Actuellement en séjour à Kankan, je constate avec colère, l’ensablement du fleuve Niger ici aussi comme au Mali. Pour faire prendre conscience des dangers liés relatifs à cette situation, JMI publie une étude de cas faite au Mali par l’IRD. Un dossier instructif.

Ci-dessous le Fleuve Niger vu de Djelibakoro. Guinee

L’équilibre du fleuve Niger perturbé par les « pêcheurs de sable »

Le port sablier de Kalaban Koro : L’extraction, le transport et le stockage de sable et de gravier extraits du lit du fleuve Niger emploient plus de 15 000 personnes dans la région de Bamako.

Les médias, comme certaines organisations nationales ou régionales dénoncent régulièrement le danger d’ensablement du fleuve Niger. Mais si, en aval de son Delta intérieur, le fleuve est effectivement soumis à la progression de cordons dunaires sous l’effet de la dynamique éolienne, le phénomène n’est pas avéré sur son cours supérieur. Au contraire, les travaux de recherche menés depuis 2007 par des hydrologues de l’IRD et leurs partenaires( 1) viennent de révéler que le lit amont du Niger se creuse, du moins sur sa partie malienne. Les témoignages de riverains, l’évolution de la courbe de tarage( 2) de la station hydrométrique de Koulikoro – l’une des plus anciennes d’Afrique de l’Ouest – ainsi que les observations topographiques mettent en lumière un abaissement du profil.

Les « pêcheurs de sable » sont à l’œuvre

© IRD / F. BoyerL’agglomération de Bamako en pleine extension. 

Cette incision dans le lit du fleuve est liée au prélèvement excessif de sable et de gravier servant de matériaux de construction, notamment pour l’extension urbaine de Bamako. De fait, la population de la capitale malienne a plus que décuplé en un demi-siècle, passant de 130 000 habitants en 1960, à 1 million en 1998, puis à 1 800 000 en 2009. La croissance des surfaces bâties entre 1986 et 1996 est d’environ 3700 hectares. Plus de 60 sites d’extraction et de stockage principaux sont aujourd’hui en activité le long du Niger sur 150 km à proximité de Bamako, la filière employant au moins 15 000 personnes selon le Syndicat National des Transporteurs Routiers Urbains et Interurbains du Mali. La possibilité d’exporter le sable et le gravier prélevés par des routes et des pistes proches du fleuve Niger a facilité le développement de cette activité.

© IRD / L. FerryLe matériel est le plus souvent prélevé à la main par des plongeurs en apnée à des profondeurs pouvant atteindre trois mètres.

En période d’étiage, lorsque les berges sableuses sont émergées, des camions bennes effectuent des prélèvements par chargement direct, manuel ou mécanisé. Mais le principal mode d’exploitation, mis en œuvre toute l’année, est réalisé par les « pêcheurs de sable », qui extraient le matériel à la main, souvent en apnée et à des profondeurs pouvant atteindre trois mètres. Puis le sable et le gravier sont transportés dans des pinasses, bateaux d’une capacité de 2 à 3 m3 à traction humaine ou à moteur, jusqu’aux principaux ports de stockage : Djoliba, Kalaban Koro, Koulikoro…

Les différentes enquêtes (comptage de camions, importations de ciment…) montrent qu’entre 15 et 20 millions de m3 de matériel auraient été extraits du fleuve de 2000 à 2006 entre Kangaba et Koulikoro, en amont et en aval de l’agglomération de Bamako. Soit une ablation annuelle d’ordre pluricentimétrique !

L’apport en sédiments diminue

© IRD / L. CorsiniCarte du Bassin du Niger

A ces prélèvements s’ajoute une baisse des apports sédimentaires liée à la présence de barrages en amont de la capitale, véritables « pièges à sédiments », de digues et de routes. Tous ces aménagements entravent le cheminement de l’eau, font obstacle ou freinent les écoulements. Ils ont un impact sur le régime hydrologique du Niger et par conséquent sur les flux de matière solide des affluents du fleuve. Ainsi, avec le barrage hydroélectrique de Sélingué sur le Sankarani, mis en service en 1982 près de la frontière guinéenne, près d’un quart du bassin versant ne participe plus à l’alimentation du fleuve en sédiments. Or cet apport est déjà naturellement très faible du fait d’une végétation dense (forêt sèche et savane arborée), d’une faible densité de population et donc d’une tendance modérée au déboisement, qui limitent le ruissellement.

Des conséquences écologiques et agricoles

Les prélèvements sur les berges et dans les plaines de débordement ont un coût écologique mais aussi agricole important, rognant sur de bonnes terres arables. Sapement et incision peuvent aussi mettre en péril des ouvrages d’art comme les ponts, les digues, les « quais ». Du point de vue hydrologique, le creusement du lit entraîne, à débit égal, un abaissement de la ligne d’eau du fleuve. D’où à terme une moindre fréquence des débordements dans les plaines alluviales, avec également des conséquences importantes en termes d’agriculture, une diminution de la recharge des nappes phréatiques et un accès plus difficile à l’eau de pompage lors des étiages. En termes d’écologie, les pratiques de collectes de sable et de gravier augmentent la turbidité des eaux et perturbent les peuplements de poissons. Ils entraînent par là-même de fortes répercussions sur la productivité de la pêche.

Par ailleurs, la ressource en sable, d’exploitation économiquement aisée, n’est pas inépuisable. Tôt ou tard, l’industrie du bâtiment devra prendre en compte cette donnée.

L’impact des profondes modifications de la morphologie du Niger supérieur sur la ressource piscicole et sur l’agriculture – et plus généralement sur l’écosystème fluvial – sont préoccupantes, en particulier dans un pays comme le Mali dont les ressources économiques sont faibles. L’expansion urbaine qui se poursuit et la construction prochaine de nouveaux aménagements sur le Niger supérieur – dont le barrage de Fomi en Guinée, d’un réservoir trois fois supérieur à celui de Sélingué – font craindre une accélération du phénomène.

Notes

  1. UMR G-eau (Montpellier), Université Jean Moulin (Lyon 3) et Université de Tours, en collaboration avec la Direction Nationale de l’Hydraulique dans le cadre du projet Niger-Loire : gouvernance et culture (UNESCO, avec le soutien de l’U.E.)

 

  • Source : IRD