Aujourd’hui au large de l’Afrique, dans une mare d’eau douce au sein de l’océan, se baignent des êtres que païennement on appelle Lamantins, mais que les Blancs disent « Sirènes », et nous les Noirs, « Mamy-Wata ». Nous les avons bien vus dans leurs manteaux d’écume immaculée et certains ont entendu leurs appels qui s’adressaient au cœur non pas aux oreilles… Celui qui fait le compte rendu c’est Tsetsi Marien, matelot sur « La Cavally » au retour de Dakar ». (In bernard G. Lacombe –SYRENE-Publi sud).

« Alors, lentement, chose inattendue en cet endroit, les batteurs entonnèrent le fameux air de Mamy-Wata. La foule reprit, en chantant en chœur. Presqu’aussitôt, des vagues se formèrent à la surface de l’océan. La houle avait atteint de l’intensité quand une chose noirâtre commença à émerger de la surface des flots. La mélopée était devenu plus saccadée ». (In « La Source Enchantée » P. 58).

Qui de nous n’a entendu parler de Mamy-Wata, la nymphe des eaux, depuis que Aboubacar Demba Camara, le dragon de la musique africaine, lui a dédié le morceau qui porte ce nom ?

Le dragon aurait-il péri, par la suite, pour avoir osé chanter ce terrible nom, comme le soutient la légende ? Du golfe de Guinée au Sénégal, combien de versions ont proliféré autour de ce récit fantastique qui semble en avoir plus que la célèbre chanson « Guantanamera » du Cuba ? Mamy-Wata, est-ce un mythe ou une réalité ?

De nos jours, on admet de plus en plus l’hypothèse qui veut que Mamy-Wata (en créole Mère des eaux) ne soit que la forme africaine des récits païens sur les lamantins, ou des récits européens sur les sirènes. A cet effet, l’on constatera la zone d’aspiration du génie, le long de la côte Ouest-Africaine, coïncide suer la carte avec la région de peuplement des lamantins africains. Dès lors, Mamy-Wata rimant avec lamantin, d’où vient cet étrange animal qu’est le lamantin dont la silhouette rappelle à s’y méprendre une jeune fille, et le cri, un sanglot ? Pour répondre à cette question, nous proposons le texte sur la légende du lamantin et des nymphes de L.S. Senghor et A. Sadji. Ensuite, pour faire le tour de la question, nous vous ferons lire une série de textes relatifs à cette fascinante légende. Quelques images viendront compléter le dossier. Nous remercions particulièrement le Lycée Français Albert Camus de Conakry, singulièrement Mme Michèle Dupont et les élèves du CM1A, pour l’important lot de texte mis à notre disposition.

Texte 1- La légende du Lamantin et des Nymphes (L.S Senghor et A. Sadji)   

Le lamantin est un être bizarre qui est fait comme une créature humaine et qui, cependant, vit dans l’eau. Il a des seins comme une femme, et quand on le capture, il se met à sangloter comme un enfant honteux. Les hommes croient que le lamantin était autrefois une femme peuhle qui, passant près de l’eau, se déshabilla pour prendre un bain. Quelqu’un survint et la peuhle, honteuse d’être vue, disparut dans le fleuve et se changea en lamantin (…)

Les fleuves sont peuplés aussi de nymphes. Ce sont, dit-on, de jolies filles aux cheveux noirs qui ont de longs bras et de queues de poissons (…)

La légende de Mamy-Wata par Boubacar Diallo – Professeur à l’ENI de Conakry

Illustrations : Chérif Haïdara et Karamoko Oury Wann : Artistes Peintres – Conakry

Première version- Texte II

Sandervalia est un village pittoresque de pêcheurs, respirant la sérénité et la joie de vivre. Situé sur le littoral, Sandervalia, en cette nuit et ce, malgré un romantique clair de lune, sombrait déjà dans les bras de Morphée, bercé par le bruit des vagues s’échouant sur les rochers. Sur la grève, cependant, un peu loin de là, quelqu’un veillait. Maître Dounia, assis sur un rocher en face de l’immensité, une guitare pour toute compagnie, reprenait inlassablement la chanson qu’il avait composée la veille. Cette chanson où il était question de la noyade d’une vierge, il le sentait confusément, lui porterait bonheur et gloire. Il n’avait jamais encore composé ni entendu composer morceaux aussi langoureux. Quand il commençait à le jouer, les larmes, irrésistiblement, lui venaient aux yeux. « Un beau concert en perspective ! » ne cessait-il de se répéter. Après les dernières notes, Dounia se leva, s’étira en faisant craquer ses jointures, puis porta sa guitare en bandoulière. « Pour cette nuit, décida-t-il, c’est terminé ! » Mais, l’homme propose et Dieu dispose, Maître Dounia n’avait pas trois pas qu’il s’entendit appeler :

-Dounia ! Dounia !

