n’avaient pu accéder à lui. Car Zas, c’était ça son fort : des amis partout et beaucoup d’amis. Des ennemis aussi, peut-être, nés dans le tumulte de la vie, des contradictions politiques, des frustations occasionnelles et des rancoeurs accumulées. Des rivalités humaines, tout simplement. C’est la vie. Aucun destin ne s’accomplit sans incompréhension.
Zas était un être fidèle et la présence d’un Turpin achevait de me convaincre. La boucle était bouclée. ‘’Aboré, Punto Final’’, comme il le disait lui-même.
Croyant, Zas le fut en tous cas. Sa foi, il la pratiquait avec réalisme et son credo, il le clamait toujours :’’ Il n’y a de Dieu que Dieu! Et quand, au cours de discussions, il arrivait à son interlocuteur de dire ‘’’Dieu est grand’’, Zas répliquait toujours : ‘’ Dieu n’est pas grand, Il est la grandeur !
Il rejoint le Seigneur dans sa grandeur; Fasse Dieu qu’il partage les splendeurs du ciel dans un repos éternel. Amen.
Justin MOREL Junior
Conakry, 25 avril 2001
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