« Au début, il n’y avait qu’une seule langue », écrit, en français, la Hongroise Agota Kristov (« L’Analphabète »). Un dictionnaire raisonné à paraître en 2011 répertorie pour la première fois les auteurs migrants ayant adopté le français comme langue d’écriture, depuis 1981.

L’ouvrage comporte 300 entrées, d’Alain Mabanckou à Atiq Rahimi (Goncourt 2008) en passant par Nancy Huston, Dai Sijie ou Andreï Makine. Il raconte la migration comme source de créativité. Nous avons extrait quelques passages de l’article paru dans la revue Hommes et migrations, prochainement en ligne sur le site de la revue.

Ils sont issus de plus de 50 pays différents. Ils ne sont pas nés en France, ni de parents français vivant en dehors du territoire national, et ont vécu de manière consciente, alors qu’ils étaient jeunes adultes ou plus tardivement, l’expérience de la migration.

Les uns se sont installés en France, où ils vivent, écrivent et publient en français : ce sont des figures d’« ancrage ». D’autres en sont repartis, soit vers d’autres pays soit vers leur pays dit d’origine : ce sont des figures de « passage ».

Ainsi, Alain Mabanckou, né au Congo-Brazzaville, vivant et écrivant en France pendant de longues années, est installé aux Etats-Unis. Mahi Binébine, après un long séjour en France et aux Etats-Unis, est rentré au Maroc, son pays natal. Mongo Beti, avant sa mort en 2001 à Douala, n’a cessé de faire le trajet entre son pays d’origine -le Cameroun- et la France.

Dans tous les cas, la France a exercé une nette influence sur leur carrière littéraire.

L’exil qui permet d’écrire et de créer

Au lieu d’insister sur le déracinement ou la perte de repères, le « Dictionnaire des “écrivains migrants” » considère la migration comme une source de créativité, un catalyseur de la création artistique et, plus spécifiquement, littéraire. Dans « Lettres parisiennes : autopsie de l’exil », Nancy Huston explique : «L’exil n’est que le fantasme qui nous permet de fonctionner, et notamment d’écrire. »

Andrée Chedid, pour sa part, avoue que son exil parisien lui garantit la distanciation et l’indépendance nécessaires à la création.

Le champ littéraire français a souvent distingué ces auteurs, par l’attribution de prix importants, comme le Goncourt à Atiq Rahimi ou le Femina à Dai Sijie et François Cheng. L’attribution du prix Nobel à Gao Xingjian témoigne à elle seule de la répercussion internationale que peut avoir l’œuvre d’un migrant passé par la France.

Rousseau, Zola, Apollinaire, Ionesco intégrés au corpus national

Le phénomène n’est pas nouveau : ceux qui écrivaient avant le XXe siècle ont souvent été « incorporés » au corpus national, comme Jean-Jacques Rousseau (né à Genève), Emile Zola (dont le père était italien), Guillaume Apollinaire (né polonais), les Ionesco (natif de Roumanie) et les Beckett (de nationalité irlandaise, mais dont une bonne partie des livres sont écrits en français).

Le Paris de la première moitié du XXe siècle a accueilli les avant-gardes littéraires européennes, servi de plaque tournante aux intellectuels et écrivains latino-américains, hébergé des auteurs d’origine juive et finit par élire des auteurs venus d’ailleurs à l’Académie française, ou, s’ils avaient gardé leur nationalité d’origine comme Jorge Semprun, à l’académie Goncourt…

Avec la redécouverte de la francophonie au milieu du XXe siècle apparaît la catégorie d’auteurs francophones, « considérés comme non-français ou appartenant à la double culture », selon une définition en usage à la Bibliothèque nationale de France en 2005.

L’un devient un « écrivain français », l’autre reste « maghrébin »

Mais, à y regarder de plus près, on y rassemble surtout des auteurs ressortissants des anciennes colonies, sans y intégrer Yourcenar, aux Michaux ou aux Cioran, à qui on continue de réserver une place d’honneur dans le casier de la « littérature française ».

Pourquoi un Andreï Makine s’y est-il intégré avec facilité et rapidité, tandis qu’un Mohamed Dib continue d’être étiqueté comme « écrivain maghrébin » ? La raison réside-t-elle dans une différence « essentielle » entre les écrivains provenant d’anciennes colonies (dont la langue de formation était souvent le français) et ce provenant d’autres pays ayant adopté le français comme langue d’écriture ?

Le manifeste « Pour une littérature-monde en français » publié en 2007 dans Le Monde et signé par 44 auteurs, marque pour l’instant l’apogée de cette évolution : les signataires, désireux de libérer la langue française « de son pacte exclusif avec la nation », annoncent la fin de la francophonie, le centre serait désormais « partout, aux quatre coins du monde »

Les « grands » noms et les nouveaux élus

A côté les grands noms -tels Nancy Huston, Milan Kundera, Julia Kristeva, Amin Maalouf, Andreï Makine, Albert Memmi, Tierno Monénembo, Jean-Philippe Toussaint…- il y a les auteurs moins connus ou tout nouveaux dans le champ, comme Salima Aït Mohamed, WeiWei…

Pourquoi -bien que la littérature française semble avoir perdu « sa capacité d’absorption“- certains auteurs venus d’ailleurs semblent-ils toujours être assimilés par le champ littéraire, tandis que d’autres en restent exclus ?

Pourquoi les auteurs migrants latino-américains -comme la Cubaine Zoé Valdes- continuent-ils, pour la plupart, à écrire en espagnol, cherchant à peine à s’intégrer dans le champ littéraire français.

Y a-t-il enfin des stratégies discursives récurrentes qui nous permettent de parler d’une ‘poétique de la migration’ ? C’est à ce genre de questions que le dictionnaire tente de répondre.

Ursula Mathis-Moser et Birgit Mertz-Baumgartner

 ? Passages et ancrages, Dictionnaire des ‘écrivains migrants’ en France depuis 1981 sous la direction d’Ursula Mathis-Moser et Birgit Mertz-Baumgartner avec une équipe internationale de neuf coordinateurs scientifiques – éditeur et date de parution encore inconnues.

Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/