Le musicien se retourna, interloqué, se demandant qui pouvait l’appeler à pareil moment. Une ravissante jeune fille s’était approchée. Incrédule, Dounia se mit à détailler, à la clarté de la lune. Il était stupéfait ; jamais, à travers ses pérégrinations, il n’avait rencontré fille d’une telle beauté. Ce qui le frappait surtout, c’était l’abondante chevelure lui retombant sur les épaules comme une chape noire.

– Qui es-tu ? Hatela l’artiste éberlué.

– Je suis Mamy-Water, la nymphe des eaux. J’ai été attirée par les notes sublimes de ta guitare. Depuis un moment, je suis à côté de toi, mais tu étais trop absorbé pour le remarquer.

Assied toi et joue encore pour moi !

Dounia qui n’avait jamais entendu parler de Mamy-Water la nymphe des eaux, obtempéra cependant, subjugué par cette étrange beauté. Et se mit à jouer. Il jouait sans reprit, reprenant inlassablement le même morceau, tandis que la jeune fille s’extasiait, insatiable. Dounia était fatigué, épuisé, mais une force mystérieuse le rivait au rocher, le faisant toujours reprendre la chanson de la vierge. Le jour se leva, tandis que Dounia continuait toujours de jouer, comme un possédé. A la tombée de la nuit, personne n’ayant passé par là dans le courant de la journée, Maître Dounia jouait encore, et la nymphe mélomane s’était à nouveau matérialisée à ses côtés. C’est à l’aube, alors que là-bas dans le village de Sandervalia résonnait l’appel du muezzin, que Maître Dounia s’arrêta définitivement de jouer. Son bras, ses jambes et son cou s’étaient raidis, en proie à une douloureuse crampe. La guitare s’échappa des mains de l’artiste et partit à la dérive, flottant à la surface de l’eau. Maître Dounia s’était spontanément étendu sur le rocher, agité de spasmes, une bave mousseuse à la commissure des lèvres. D’un trait, Maître Dounia se détendit et rendit l’âme. Alors, tranquillement, comme si de rien n’était, l’étrange fille se redressa du rocher contigu, une lueur démoniaque au fond des yeux, tandis que ses longs cheveux se dressaient sur sa tête, en une sarabande hallucinante de serpents venimeux. Elle poussa un cri terrifiant qui s’étendit au fin fond de Sandervalia, entra dans l’eau jusqu’aux genoux puis commença à se mouvoir en direction du large où elle s’engloutit.

Deuxième Version – Texte III 

En ce temps-là, la presqu’île de Kaloum était un gros village et les jeunes s’en allaient sur le littoral, au pied des palétuviers, chercher le bois de chauffe.

Bientôt le crépuscule ; là-bas à l’horizon, là où le ciel semblait s’abîmer dans l’océan, le soleil, majestueusement, regagnait sa demeure, provoquant un impressionnant geyser de reflets irisés sur la crête des vagues. Le spectacle était saisissant, mais le jeune Abou n’eut aucun regard pour ce féérique coucher du soleil. Marchant entre les palétuviers, les yeux balayant sans cesse les alentours, il ramassait tantôt une branche morte, tantôt une racine desséchée. Tenant dans le repli de l’avant-bras gauche le fagot qui grossissait à mesure qu’il avançait, il zigzaguait entre les arbres. Le littoral était désert. Abou était, manifestement, le dernier à y traîner, en quête de bois mort. Soudain, il s’arrêta de marcher, relevant la nuque. Il entendait un craquement de feuilles mortes derrière lui, comme celui produit sous le pas d’un marcheur.

Abou se retourna. Incrédule, il se frotta les yeux : une jeune fille d’une beauté de rêve s’approchait de lui, un sourire à faire fondre un objet en marbre.

Qui es-tu ? Bafouilla Abou, médusé.

-Je suis la princesse de la mer ! répondit la fille d’une voix chantante.

