Monsieur le Président,
Je vous félicite tout d’abord de votre élection. J’ai été heureux de vous voir occuper ce poste, même si ensuite, j’ai dû prendre des distances quand j’ai suivi votre première conférence de presse conjointe avec le président français François Hollande…
Oui Monsieur le Président Patrice Talon, face au président de la République française, quoiqu’un peu gêné parfois par certains de vos propos, vous avez dit :
« (…) J’ai l’ambition, et j’aime bien le dire haut et fort : au terme de cinq années de faire le miracle. De réaliser cette magie. Et nous voulons pouvoir compter sur vous pour nous accorder, nous apporter de la compétence tout de suite parce que le Bénin aujourd’hui est comme un désert de compétence. (…) », « (…) Notre administration aujourd’hui manque de compétence de manière « créa », en cela nous voulons pouvoir compter sur la coopération française pour nous appuyer, pour nous donner les moyens d’acheter, de payer, de rémunérer la compétence quel que soit le prix. Malheureusement, il est difficile d’avoir la compétence gratuitement, c’est pour cela qu’à l’issue de ce terme, nous voulons avoir les moyens de payer (…) ».
Monsieur le Président Patrice Talon, le Bénin n’est pas un département français, la France n’est pas l’employeur du Bénin, dans tous les cas, pas officiellement, et il est indécent, voire irrespectueux, pour son peuple de tenir ce genre de propos, d’utiliser ces mots, ce vocabulaire-là…
« Les mots ont un sens et des fois plusieurs sens », me disait mon père, affalé dans son fauteuil en cuir, lorsque parfois j’employais des formes linguistiques ambiguës.
Monsieur le Président, je vous interpelle par cette lettre ouverte, parce que je suis de plus en plus inquiet pour les cultures premières du Bénin, lorsque je visionne certaines de vos interventions, reprises par divers médias… Vous avez dit, l’air fier et avec le ton qui est le vôtre :
« (…) Le Bénin vendra au monde entier son patrimoine culturel vaudou. » ; «(…) nous allons commercialiser nos valeurs culturelles (…) » ; « (…) le passé, quelle que soit sa douleur, quelles que soient les souffrances qu’il a pu générer à nos aïeuls, peut devenir un patrimoine commercialisable (…) », etc.
Monsieur le Président Patrice Talon, c’est indécent ! La culture ne se vend pas, ça se transmet, ça se partage, mais ça ne se vend pas ! Non, non, non, et non, ce n’est pas possible, ça ne se vend pas ! Le fait d’instaurer systématiquement la notion de commerce dans la culture nous amène de plus en plus vers la perversion et la disparition des cultures animistes… de plus, le tourisme met en avant la culture et jamais le contraire !
Il y a de cela quelques années maintenant, après avoir assisté au festival du vaudou à Ouidah, j’interpellais déjà sur le fait qu’il n’y avait rien de vaudou dans ce festival et que ce festival aurait pu se faire dans n’importe quelle grande ville européenne sans qu’il y ait de différence majeure. J’étais choqué par le folklore que ces gens offraient à ce public de touristes, tout en leur faisant croire que c’était de la mystique ancienne. Je me posais les questions : à qui la faute ? Aux échecs successifs des gouvernants ? Aux touristes ? Quel avenir pour les cultures anciennes ?!, etc. Vos déclarations successives ne vont pas en m’apaisant…
Je suis tout de même étonné que dans ce très beau pays, qui est le vôtre, personne n’ait osé vous le dire et que certains préfèrent garder le silence même s’ils sont choqués. Ont-ils peur de leur poste ? Pour leur sécurité ? Espère-t-il un poste ? Ont-ils besoin de votre sympathie ? Je ne sais pas, je ne sais rien, mais je pense que les mots ont au moins un sens… Peut-être que je m’exprime aujourd’hui parce que je n’attends rien de vous ou de votre gouvernement ? J’ose sûrement m’exprimer ainsi parce que je ne vis pas au Bénin et que si j’y habitais je ne l’aurais pas fait ? Écrire cette lettre ne serait-il pas tout simplement parce que je sais que votre envie de bien faire est vraiment sincère ? Je pense écrire ceci parce que j’aime beaucoup les cultures animistes…
Je suis heureux qu’au Bénin, le tourisme et la culture soient unis et ont comme chef Ange N’koué, l’un des rares ministres à ce poste qui maîtrise vraiment son sujet.
Vous le savez peut-être, ou peut-être pas, je suis très attaché aux questions de culture en Afrique.
Pendant longtemps, j’ai milité de toutes mes forces, je me suis plusieurs fois exprimé dans la presse et autres, sur le fait que je ne comprenais pas pourquoi en Afrique bon nombre de pays séparent systématiquement le ministère de la Culture de celui du tourisme. Oui, Monsieur le Président, j’ai longtemps alerté là-dessus. Ce n’est pas une mince affaire. Il est infructueux de penser qu’en faisant cela, la culture serait mieux promue et le tourisme mieux développé. Non, ce n’est pas possible. Ça crée plutôt un vaste désordre. On ne sait plus qui fait quoi ! Qui doit faire quoi ! Qui devrait faire quoi ! Et en attendant, rien ne se fait. Rien ne se fait comme il se doit ! Et c’est normal, car dès la nomination de ces deux personnes à la tête de ces deux ministères, ils sont condamnés à l’échec. Heureux que le bénin se soit démarqué de cette pratique.
Avec mes respectueux hommages, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.
Michel Tagne Foko.
Militant des droits de l’homme
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