Abou, complètement subjugué la dévisageait sans vergogne. Troublé au plus de son être, il n’arrivait pas à détacher son regard de l’opulente chevelure noire lui retombant jusqu’à la taille. C’était la première fois qu’une fille impressionnait le jeune Abou à ce point. Le cœur battant la chamade, il s’entendit dire :

-Allons chez moi, je te raccompagne après !

Tenant le fagot dans le repli de l’avant-bras gauche et la main de la jeune fille dans sa main droite, Abou prit d’autorité le chemin du village. La nuit commençait à tomber sur la presqu’île de Kaloum.

Quand Abou fit irruption dans la cour paternelle, la famille était regroupée pour la prière. Se débarrassant prestement du fagot à la devanture de la case e sa mère, il entraîna sa conquête facile vers sa garçonnière, une chaumière située au fond de la concession. Ce soir, il ne chercha pas à rejoindre le groupe de prière comme il en avait l’habitude.

Une fois à l’intérieur de sa chaumière, Abou impatient, alluma la lampe, rabattit la porte avant d’inviter carrément la jeune fille à venir s’asseoir à même le lit, à côté de lui. Brûlant les étapes, Abou avait déjà la main levée pour caresser l’opulente chevelure, susurrant en même temps :

-parle-moi de toi, de tes parents. Je veux que tu deviennes ma femme !

Mais Abou venait à peine de poser la main sur l’abondante chevelure, qu’il la retira instantanément, comme par magie, se transformaient en une myriade de serpents venimeux, grouillant et sifflant dans l’air. Abou poussa un hurlement de terreur et perdit connaissance.

Quand les membres de la famille arrivèrent au pas de course, Abou était seul dans la chaumière, étendu de tout son long, sur le sol. Plus tard, lorsque le jeune homme reprit connaissance, ils comprirent, en déchiffrant ses propos incohérents, qu’il avait rencontré Mamy-Wata, la femme aux cheveux de serpents. Mais, jamais, malgré toutes les malédictions, ils ne réussirent à lui faire recouvrer la raison. Abou avait sombré, pour toujours dans la folie.

Texte 4 : A PROPOS DE MAMY-WATA         

Maman m’a raconté :

(D’après Alpha Ousmane Diallo- CM1 A, Lycée Français de Conakry – mai 1993)

Le dragon de la chanson africaine était un grand artiste du continent Noir. Il était l’ami de Mamy-Wata. Elle lui conseilla :

« Ne chante pas mon nom ! Personne ne doit connaître mon existence.

-Non, moi je chante pour que l’on sache que tu vis.

-tu vas mourir, dit Mamy-Wata ». On l’invita dans la capitale d’un pays voisin. Sur la route de l’aéroport, le Dragon de la chanson africaine eut un accident et il mourut.

Texte 5 : A PROPOS DE MAMY-WATA 

Ma sœur m’a raconté :

(D’après Alhoussein Diawara- CM1 A, Lycée français de Conakry- mai 1993)

Sur les côtes de Guinée, vivait une sorcière appelée Mamy-Wata. Les Indiens d4amérique voulaient voir Mamy-Wata mais chaque marin qui partait sous l’eau pour l’attraper ne revenait pas. Un magicien indien se transforma en sirène et plongea, emportant avec lui une très grosse bouteille. Quand il arriva près des rochers, il vit une assiette remplie de fruits juteux, qu’avait déposée là Mamy Wata. Elle avait imaginé ce stratagème pour capturer la personne, qui, voyant les fruits, aurait envie de les manger. Mamy-Wata l’étranglerait alors sur place. Le magicien plongea sous l’eau et chercha Mamy-Wata longtemps. Il la trouva assise sur un rocher. Il lui dit :

« Descends dans cette bouteille s’il te plaît !

« Descends, en premier répliqua Mamy-Wata ». Le magicien pénétra dans la bouteille et, promptement, le magicien enfonça le bouchon. Il sortit de l’eau reprit son corps d’homme. Il revint chez lui, fit quelques trous sur la bouteille pour que Mamy-Wata puisse respirer. Il remit le bocal à des Marocains. Ceux sont eux aujourd’hui qui détiennent Mamy-Wata.

Texte 6 : LE CULTE DE MAMY-WATA

L’histoire d’Ikwo (tiré du livre « le VAUDOU ») 

Ikwo était femme de ménage chez des commerçantsbindiens au Nigeria. Elle fréquentait un Spiritual Church locale, et il lui arrivait souvent de se sentir saisit pendant le service religieux par une puissante force métaphysique. Une nuit, elle rêva d’une femme d’une beauté surnaturelle, aux longs cheveux  et au teint clair, entièrement recouvert de serpents chatoyants.

A partir de ce moment tout le village a su qu’Ikwo avait été choisi par Mamy-Wata. Elle se fit donner un congé et alla retrouver sa famille dans son village natal. La prêtresse de Mamy-Wata de l’endroit fit célébrer à son intention une série de sacrifices.

A la fin de la semaine, les fidèles se trouvaient rassemblés au bord du fleuve pour une dernière cérémonie. Ikwo apporta différentes offrandes sur un plateau : des cigarettes, des parfums, de la poudre, du vin de palme et du gin distillé dans le village même (…) Ikwo prit le plateau et le posa sur l’eau.

Les offrandes s’enfoncèrent immédiatement (…) preuve que Mamy-Wata les avait acceptées.

(…) Ikwo fut ensuite lavée avec des extraits de plante et du savon et sept fois immergée. Elle but l’eau du fleuve, on l’habilla et on la ramena chez ses parents. Sur le chemin du retour, les participants avaient l’interdiction absolu de se retourner afin d’éviter que Mamy-Wata ne les suive et n’apporte le malheur sur toute la compagnie (…) Depuis, Ikwo dispose de puissants moyens et de forces magiques qui l’élèvent au-dessus des communs mortels.

Texte 7 : UNE CARTE POSTALE…      

Suzanne Gruhle m’a dit (d’après K.O. Wann)

En 1987, Suzanne Gruhle, une étudiante de l’Université de Berlin est venue à mon domicile accompagnée par un neveu…

Après les salutations d’usage, elle expliqua qu’elle vient de Mali. Elle aurait abandonné son premier sujet de mémoire :

« Les coutumes des femmes du Fouta-Djallon » au profit de « Mamy-Wata ».

En plus d’informations authentiques, Suzanne souhaite avoir un dessin de Mamy-Wata… J’apprends alors que la légende de la déesse des eaux vient d’Allemagne ; d’une carte postale expédiée de ce pays vers l’Afrique de l’Ouest. La carte représentait « çiva dansant »… Ici les serpents se seraient substitués aux bras… j’ai fait le dessin et conduit Suzanne chez Gjiba Emile Tompapa pour plus d’informations.

LA LEGENDE DE MAMY-WATA D’APRES LES IMAGES 

(Source : « VAUDOU » de gest chesi – Arthaut 1980)

Représentation de Mamy-Wata due au sculpteur togolais Agbagli Kossi. Elle est en bois et peinte avec de la laque à auto. On remarquera que les représentations et les descriptions de Mamy-Wata, dans l’ensemble, font état de jolis visages pâles et radieux et de longs cheveux. En réalité cette blancheur et cette opulence de la chevelure ont pour fonction essentielle non de la présenter comme une européenne, que de souligner l’éloignement où elle vit en tant que déesse et pur esprit. A Cross River au Nigeria d’ailleurs, Mamy-Wata est appellée Ndem Mmo (Ndem = eau ; Mmo= esprit).

Nana Densu représenté ci-contre, considéré comme le mari de Mamy-Wata. Le sculpteur togolais Agbali Kossi a tiré son inspiration d’une image divine repésentant Vichnou pour exécuter ce travail. Le culte de Mamy-Wata sur la côte Ouest-Africaine, exemple particulier de syncrétisme religieux, a donné lieu dans le domaine de l’art à un mariage heureux d’éléments stylistiques hindous se retrouvent ainsi sur les autels africains mais avec des désignations propres aux prêtres du vaudou, cette religion secrète de l’Afrique dont Mamy-Wata est l’une des divinités.

3 « Le chanteur de serpents », la fameuse représentation de Mamy-Wata, dû au peintre hambougeois Arnold Schleisinger a engendré des milliers de reproductions sur la côte Ouest-Africaine. En Guinée, pour s’en convaincre, il suffit d’aller faire un tour au Rond-point Gbessia et d’y admirer les tableaux des peintres. On y trouve toujours, exposées, une ou deux toiles représentant l’œuvre du célèbre artiste allemand.

Ce fait artistique semble confirmer l’hypothèse qui dit que Mamy-Wata est une figure de la mythologie germanique et qu’elle serait arrivée sur la côte Ouest-Africaine, à la proue des navires européens.

 

Dossier réalisé par Boubacar Diallo- Professeur à l’ENI de Conakry)

Illustration : COSSA Bounama, Kossi, Karamoko Oury WANN, HAIDARA

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